1978
Trad. de P. de Labriolle
Introduction de P.A. Liégé, notes, plan de travail de A.-G. Hamman

Version revue pour migne.fr par G. Bady

[Note de G. Bady: Depuis la traduction, ici reproduite, de P. de Labriolle, parue chez Bloud à Paris en 1906, Pierre Monat a publié en 2005 une nouvelle traduction sur l'excellent site patristique.org.
La présente version du volume 7 des «Pères dans la foi» a été partiellement revue et corrigée en ce qui concerne 1°) les coquilles et certaines erreurs matérielles, 2°) la normalisation des références, 3°) la lisibilité, 4°) une mise à jour de la bibliographie.]

[PAGE 2]

Vous trouverez dans ce livre:

• [Une présentation de Vincent de Lérins]

• [Une introduction par P.-A. Liégé]

• [Le sommaire des chapitres du Commonitorium ]

• Un texte classique, l'un des plus lus dans les temps modernes, sur un des sujets les plus débattus à l'heure actuelle: Tradition et progrès [Le Commonitorium].
L'auteur d'origine gauloise a éclairé l'histoire théologique de Bossuet à Newman. Nous en publions la traduction classique de Pierre de Labriolle, un des universitaires qui a le plus contribué au renouveau patristique. Les notes s'efforcent de mettre en évidence la doctrine développée.
• À la suite de ce texte capital, nous proposons, selon la méthode de la collection des instruments de travail pour tirer profit de la lecture :
1. Les idées-forces qui se dégagent du texte, éclairent le débat, permettent une réflexion personnelle.
2. La table des citations bibliques qui permettent de les replacer dans leur contexte. Il importe de s'y reporter, particulièrement pour ceux qui sont le plus utilisés
3. Une note historique sur le rayonnement et l'influence exercée par ce livre, particulièrement dans les trois derniers siècles.
4. Une courte liste de livres, qui permettent de prolonger le travail sur l'ouvrage et son environnement historique et doctrinal.
[5. Une table des noms propres et des principaux thèmes.]


[PAGE 9]

<-Présentation de Vincent de Lérins (mort avant 450)

Un seul livre a suffi à rendre célèbre Vincent de Lérins, un des livres les plus lus, des plus souvent traduits, au cours des siècles, le Commonitorium ou «aide-mémoire» que nous publions ici.
Vincent faisait partie de la célèbre abbaye de l'île de Lérins qu'il a illustrée comme Eucher de Lyon, Fauste de Riez. Ce fut, au Ve siècle, un des hauts lieux de la Gaule et une pépinière d'évêques. C'est là qu'il rédigea son ouvrage, dans la solitude et la paix.
Nous ne savons à peu près rien de la vie de Vincent. D'où venait- t-il ? Sans doute de Gaule. Il semble avoir été de bonne naissance, à en juger d'après sa culture. Il paraît être venu assez tard à la vie monastique, après avoir connu «le tourbillon amer et incohérent de la vie du monde». Il vient rejoindre à Lérins des fils de familles, patriciennes, qui s'étaient groupés autour du fondateur, Honorat, qui devint évêque d'Arles. Vincent, prêtre au monastère de Lérins, acquit une solide formation biblique et théologique, qui se font jour dans son œuvre.
Son ouvrage ne contribua pas peu au renom théologique de Lérins. Peu de livres de l'antiquité chrétienne ont eu une fortune aussi brillante dans les temps modernes, puisqu'on compte plus de 150 éditions et traductions.

[PAGE 11]

<-INTRODUCTION

« Existe-t-il une règle sûre, d'application générale, canonique en quelque sorte, qui me permette de distinguer la vraie foi catholique de l'erreur des hérésies ? » Cette interrogation fondamentale, qui était celle de Vincent de Lérins lorsqu'il écrivait son Commonitorium, demeure fondamentale pour les croyants de tous les temps. Il n'apparaît guère possible de professer consciemment la foi catholique sans se demander : comment vérifier la continuité de la même foi à travers les siècles ? Comment contrôler la communion dans la même foi des croyants dispersés parmi les continents et les cultures ? Faut-il attacher une importance particulière à l'expression de la foi des origines ? Quand dévie-t-on de la Tradition catholique et qui peut se prononcer à ce sujet ?… Toutes questions inévitables, mais qui ont revêtu une importance particulière dans les périodes d'effervescence ou de perturbation qu'a connues l’Église : lorsque la foi, née de l'Evangile de Pâques et de Pentecôte, fut particulièrement affrontée à l'épreuve du temps, entraînant l'épreuve de la diversité des cultures. Il ne fait pas de doute que de nombreux croyants soient amenés aujourd'hui à faire leurs ces questions. La révision des langages et les interprétations de la foi traditionnelle, la diversité des théologies, les recherches critiques largement vulgarisées, une certaine relativisation de l'autorité du Magistère ecclésial l'expliquent facilement. Beaucoup souhaiteraient acquérir une méthode de réflexion chrétienne qui leur permettrait, sans devenir pour autant des théologiens professionnels, d'accéder à une certaine autonomie pour vérifier l'authenticité de la foi qu'ils professent. C'est précisément à ces croyants en recherche que s'adresse la présente édition de l'œuvre majeure de Vincent de Lérins : sans s'attendre à trouver chez un auteur du 5e siècle une réponse exactement adéquate à leur questionnement de chrétiens du 20e siècle, il leur sera bénéfique de fréquenter le premier théologien qui ait, de façon quelque peu systématique, fait écho à un tel questionnement. [PAGE 12]

Vincent de Lérins

Celui que l'on nomme ainsi nous est historiquement peu connu. Il a pris soin de cacher son nom sous le pseudonyme de Peregrinus (le « Transumant », le Pèlerin) et nous devons à l'historien Gennadius de Marseille, dans son catalogue des hommes illustres, écrit dans la deuxième moitié du 5e siècle, de l'appeler Vincent. Il appartenait à ce groupe de moines chrétiens établi, dès le début du 5e siècle, dans une des Îles de Lérins. Un groupe monastique fortement identifié, composé de gens cultivés, qui devait obtenir un crédit considérable dans l'Église de son temps. Vincent décrit son lieu : « Loin de l'affluence des villes, loin de la foule, nous habitons une petite propriété écartée, et dans cette petite propriété la cellule d'un monastère où, sans être distrait, on peut mettre en pratique la parole du Psalmiste : « Demeurez en repos et voyez que je suis le Seigneur. Enfin le genre de vie que nous avons adopté nous encourage aussi dans notre dessein » (chap. 1). Ce monastère est aussi un foyer théologique [NOTE 1].

C'est aux environs des années 430-435 que Vincent écrit son Commonitorium. Qu'est-ce à dire ? Le terme latin désigne les instructions écrites que recevait, pour une affaire à traiter, un fonctionnaire de l'Empire : aide-mémoire, avertissement (du verbe commoneo, faire souvenir, conseiller). Ce « mémoire » théologique est d'abord destiné à l'auteur qui y résume ses notes de travail sur un sujet qui le préoccupe : les hérésies dans l'Église. Mais il n'est pas exclu qu'il ait eu l'intention de lui donner, en en améliorant la forme, une certaine diffusion car son intention est d'éclairer, de prendre parti, d'alerter : « La subtilité des nouveaux hérétiques, écrit-il, réclame de nous beaucoup de soin et d'attention » (chap. 1).

Pour rédiger ce « mémoire », Vincent a disposé d'un grand nombre de manuscrits et a beaucoup lu. Quelque peu dépassé par l'ampleur de sa documentation, il décide de faire un premier tome avec vingt-huit chapitres. Le chapitre 28e se termine ainsi : « Pour plus de commodité, j'achève ici ces notes. On trouvera le reste ailleurs. » Après quoi il se lance dans la rédaction d'un autre tome dont ne subsiste qu'un résumé (que les manuscrits appellent « Second [PAGE 13] Commonitorium ») : récapitulation de l'œuvre principale et appendice documentaire .

Le thème du Commonitorium [NOTE 2]

La plupart des manuscrits dont nous disposons se terminent par la finale : « Ici s'achève le traité de Peregrinus contre les hérétiques. » Ce qui explique que l'historien Gennadius intitule l’œuvre de Vincent : «Contre les hérétiques». Cela rend effectivement compte du ton de l'ensemble du mémoire, même si cela n'en constitue pas, pour le lecteur contemporain, l'intérêt principal. Vincent est véritablement tourmenté par la multiplicité des déviances doctrinales qui ont pris à partie la foi catholique, depuis que l'Apôtre Paul, dont il se réclame avec insistance, écrivait aux Galates : « Si quelqu'un, même nous ou un ange du Ciel, vous annonçait un Évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème ! » (Ga 1, 8 ; commenté dans les chapitres 8 et 9). Sa documentation l'a informé des débats qui ont conduit aux Conciles de Nicée et d'Ephèse. A travers Augustin, il est au courant des doctrines donatistes et du pélagianisme. Ce qu'il rapporte des opinions hétérodoxes d'Origène et de Tertullien (chapitres 17 et 18) est sans concession. D'une façon générale, il est porté à noircir le tableau et à se comporter en censeur impitoyable. Une telle sévérité procède, pour Vincent, de cette conviction : « Nous devons grandement redouter le sacrilège qui consiste à altérer la doctrine et à profaner la religion » (chap. 7). « II s'ensuit que tout catholique désireux de prouver qu'il est fils légitime de notre mère l'Église, doit adhérer à la sainte foi de nos pères, s'y attacher et y mourir. Il doit aussi détester les nouveautés impies, les haïr, les combattre et les pourchasser » (chap. 33).

Cette obsession anti-hérétique explique, pour une part, que le Commonitorium ne constitue pas un traité rigoureusement construit. De nombreuses digressions y trouvent place. Des chapitres plus doctrinaux et plus méthodologiques y alternent avec des chapitres plus rhétoriques ou plus documentaires, sans ordre nécessaire. Les formules frappées se dégradent parfois en jugements à l'emporte-pièce. On ne doit pas oublier, d'ailleurs, qu'il s'agit de notes de [PAGE 14] travail rédigées « pour suppléer aux défaillances de la mémoire » (chap. 1). Il reste que, provoqué par sa passion d'orthodoxie, Vincent en vient à poser les questions, que nous évoquions plus haut, concernant les critères de la foi vraiment catholique (principalement dans les chapitres 2, 23, 25, 27, 28) et qu'il témoigne, sur des points fondamentaux, de la foi de l’Église clarifiée par les grands Conciles du 4e et du 5e siècles (dans les chapitres 13, 14, 15, en particulier).

L'influence du Commonitorium

On est mal informé sur l'influence immédiate qu'a pu avoir le Commonitorium, en dehors de l'école théologique de Lérins. La théologie du Moyen-Age semble avoir ignoré cet ouvrage. La théologie des temps modernes l'a redécouvert et n'a cessé de s'y intéresser, jusqu'à nos jours. Il a été invoqué dans les controverses entre catholiques et protestants du 17e et du 18e siècles ; il a été présent dans les débats sur la foi au Concile de Vatican I ; on a fait appel à lui dans les lendemains de ce Concile, chez les Vieux-Catholiques ; on s'y est largement référé dans les polémiques au temps du modernisme catholique et dans la théologie qui a suivi.

Cet intérêt moderne — et souvent trop polémique — pour le Commonitorium s'attache, en vérité, à quelques pages seulement. Mais, pour être sélectif, l'intérêt n'est pas arbitraire. Il rejoint sans doute ce qui était le plus neuf et le plus éclairant dans la pensée de Vincent de Lérins : les critères proprement théologiques de la communion dans la foi. Vincent aime ce terme de communion, comme d'ailleurs toute l'Antiquité chrétienne : il loue les chrétiens d'Afrique qui, se séparant de Donat, « restèrent en communion avec les Églises du monde entier » (chap. 4) ; il recommande qu'on fasse confiance « aux Pères qui ont constamment vécu dans la foi et la communion catholiques » (chap. 28).

Trois critères de la communion sont explicités par Vincent de Lérins, par contraste avec l'hérésie. Le premier consiste dans l'unité de la foi à travers le temps et l'espace : « Il faut veiller avec le plus grand soin à tenir pour vrai ce qui a été cru partout, toujours et par tous » (chap. 2). Le deuxième consiste à vérifier la cohérence du progrès dans la foi : « Il faut donc que croissent et progressent [PAGE 15] beaucoup l'intelligence, la connaissance, la sagesse de chacun des chrétiens et de tous, celle de l'individu comme celle de l’Église entière, au cours des siècles et des générations, pourvu qu'elles croissent selon leur genre propre, c'est-à-dire dans le même sens, selon le même dogme et la même pensée » (chap. 23). Le troisième consiste à lire les Écritures dans la Tradition : « Le Canon divin doit être interprété selon les traditions de l'Église universelle et les règles du dogme catholique » (chap. 27). Ces trois critères ne sont pas nouveaux — Vincent l'affirme à plusieurs reprises — et on les trouve déjà plus ou moins formulés, chez Irénée au deuxième siècle, chez Tertullien au troisième siècle, chez Augustin plus récemment. Mais Vincent leur donne une forme plus argumentée et fixe ainsi une étape dans l'histoire de la réflexion théologique. Il importe donc d'en mesurer l'importance et les limites pour lire correctement le Commonitorium.

Le « Canon lérinien »

On a ainsi nommé de longue date le premier critère : « Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est ». Ce qui a été cru partout : en Orient comme en Occident, car « il n'y a qu'une seule foi, vraie, celle que confesse l'Église entière, répandue sun toute la terre » (chap. 2). Ce qui a été cru toujours : depuis les origines et sans discontinuer « puisqu'en aucune manière nous ne nous écartons de ce qu'ont jadis proclamé nos pères et nos pieux ancêtres » (ibid.). Ce qui a été cru par tous car « ce que tous, ou la plupart d'entre eux, ont affirmé clairement, d'un même accord, fréquemment, avec insistance, tels une réunion de théologiens unanimes, ce qu'ils nous aurons transmis après l'avoir reçu de la Tradition, cela doit être tenu pour indubitable, certain et définitif » (chap. 28).

Le canon lérinien ne rencontre aucune difficulté lorsqu'il s'agit du kérygme chrétien, de la confession de foi qui rejoint le centre de l'Évangile : il ne peut y avoir qu'unanimité entre les croyants de tous les temps et de tous les espaces à ce niveau de l'expression primordiale de l'Évangile fondateur. Si du moins l'on admet que l'unanimité laisse place à des expressions diverses du même message, ainsi qu'il apparaît dans la rédaction des quatre Évangiles.

Le canon lérinien ne rencontre pas davantage de difficulté si on [PAGE 16] l'applique négativement : à savoir que ne sera jamais reconnu comme vrai par la foi ce qui ne serait affirmé que par quelques-uns, de façon nouvelle et dans im groupe particulier. On aurait clairement affaire à la nouveauté hérétique. Comme le dit Vincent : « Le vrai et authentique catholique sait que toute doctrine nouvelle, jamais encore entendue, professée par un seul homme en dehors de l’avis général des saints ou contre cet avis, n'a rien à voir avec la vraie foi » (chap. 20).

Mais la limite du canon lérinien apparaît lorsqu'on entreprend de l'appliquer de façon absolue pour chacun des articles de la foi catholique : soit que l'antiquité n'en témoigne pas de façon explicite (ainsi des dogmes concernant l'institution ecclésiale) ; soit que l'ampleur de l'adhésion hétérodoxe laisse planer provisoirement des doutes ; soit que certaines communautés fassent silence sur ce que professent d'autres, durant un certain temps. On sera, dans ces cas, amené à réduire le fonctionnement du canon lérinien à celui d'une visée régulatrice et à tempérer l'exigence absolue. Peut-être à faire appel à d'autres critères complémentaires.

On comprend que, au cours des siècles, ce canon ait été utilisé par des traditionnalistes et des fixistes, soucieux d'une tradition répétitive, littérale et archéologique, contre des affirmations dogmatiques de la foi catholique. Vincent de Lérins, en certaines de ses pages, semble tellement craintif devant les nouveautés qu'on voit difficilement la place laissée à des perceptions novatrices à l'intérieur de la foi. Ainsi : « Ce fut toujours la coutume, dans l'Église, d'estimer le degré de ferveur de chacun à la promptitude de son refus des innovations » (chap. 6) ; et ailleurs : « Si, en effet, il faut éviter la nouveauté, c'est donc qu'il faut s'en tenir à l'antiquité. Si la nouveauté est impie, l'ancienneté est sacrée » (chap. 21). Il faudra donc s'expliquer sur ce que l'on appelle nouveauté, et déjà Vincent ente ouvre la porte lorsque, à la fin du chapitre 22, il écrit : « Enseigne seulement ce que tu as appris ; fais le d'une manière nouvelle, mais garde-toi d'y introduire des nouveautés. »

Il n'y a pas à s'étonner de ce que, dans les controverses de jadis entre catholiques et protestants, le canon lérinien ait été utilisé par les deux parties au bénéfice de leurs démonstrations respectives : les catholiques pour convaincre les protestants qu'ils rejetaient indû-[PAGE 17]ment certains articles de foi portés par la Tradition ; les protestants pour prouver aux catholiques qu'ils ajoutaient des nouveautés à la foi traditionnelle. Cela n'infirme pas le canon, car il demeure évident qu'une doctrine unanimement et universellement reconnue depuis toujours par les chrétiens est, par là même, de foi authentique. Mais cela manifeste néanmoins que le canon ne peut être, malgré le caractère frappé de sa formulation, tenu pour le seul critère de communion si on l'applique toujours à la lettre. Sans doute est-ce là le motif pour lequel le magistère ecclésiastique ne l'a jamais officiellement repris à son compte [NOTE 3].

Le progrès dans la foi

Le deuxième critère de Vincent de Lérins a eu davantage la faveur du magistère ecclésiastique : il a été cité explicitement par le Concile du Vatican I (chapitre 4 de la Constitution sur la foi : cf. Denzinger 3020). Déjà la Bulle Ineffabilis Deus, du 8 décembre 1854, dans laquelle Pie IX définissait le dogme de l'Immaculée Conception de Marie, s'y référait (cf. Denzinger 2801). Le serment antimoderniste reprendra les termes (cf. Denzinger 3541). Le Concile du Vatican II, dans la Constitution sur la Révélation, fera un renvoi à la citation de Vatican I (Dei Verbum, 8) [NOTE 4].

Plus encore que le canon lérinien, le chapitre 23 du Commonitorium a été utilisé dans des sens divers. Tantôt on en retenait de préférence l'affirmation d'un progrès dans la foi « Ne peut-iI exister quelque progrès de la religion dans I'Église du Christ ? Assurément oui, et un progrès très grand. » Tantôt on insistait sur la suite : « À condition que ce progrès soit réellement un progrès pour la foi et non un changement… (Un progrès) dans le même sens, selon le même dogme et la même pensée. » À retenir la seule affirmation du progrès et l'analogie vitale par laquelle l'illustre Vincent de [PAGE 18] Lérins, on pouvait légitimer une évolution créatrice de la foi, ce que firent certains modernistes : mais c'était évidemment contredire le canon lérinien et livrer la pensée de Vincent à sa propre contradiction. À trop insister sur les conditions qui limitent le progrès dans la foi, on tombait à l'inverse, dans le risque de reprendre ce que l'on venait de concéder.

La pensée exacte de Vincent, si l'on se souvient du canon lérinien, semble pencher, en dépit du lyrisme avec lequel il parle du progrès, vers un progrès bien canalisé : progrès des formulations, de la conceptualisation, des langages, mais sans doute pas un progrès des affirmations. Newman l'a bien compris ainsi et a volontairement développé la pensée de Vincent au-delà de celle-ci. II semble légitime de le faire, compte tenu de ce qu'un théologien du 5e siècle ne pouvait faire face aux problèmes du dogme catholique dans son développement ultérieur [NOTE 5].

Ce que dit Vincent de Lérins du progrès dans la foi permet du moins de lever largement le soupçon de fixisme que l'examen du Canon lérinien faisait peser sur lui. C'est en confrontant et en faisant fonctionner ensemble les deux critères que l'on a quelque chance de saisir la pensée profonde de Vincent.

Écriture, Tradition, règles du dogme catholique

Vincent de Lérins est amené à constater que les hérétiques s'appuient sur l'Écriture pour contredire l'orthodoxie : « Ils se servent de l'Écriture, et avec passion ! On les voit courir de livre en livre à travers la Sainte loi, de Moïse aux livres des Rois, des Psaumes aux Apôtres, des Évangiles aux Prophètes ! » (chap. 25). Il importe donc d'établir un critère de l'usage de l'Écriture pour établir l'authenticité de la foi catholique. Il ne vient pas à l'esprit de Vincent de minimiser si peu que ce soit l'importance de l'Écriture, qu'il appelle « la loi de Dieu ». Pour lui l'Écriture, en elle-même, témoigne de la véritable foi. Mais il faut la garantir contre les interprétations erronées, et pour cela confronter les dires de l'Écriture avec les affirmations de la tradition de l'Église catholique ainsi qu'avec les enseignements des Conciles si il y en a. Ainsi s'esquisse dans le Commonitorium le principe d'une hermé-[PAGE 19]neutique ecclésiale qui se développera après la Réforme protestante.

Certains passages de l'ouvrage pourraient accréditer la position des deux sources de la foi : Écriture et Tradition. Il ne semble pas que ce soit la pensée de Vincent de Lérins. Parfois il emploie Tradition au sens fondamental, déjà accrédité par Irénée, que devait remettre en valeur le Concile de Vatican II : en ce sens où l'Ecriture fait partie de la Tradition. En d'autres passages, la Tradition est constituée par le témoignage des docteurs et des saints — les Pères — qui se joints à l'Écriture pour une mutuelle reconnaissance : « Qui sont ces Pères dont nous confrontons les idées ? Ce sont eux qui ont constamment vécu dans la foi et la communion catholiques : ceux qui ont constamment enseigné et sont toujours demeurés dans la foi qui sont morts fidèles au Christ ou qui ont mérité le bonheur de mourir pour lui » (chap. 28) [NOTE 6].

En même temps qu'à la Tradition des Pères, Vincent fait appel à l'autorité du Concile universel pour appuyer l'Écriture et guider son interprétation. Il pensait, sans nul doute, aux Conciles de Nicée et d'Ephèse, dont il connaissait bien les enseignements. « L'Église universelle et, plus spécialement, tout le corps des évêques, doivent d'abord posséder une connaissance pure de la religion et ensuite la transmettre à autrui » (chap. 22). Et au chapitre 29 : « Il faut prendre garde à deux choses, si l'on ne veut pas devenir hérétique : d'abord, existe-t-il un ancien décret, pris par tous les évêques de l'Église catholique, sous l'autorité d'un Concile universel ? Ensuite, si une nouvelle question se présente sur laquelle un Concile ne se soit pas encore prononcé, il faut recourir à l'opinion des Pères, mais de ceux-là seuls qui, à leur époque et en leur pays sont demeurés dans la communion et la foi et passent pour des maîtres éprouvés. Ce qu'il ont affirmé en plein accord peut être tenu pour vrai et catholique. » On voit ici comment la Tradition des Pères et le Concile se renvoient l'un à l'autre pour se confronter ensemble à l'Écriture : « Il est indispensable que l'exégèse scripturaire soit guidée par une seule règle, celle du sens ecclésial, tout particulièrement dans les problèmes qui constituent les fondements même du dogme catholique » (chap. 29).

[PAGE 20] Nous voulions seulement, dans cette introduction, éveiller le désir de lire le Commonitorium, en manifestant l'actualité des problèmes théologiques qui y étaient traités. Le lecteur contemporain, si il veut bien passer sur la rhétorique anti-hérétique pour faire siennes les questions posées par Vincent de Lérins, et les prolonger, ne sera pas déçu, croyons-nous.

P.A. Liégé, 1978

 

NOTES de l'introduction

1. [PAGE 12] Cf. F. BRUNETIÈRE et P. DE LABRIOLLE, Saint Vincent de Lérins, Bloud, 1906.

2. [PAGE 13] Excellentes introduction, traduction et annotation du Commonitorium par M. MESLIN, Editions du Soleil Levant, Namur, 1959.

3. [PAGE 17] Cf. Y. CONGAR, La foi et la théologie, Desclée, 1952 (pages 151-154, Note additionnelle : Le « Canon lérinien »). — W.S. REILLY, Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus : étude sur la règle de foi de Vincent de Lérins, Paris, 1903.

4. [PAGE 17] On notera avec intérêt que le chapitre 23 du Commonitorium figure parmi les lectures de la Liturgia Horarium, Rome, 1971 (traduction française Livre des Jours, Desclée, 1976) pour le Vendredi de la 27e semaine du temps ordinaire.

5. [PAGE 18] J.H. NEWMAN, Essai sur le développement, trad. J. Goudon, Paris, 1948.

6. [PAGE 19] Cf. J. MADOZ, El concepto de la Tradición en S. Vincente de Lérins, Rome, Gregoriana, 1933.

 

<- [SOMMAIRE des chapitres du COMMONITORIUM]

[N.B. Les titres des chapitres ont été ajoutés au texte de Vincent de Lérins (G.B.)]

COMMONITORIUM I

1. Préface
2. Comment distinguer la vérité de l'erreur?
3. Application pratique du critère
4. Deux exemples historiques: le donatisme et l'arianisme
5. Témoignage de saint Ambroise, éloge des confesseurs
6. L'exemple du baptême des hérétiques
7. Tactique des hérétiques, comment saint Paul les a dénoncés à l'avance
8. Commentaire de l'Épître aux Galates 1, 8-9
9. Portée universelle et permanente des préceptes de saint Paul
10. Pourquoi Dieu permet-il l'hérésie dans l'Église?
11. Exemples de Nestorius, de Photin, d'Apollinaire
12. Digression sur l'hérésie de Photin, d'Apollinaire et de Nestorius
13. La vraie doctrine catholique sur la Trinité et la personne du Christ
14. Comment Dieu s'est fait homme véritable
15. L'unité de personne dans le Christ dès la conception virginale
16. Résumé des erreurs. Rappel de la doctrine catholique
17. Exemple d'Origène
18. Exemple de Tertullien
19. Conclusion qui se dégage de ces exemples
20. Le vrai catholique et l'hérétique
21. Commentaire de 1 Timothée 6,20-21
22. Fin du commentaire
23. Existe-t-il un progrès du dogme?
24. Nouveau commentaire de 1 Timothée 6,20
25. De l'usage hérétique de l'Écriture
26. Satan, patron des hérétiques
27. Rappel de la règle de foi
28. Comment utiliser l'autorité des Pères

Le second COMMONITORIUM

29. Exemple du concile d'Ephèse
30. Témoignage des Pères du concile d'Ephèse
31. Intervention du bienheureux Cyrille au concile d'Ephèse
32. Les lettres des papes Sixte III et Célestin
33. Conclusion


[PAGE 21]

<- VINCENT DE LÉRINS

<- LE TEXTE DU COMMONITORIUM I

[PAGE 23]

ICI COMMENCE LE TRAITÉ DE PÉRÉGRINUS8
POUR L'ANTIQUITÉ ET L'UNIVERSALITÉ DE LA FOI CATHOLIQUE CONTRE LES NOUVEAUTÉS PROFANES DE TOUTES LES HÉRÉSIES9

<-1. Préface

Sur le conseil et l'invitation même de l'Écriture, qui nous dit : « Interroge tes pères, et ils te répondront ; tes anciens et ils t'informeront » (Dt 32, 7), et encore : « Prête l'oreille aux paroles des sages » (Pr 22, 17), et encore : « Mon fils, n'oublie pas mes discours, et que ton cœur garde mes paroles » (Pr 3, 1), il m'a semblé, à moi Pérégrinus, le plus humble de tous les serviteurs de Dieu, qu'avec l'aide du Seigneur, je n'entreprendrais pas une tâche inutile si je consignais ici ce que j'ai fidèlement reçu des saints Pères, pour le soulagement de ma propre faiblesse, et afin d'avoir ainsi sous la main de quoi réparer à l'occasion les défaillances de ma mémoire. Ce qui d'ailleurs m'engage à ce travail, ce n'est pas seulement ce que j'espère qu'il pourra produire de fruit, mais ce sont aussi des considérations de temps et de lieu. De temps, d'abord : et en effet, puisqu'il emporte en son cours tout ce qui est humain, ne devons-nous pas, par une juste reprise, lui enlever quelque chose qui nous profite pour la vie éternelle ; surtout quand la redoutable perspective du jugement divin qui s'approche nous presse de nous appliquer à l'étude de notre religion, et que la subtilité des nouveaux hérétiques réclame de nous tant de soin et d'attention ? Le lieu, ai-je ajouté : puisqu'en effet, loin de l'affluence des villes, loin de la foule, nous habitons un lieu écarté, et, dans cette maison, la cellule d'un monastère où, sans en être distrait, je peux mettre [PAGE 24] en pratique la parole du Psalmiste : « Demeurez en repos et voyez que je suis le Seigneur » (Ps 45, 11).

La vie que j'y mène favorise mon projet. Longtemps j'ai été entraîné dans le tourbillon amer et incohérent de la vie du monde, avant de parvenir, par la grâce du Christ, au port de la religion, un havre si tranquille10. Là j'ai laissé tomber les vents de la vanité et de l'orgueil, j'apaise Dieu par l'offrande de mon humilité chrétienne je veux éviter de la sorte le naufrage de la vie présente et les flammes de l'au-delà

Je me propose donc, après avoir invoqué le nom du Seigneur, de résumer ici les règles léguées par nos ancêtres et dont nous gardons le dépôt. J'y apporterai la fidélité d'un simple rapporteur plutôt que la présomption d'un auteur. Je n'essaierai point de tout dire, mais de dire l'essentiel, et d'un style sans ornement ni recherche, tout uni et familier, en indiquant la plupart des points sans les développer. Il n'appartient d'écrire avec tant d'abondance et de raffinement qu'a ceux qui ont plus de confiance que nous en leur talent, ou encore que les fonctions de leur charge y obligent.

Quant à moi, il me suffira de rédiger pour moi- même ce Commonitorium (aide-mémoire), afin de suppléer à mes souvenirs ou plutôt à mes oublis. Je m'efforcerai toutefois, en méditant à nouveau sur ce que je sais, de le corriger et de le compléter peu à peu chaque jour, avec l'aide de Dieu. J'en donne avis pour que si l'ouvrage venait à m'échapper pour tomber entre les mains de saintes gens, ceux-ci ne se hâtent pas trop de me reprocher certains passages ; qu'ils se souviennent de mon engagement de les retoucher.

[PAGE 25]

<- 2. Comment distinguer la vérité de l'erreur ?

Souvent je me suis enquis avec beaucoup de zèle et d'attention, auprès de nombre d'hommes éminents par leur sainteté et leur savoir. Je leur ai posé la question : « Existe-t-il une méthode sûre, générale pour ainsi dire, et constante, au moyen de laquelle je puisse discerner la véritable foi catholique d'avec les mensonges de l'hérésie ? »

Et de tous j'ai toujours reçu cette réponse : « Que si moi ou tout autre, nous voulions dépister la fourberie des hérétiques, éviter de tomber dans leurs pièges et demeurer dans une foi saine (avec l'aide de Dieu) sains nous-mêmes et inentamés, il nous fallait abriter cette foi derrière un double rempart : d'abord l'autorité de la loi divine, ensuite la tradition de l'Église catholique. »

Quelqu'un dira peut-être ici : « Puisque le Canon11 des Écritures est parfait et qu'il se suffit amplement et surabondamment pour tous les cas, quel besoin y a-t-il d'y joindre l'interprétation de l'Église ? » Précisément la profondeur de l'Écriture sainte fait que tous ne l'entendent pas dans un seul et même sens. Les mêmes paroles sont interprétées par l'un d'une façon, par l'autre d'une autre, et on pourrait dire : autant il y a de commentateurs, autant d'opinions. Novatien l'explique d'une façon, Sabellius d'une autre façon, Donat d'une autre encore ; Eunome, Arius, Macédonius ont leur opinion ; Photin, Apollinaire, Priscillien ont la leur ; la leur encore Jovinien, Pélage, Célestius ; la [PAGE 26] sienne enfin Nestorius12. Et c'est pourquoi il est bien nécessaire, en présence de tant d'erreurs aux multiples replis, que la ligne de l'interprétation des livres prophétiques et apostoliques soit dirigée conformément à la règle du sens ecclésiastique et catholique13.

Dans l'Église catholique elle-même, il faut veiller soigneusement à s'en tenir à ce qui a été cru partout, toujours, et par tous14. Car est véritablement et proprement catholique, comme le montrent la force et l'étymologie du mot lui-même15, l'universalité des choses. Et il en sera ainsi si nous suivons l'Universalité, l'Antiquité, le Consentement général. Nous suivrons l'Universalité, si nous confessons comme uniquement vraie la foi que confesse l'Église entière répandue dans l'univers ; l'Antiquité, si nous ne nous écartons en aucun point des sentiments manifestement partagés par nos saints aïeux et par nos pères ; le Consentement enfin si, dans cette antiquité même, nous adoptons les définitions et les doctrines de tous, ou du moins de presque tous les évêques et les docteurs.

[PAGE 27]

<- 3. Application pratique du critère

Que fera donc le chrétien catholique, si quelque parcelle de l'Église vient à se détacher de la communion de la foi universelle ?

— Quel autre parti prendre, sinon de préférer au membre gangrené et corrompu le corps dans son ensemble, qui est sain ?

— Et si quelque contagion nouvelle s'efforce d'empoisonner, non plus seulement une petite partie de l'Église, mais l'Église tout entière à la fois ?

— Alors encore, son grand souci sera de s'attacher à l'antiquité, qui, évidemment, ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère.

— Et si, dans l'antiquité même, une erreur se rencontre qui soit celle de deux ou trois hommes, ou d'une ville, ou même d'une province ?

— Alors, il aura grand soin de préférer à la témérité ou à l'ignorance d'un petit nombre les décrets (s'il en existe) d'un concile universel tenu anciennement au nom de l'ensemble des fidèles16.

— Et si quelque opinion vient enfin à surgir qu'aucun concile n'ait examiné ?

— C'est alors qu'il s'occupera de consulter, d'interroger, en les confrontant, les opinions des ancêtres, de ceux d'entre eux notamment qui vivant en des temps et des lieux différents sont demeurés fermes dans la communion et dans la foi de la seule Église catholique et y sont devenus des maîtres autorisés ; et [PAGE 28] tout ce qu'ils auront soutenu, écrit, enseigné non pas individuellement, ou à deux, mais tous ensemble, d'un seul et même accord, ouvertement, fréquemment, constamment, un catholique se rendra compte qu'il doit lui-même y adhérer sans hésitation17.

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<- 4. Deux exemples historiques : le donatisme et l'arianisme

Mais afin d'éclaircir ces affirmations, il convient de les illustrer successivement d'exemples et de les développer avec un peu plus de détail ; car il ne faudrait pas que, par souci de brièveté, des choses de cette importance soient entraînées par le courant du discours.

Le donatisme

Au temps de Donat, le père des donatistes18, une grande partie de l'Afrique se précipita dans son erreur insensée et, oublieuse de son nom, de sa religion, de ses déclarations, sacrifia l'Église du Christ à la témérité sacrilège d'un seul homme. Ceux qui détestèrent ce schisme impie et s'unirent à l'ensemble des Églises de l'univers furent de tous les chrétiens d'Afrique, les seuls qui demeurèrent ainsi dans le sanctuaire de la foi catholique. Ils nous ont laissé là un admirable exemple : Mieux vaut toujours préférer l'orthodoxie de tous à la déviation d'un petit nombre.

L'arianisme

De même, quand le venin de l'arianisme eut infecté, non plus une faible partie, mais la presque totalité de l'univers19, alors que tous les évêques de langue latine s'étaient laissés séduire, les uns par la violence, les autres par la ruse, et qu'une sorte de nuage obscurcissait les esprits et leur dérobait, en un si grand [PAGE 30] trouble, la véritable route à suivre, tout ce qu'il y avait de vrais disciples et de vrais adorateurs du Christ préférèrent la foi antique à de perfides innovations et se préservèrent ainsi de la contagion du fléau.

Les malheurs de ce temps démontrèrent surabondamment quelles calamités apporte à sa suite l'introduction d'un dogme nouveau. Car ce ne furent pas seulement les petites choses, mais aussi le plus grandes qui furent bouleversées. Alliances, parentés naturelles ; amitiés, familles ; bien plus encore, les villes, les peuples, les provinces, les nations, enfin l'empire romain tout entier, furent agités et ébranlés jusque dans leurs fondements.

Lorsque cette nouveauté profane de l'arianisme, comme une Bellone20 ou une Furie, eut conquis l'empereur tout le premier21, puis eut courbé sous le joug des lois nouvelles toutes les autorités du palais, elle ne cessa plus dès lors de troubler tout et de nuire à tout, aux intérêts privés et publics, aux choses sacrées et aux choses profanes. Le bien et le vrai ne bénéficiaient d'aucun privilège : tous ceux que lui désignait son caprice, elle les frappait comme d'en haut. L'on vit alors des épouses déshonorées, des veuves dévoilées, des vierges profanées, des monastères démolis, des clercs dispersés, des lévites frappés, des prêtres envoyés en exil. Les prisons, les cachots, les mines regorgèrent de saints personnages. La plupart de ceux-ci, ayant reçu défense d'entrer dans les villes, chassés et bannis, se consumèrent au milieu des déserts, des cavernes, des bêtes féroces et des rochers, dans les souffrances exténuantes de la nudité, de la faim et de la soif22.

Et de tous ces maux quelle fut la cause, sinon qu'à la place d'un dogme venu de Dieu, toutes les fois qu'on met des superstitions purement humaines, on ruine par de criminelles nouveau-[PAGE 31]tés une antiquité si bien assise ; on voile l'enseignement des âges antérieurs ; on déchire les décisions des Pères ; on anéantit les définitions des ancêtres ; et la curiosité profane, passionnée de nouveautés, refuse de se contenir dans les limites d'une antiquité sainte et incorruptible ?

[PAGE 32]

<- 5. Témoignage de saint Ambroise, éloge des Confesseurs

Mais peut-être sont-ce là des imaginations que nous suggère la haine de la nouveauté et l'amour de la tradition ? Si quelqu'un le croit, qu'il s'en rapporte du moins au bienheureux Ambroise.

Au second livre de l'ouvrage adressé à l'empereur Gratien23, Ambroise déplore lui-même le malheur des temps et dit : « Ô Dieu tout-puissant, nous avons assez expié par notre ruine et notre sang le meurtre des confesseurs, l'exil des prêtres, de si grandes et si criminelles impiétés. Il est devenu assez clair que ceux qui ont violé la foi ne peuvent être en sûreté. »

Pareillement, au troisième livre du même ouvrage24 : « Conservons donc, dit-il, les préceptes des ancêtres, et ne brisons pas, dans la témérité d'une insolente audace, les sceaux héréditaires (cf. Ap. 5, 1). »

Ce livre prophétique et scellé, ni les anciens, ni les puissances, ni les anges, ni les archanges n'ont osé l'ouvrir : c'est au Christ seul qu'a été réservée la prérogative de l'expliquer. Ce livre sacerdotal, qui d'entre nous oserait en briser le sceau qui a été scellé par les confesseurs et consacré par tant de martyrs ? Ceux qui ont été contraints d'en rompre le sceau l'ont ensuite scellé, après avoir dénoncé la fourberie25. Ceux qui n'ont pas osé lui faire violence sont devenus confesseurs et martyrs.

Comment pourrions-nous renier la foi de ceux dont nous célé-[PAGE 33]brons la victoire ? Oui, certes, nous les vantons, ô vénérable Ambroise ; nous leur donnons nos louanges et notre admiration ! Qui serait assez fou pour ne point souhaiter de suivre (même s'il ne peut les atteindre) ceux qu'aucune violence n'a détournés de défendre la foi des aïeux : ni les menaces, ni les séductions, ni la vie, ni la mort, ni le palais, ni les satellites, ni l'empereur, ni l'empire, ni les hommes, ni les démons ? Dieu les a jugés dignes d'une si grande récompense pour leur opiniâtre attachement à l'antique foi. Par eux, il a relevé les Églises abattues, vivifié les populations chez qui l'Esprit était éteint26, replacé sur le front des prêtres les couronnes qui en étaient tombées27, effacé par les larmes des évêques fidèles, source jaillie du ciel, les écrits ou, pour mieux dire, les barbouillages abominables de l'impiété nouvelle. Il a rappelé enfin l'univers presqu'entier – encore ébranlé par la tempête de cette hérésie soudaine –, de la perfidie nouvelle à l'antique foi, d'une nouveauté déraisonnable à l'antique raison, d'une nouveauté aveugle à l'antique lumière !

Mais ce qu'il nous faut surtout admirer dans ce déploiement d'une énergie en quelque sorte divine, c'est que, dans le domaine des antiques maximes de l'Église, ces confesseurs prirent la défense non d'une fraction quelconque, mais de l'universalité. Ces hommes n'ont pas déployé les opinions flottantes et contradictoires d'un homme ou de deux, pour la conspiration téméraire de quelque minuscule province.

Bien au contraire, ils se sont attachés aux décrets et définitions de tous les évêques de la sainte Église, héritiers de la vérité apostolique et catholique ; ils ont aimé mieux se livrer eux-mêmes que de livrer la foi de l'antique universalité. C'est par là qu'ils ont mérité de parvenir à un tel degré de gloire qu'on les considère, à juste titre, non seulement comme des confesseurs, mais comme les princes des confesseurs.

[PAGE 34]

<- 6. L'exemple du baptême des hérétiques

L'exemple de ces bienheureux, à la fois divin et digne mérite d'être infatigablement médité par tous les vrais catholiques. Rayonnant, comme le chandelier à sept branches, des sept lumières du Saint-Esprit28, ils ont en effet révélé de façon éclatante à la postérité le principe grâce auquel, dans toutes les entreprises de l'erreur, l'audace des nouveautés impies serait désormais écrasée par l'autorité de l'antiquité.

La méthode, à coup sûr, n'est pas nouvelle. Ce fut toujours dans l'Église une coutume de mesurer la ferveur de sa piété à la promptitude même de la répulsion que lui inspiraient de semblables nouveautés. Les exemples abonderaient. Pour faire court, nous n'en citerons qu'un seul, que nous emprunterons de préférence au siège apostolique, afin que tous voient plus clair que le jour avec quelle vigueur, quel zèle, quels efforts, les bienheureux successeurs des bienheureux apôtres, ont défendu l'intégrité de la religion traditionnelle.

Jadis Agrippinus, de vénérable mémoire, évêque de Carthage29, fut le premier qui pensa, contrairement au canon divin, contrairement à la règle de l'Église universelle, contrairement à l'opinion de tous les évêques ses collègues, contrairement aux usages et aux institutions des aïeux, que l'on devait rebaptiser les hérétiques. Cette fausse théorie causa bien des maux : à tous [PAGE 35] les hérétiques elle donna un exemple de sacrilège, et même à certains catholiques une occasion d'erreur. Comme de toutes parts on réclamait contre la nouveauté de ce rite et que tous les évêques, en tout pays, résistaient chacun dans la mesure de son zèle, le pape Étienne30, de bienheureuse mémoire, qui occupait le siège apostolique, y fit opposition, avec ses autres collègues, il est vrai, mais plus qu'eux néanmoins : car il estimait, je pense, qu'il devait surpasser tous les autres par le dévouement de sa foi autant qu'il les dépassait par l'autorité de sa charge31.

Dans une lettre qu'il envoya en Afrique, il déclara, en propres termes, qu'il ne fallait rien innover, mais observer la tradition32. Il comprenait, cet homme saint et prudent, que la règle de la piété n'admet qu'une attitude : à savoir que les fils acceptent l'héritage des croyances des pères dans la même foi où leurs pères les ont eux-mêmes reçues. Il ne convient pas que nous menions la religion où il nous plaît, mais bien de nous laisser mener par elle. Le propre de l'humilité et de la gravité chrétiennes ne consiste pas à léguer à la postérité nos idées personnelles, mais à conserver le legs des ancêtres. — Et quelle fut l'issue de toute cette affaire ? — Pouvait-elle en avoir une autre que l'issue normale et accoutumée ? On garda la tradition, on repoussa avec mépris la nouveauté33.

Mais peut-être ces inventions toutes récentes manquèrent-elles de défenseurs ? Bien au contraire. Elles eurent à leur service tant de vigueur de génie, tant de flots d'éloquence, un si grand nombre de partisans, une si grande vraisemblance, tant de textes empruntés à l'Écriture mais compris d'une façon tout à fait nouvelle et fausse qu'elles devaient former une conspiration indestructible, si la nouveauté même, cause d'un si vigoureux effort, [PAGE 36] quelque soutenue, défendue et louée qu'elle ait été, n'avait provoqué en même temps leur ruine.

Quelle fut ultérieurement l'influence de ce concile ou de ce décret africain ? II n'en eut aucune, grâce à Dieu. Tout cela s'évanouit comme un songe, une fable et ne tarda pas à être aboli et foulé aux pieds.

Et par un surprenant retour des choses, vint un temps où ceux qui avaient jadis défendu la rebaptisation furent les vrais orthodoxes, alors que ceux qui reprenaient cette pratique furent accusés d'hérésie34. Les maîtres sont absous, et les disciples condamnés. Ceux qui ont écrit les livres seront enfants du Royaume, ceux qui les auront défendus auront la géhenne en partage (Mt 13, 38).

Qui serait assez fou pour douter que le bienheureux Cyprien, lumière de tous les saints évêques et martyrs, ne règne, ainsi que ses autres collègues, durant l'éternité avec le Christ ? Mais qui serait assez sacrilège pour nier que les donatistes et autres misérables, qui se prévalent pour rebaptiser de l'autorité de ce concile, ne doivent brûler éternellement avec le diable ?

[PAGE 37]

<-7. Tactique des hérétiques,
comment saint Paul les a dénoncés à l'avance

C'est, selon moi, le ciel lui-même qui a dicté ce jugement cela, en raison surtout de la perfidie des fauteurs d'hérésies, lesquels prennent bien garde de les produire sous leur propre nom, mais au contraire, s'ingénient à découvrir chez quelque ancien un passage obscur ou douteux, dont l'obscurité semble favoriser leur nouveau dogme, et se donnent ainsi l'apparence de n'être ni les seuls, ni les premiers à penser ce qu'ils avancent.

J'estime, quant à moi, cette perversité odieuse à un double titre : d'une part, ils ne craignent pas de faire boire aux autres le poison de l'hérésie, et d'autre part, d'une main profane, ils dispersent au vent, comme des cendres la mémoire d'un homme digne de respect. Ils diffament, en réveillant pareille théorie, des choses qu'il fallait laisser ensevelies dans le silence. Celui dont ils suivent les traces, leur modèle, c'est Cham qui, non seulement négligea de couvrir la nudité du vénérable Noé (cf. Gn 9, 21), mais qui la signala aux autres pour s'en moquer. En violant ainsi la piété filiale, Cham se rendit si coupable que ses descendants même furent enveloppés clans la malédiction qui frappa sa faute. Par contre ses frères, ne voulurent ni profaner de leurs regards la nudité d'un père qu'ils devaient respecter, ni en livrer le spectacle à autrui. Se détournant, dit l'Écriture, ils le couvrirent (ce qui signifie qu'ils n'approuvèrent ni ne blâmèrent la faute du saint homme), et ils furent, pour cela, gratifiés d'une heureuse bénédiction jusque dans leurs enfants. Mais revenons à notre sujet.

Autorité de saint Paul

Nous devons donc grandement redouter le sacrilège qui consiste à altérer la doctrine et à profaner la religion. Ce n'est pas seulement la discipline de la constitution de l'Église, c'est aussi la censure portée par l'autorité apostolique, qui nous l'interdit. Tout le monde sait avec quelle force, quelle sévérité, quelle véhémence, le bienheureux apôtre Paul s'élève contre certains hommes qui, avec une étrange légèreté, « avaient abandonné trop vite celui qui les avait appelés à la grâce du Christ, pour passer à un autre Évangile, quoiqu'il n'y en ait point d'autre » (Ga 6, 7), « qui s'étaient donné en foule des maîtres selon leur convoitise ; qui détournaient leurs oreilles de la vérité et se tournaient vers les fables » (2 Tm 4, 3-4), « attirant la condamnation parce qu'ils avaient rendue vaine leur première foi » (1 Tm 5, 12).

Ils s'étaient laissé tromper par ceux dont le même apôtre écrit dans l'Épitre aux Romains : « Je vous en prie, mes frères, surveillez ceux qui créent des dissensions et des scandales, contrairement à la doctrine que vous avez apprise. Détournez-vous d'eux. Ces gens-là ne servent point le Christ notre Seigneur, mais leur propre ventre ; et par de douces paroles et des bénédictions, ils séduisent les âmes simples » (Rm 16, 17-18). « Ils entrent dans les maisons et traînent captives des femmelettes chargées de péchés et mues par toutes sortes de désirs, apprenant toujours et n'arrivant jamais à la connaissance de la vérité » (2 Tm 3, 6-7). « Vains en paroles et séducteurs, qui bouleversent toutes les maisons et enseignent ce qu'ils ne devraient pas, pour un gain honteux » (Tt 1, 10-11) ».

« Hommes à l'esprit corrompu, que la foi condamne, orgueilleux qui ne savent rien, mais qui languissent sur des questions et des disputes de mots. Ils sont privés de la vérité et ils estiment que la piété est une source de vil profit » (1 Tm 6, 4-5). « Et de plus, oisifs, ils s'habituent à courir les maisons, et ils sont non seulement oisifs, mais verbeux et curieux, et ils disent ce qu'il ne faut pas » (1 Tm 5, 13). « Repoussant la bonne conscience, ils ont fait naufrage dans la foi » (1 Tm 1, 19). « Leurs profanes et vains discours profitent puissamment à l'impiété, et leur parole s'insinue comme la gangrène » (2 Tm 2, 16-17).

[PAGE 39] C'est à juste titre qu'il est écrit de ces mêmes hommes : « Ils ne feront pas d'autres progrès, car leur folie sera connue de tout le monde, comme celle de ces hommes le fut aussi » (2 Tm 3, 9)35.

[PAGE 40]

<- 8. Commentaire de l'Épître aux Galates, 1, 8-9

Quelques hommes de ce genre parcouraient les provinces et les cités, et, tout en colportant leurs erreurs comme une pacotille, étaient parvenus jusqu'aux Galates. À les écouter, ceux-ci éprouvèrent comme la nausée de la vérité. Ils rejetèrent la manne de la doctrine apostolique et catholique, et ils trouvèrent un charme aux méprisables nouveautés de l'hérésie36.

Alors se manifesta l'autorité de la puissance apostolique : « Même si nous-mêmes ou un ange du ciel vous évangélisaient autrement que nous ne vous avons évangélisés, qu'il soit anathème » (Ga 1, 8)37. Pourquoi dit- il « même si nous-mêmes » ? Pourquoi pas « même si moi... » ? C'est qu'il veut dire : lors même que Pierre, lors même qu'André, lors même que Jean, lors même enfin que tout le chœur des apôtres vous évangéliserait autrement que nous ne vous avons évangélisés, qu'il soit anathème. Rigueur qui fait trembler ! pour confirmer l'attachement à la foi première, il ne s'épargne pas lui- même, ni ses collègues dans l'apostolat.

C'est encore trop peu : « Même si un ange du ciel, dit- il, vous évangélisait autrement que nous ne vous avons évangélisés, qu'il soit anathème. » Il ne lui a pas suffi, pour défendre la foi traditionnelle, de mentionner la nature de l'humaine condition ; il a voulu y joindre aussi l'éminente nature des anges. « Même si nous-mêmes, dit-il, ou un ange du ciel… » Non que les saints anges du ciel puissent encore pécher ; mais il veut dire : « S'il arrivait même ce qui ne peut arriver, quel que soit celui qui tente de modifier la foi traditionnelle, qu'il soit anathème. »

[PAGE 41] Mais ces paroles, les a-t-il dites en passant et les a-t-il jetées avec une passion toute humaine, plutôt que par inspiration divine ? Loin de là. Car il poursuit, et il insiste sur cet avertissement en redoublant d'effort pour le faire entrer dans les esprits : « Je l'ai déjà dit et je le répète : si quelqu'un vous prêche un autre évangile que celui que vous avez appris, qu'il soit anathème. » Il ne dit pas : « Si quelqu'un vous annonce autre chose que ce que vous avez appris, qu'il soit béni, loué, accueilli », mais « qu'il soit anathème », c'est-à-dire séparé, rejeté du troupeau, exclu, afin que la redoutable contagion d'une seule brebis n'infecte pas de son poison l'innocent troupeau du Christ.

[PAGE 42]

<- 9. Portée universelle et permanente des préceptes de saint Paul

Mais peut-être ce précepte n'a-t-il été donné qu'aux Galates ? À ce prix, c'est donc aux seuls Galates que seraient prescrits les devoirs rappelés dans la suite de cette même lettre, ceux-ci par exemple : « Si nous vivons par l'esprit, marchons aussi selon l'esprit. Ne devenons pas avides d'une vaine gloire, en nous provoquant les uns les autres, en nous jalousant les uns les autres » (Ga 5, 25-26) et le reste. Si cette hypothèse est absurde et que ces prescriptions s'adressent à tous également, il en résulte que les dispositions doctrinales tout comme les préceptes purement moraux atteignent tous les hommes indistinctement. Et, comme il n'est permis à personne de provoquer autrui ni de jalouser autrui, qu'il ne soit permis à personne de recevoir un autre évangile que celui que l'Église catholique enseigne en tous lieux.

Peut-être encore ordonnait-il d'anathématiser quiconque prêchait une doctrine différente de celle qui avait été prêchée, sans que cela continue d'être encore ordonné présentement ? — Alors ce que l'apôtre déclare dans la même lettre : « Je vous dis : marchez selon l'esprit et vous n'accomplirez pas las désirs de la chair » (Ga 5, 16) était prescrit pour ce moment-là seulement, mais ne l'est plus maintenant. S'il est tout à la fois impie et désastreux de penser ainsi, il s'ensuit nécessairement que, de même que ces préceptes s'appliquent à tous les âges, les lois qui défendent de rien changer à la foi s'imposent également à tous les âges.

Il n'a donc jamais été permis, il n'est pas permis, et il ne sera jamais permis de prêcher aux chrétiens catholiques une autre doctrine que celle qu'ils ont reçue ; et jamais il n'a fallu, jamais il ne faut, jamais il ne faudra omettre d'anathématiser ceux qui annoncent autre chose que la doctrine une fois reçue. [PAGE 43] Dans ces conditions, est-il quelqu'un d'assez audacieux pour prêcher autre chose que ce qui a été prêché dans l'Église, ou d'assez léger pour accepter autre chose que ce que l'Église accepte ? Il crie et crie encore, à tous et toujours et partout, dans ses lettres, il crie, ce « vase d'élection » (Ac 9, 15), ce « docteur des Gentils » (1 Tm 2, 7), cette trompette des Apôtres, ce héraut de l'univers, ce confident des cieux, que si quelqu'un annonce un nouveau dogme, il faut l'anathématiser. Et voici d'autre part que réclament certaines grenouilles, moucherons et mouches, créatures d'un jour38. Je parle des pélagiens39, qui s'en vont dire aux catholiques : « Prenez-nous pour guides, pour chefs, pour interprètes ; condamnez ce à quoi vous adhériez, adhérez à ce que vous condamniez, rejetez l'ancienne foi, les institutions de vos pères, le dépôt des ancêtres, et recevez... » Quoi ? Je frémis de le dire : car leurs propos dénotent un tel orgueil qu'il me semble que je ne pourrais, sans une sorte de sacrilège, je ne dis pas les approuver, mais les réfuter même.

[PAGE 44]

<- 10. Pourquoi Dieu permet-il l'hérésie dans l'Église ?

Mais, dira-t-on, pourquoi donc Dieu permet-il que des personnages éminents, occupant un rang dans l'Église, annoncent aux catholiques des doctrines nouvelles ? La question est normale, et mérite d'être examinée avec plus de soin et de développement : nous allons essayer de le faire, non d'après nos idées personnelles, mais d'après l'autorité de la loi divine et l'enseignement du magistère de l'Église.

Écoutons donc le vénérable Moïse ; qu'il nous apprenne lui-même pourquoi des gens savants, et qui, en raison de leur science, sont même appelés prophètes par l'Apôtre, ont parfois licence d'introduire de nouveaux dogmes que l'Ancien Testament, en son langage allégorique, est accoutumé d'appeler « des dieux étrangers » – parce qu'en effet les hérétiques ont pour leurs propres opinions la même vénération que les païens pour leurs dieux.

Le bienheureux Moïse écrit donc dans le Deutéronome (Dt 13, 1-3) : « S'il s'élève au milieu de vous un prophète ou quelqu'un qui prétende avoir eu une vision… » – c'est-à-dire un docteur établi dans l'Église40, dont les enseignements paraissent à ses disciples ou ses auditeurs sortir de quelque révélation – ; et ensuite ? « et qu'il prédise un signe et un prodige, et que ce qu'il annonce arrive… » : c'est évidemment un maître illustre qu'il désigne ainsi, un maître d'une science telle qu'il semble à ses propres fidèles capable non seulement de connaître les choses humaines, mais encore de prévoir celles qui dépassent l'homme. Tels furent, d'après la façon dont leurs disciples les vantent, [PAGE 45] Valentin41, Donat, Photin, Apollinaire, et autres du même genre. Moïse poursuit : « S'il te dit alors : Allons suivre d'autres dieux que tu ignores et servons-les… » Qui sont ces « autres dieux », sinon les opinions erronées et hérétiques ? « Que tu ignores » : c'est-à-dire des opinions nouvelles et jamais entendues.

« Servons-les », c'est-à-dire croyons-y, suivons-les. Et comment conclut Moïse ? « Vous n'écouterez point les paroles de ce prophète ni de ce visionnaire. » Et pourquoi, je vous prie, Dieu n'empêche-t-il pas d'enseigner ce qu'il défend d'écouter ? Parce que, répond Moïse, « le Seigneur votre Dieu vous tente, pour qu'il apparaisse si vous l'aimez ou non, de tout votre cœur et de toute votre âme. »

On voit donc plus clair que le jour pourquoi, de temps à autre, la divine Providence souffre que certains docteurs des Églises prêchent de nouveaux dogmes : « C'est, dit-il, afin que le Seigneur votre Dieu vous tente » (Dt 13, 3). » Et à coup sûr c'est une grande tentation de voir un homme qu'on regarde comme un prophète, comme un disciple des prophètes, comme un docteur, comme un champion de la vérité, qu'on environne de respect et d'amour, se mettre tout d'un coup à introduire sourdement de dangereuses erreurs. On ne le découvre pas tout de suite, parce que l'on conserve envers lui le préjugé favorable, à cause de son enseignement antérieur. On hésite à condamner un ancien maître auquel on reste lié par une réelle affection.

[PAGE 46]

<- 11. Exemples de Nestorius, de Photin, d'Apollinaire

À l'appui des paroles de Moïse, je donnerai quelques exemples tirés de l'histoire de l'Église, comme il est normal. Je commencerai par des faits récents bien connus. Nous devinons sans peine l'épreuve de l'Église quand Nestorius42, de brebis devenu loup, se mit à déchirer le troupeau du Christ.

Ceux-là même qu'il mordait, pour la plupart encore le croyaient brebis et, du fait de cette erreur, s'offraient davantage à ses morsures. Pouvait-on croire qu'il se trompât aisément, cet homme qui avait été élu par les plus hauts suffrages du pouvoir impérial, que les évêques entouraient de tant de sympathies, qui était honoré de la vive affection des saints et de la plus ardente faveur populaire ; qui, chaque jour, traitait publiquement des divines Écritures et réfutait les dangereuses erreurs des juifs et des païens ? Comment n'aurait-il pas convaincu tout le monde qu'il enseignait la vérité, qu'il prêchait la vérité, et s'y conformait en pensée, lui qui, pour frayer accès à une seule hérésie, la sienne, poursuivait les mensonges des autres43 ? C'était bien là ce que dit Moïse : « Le Seigneur votre Dieu vous tente, pour voir si vous l'aimez ou non. »

Mais laissons Nestorius : il fut toujours plus admiré qu'utile, plus célèbre que vraiment sage ; et ce qui le fit grand durant quelque temps dans l'opinion du vulgaire, ce fut la faveur des hommes bien plutôt que la faveur divine. Rappelons plutôt le [PAGE 47] souvenir de ceux qui, avec succès et savoir-faire, devinrent pour les catholiques une redoutable tentation.

Le cas de Photin44

Au temps de nos pères, Photin fut en Pannonie, un sujet de scandale pour l'Église de Sirmium. Appelé au sacerdoce au milieu de la faveur générale, il l'administrait depuis quelque temps en vrai catholique, quand soudain, pareil à ce mauvais « prophète » ou à ce « visionnaire » dont parle Moïse, il se mit à persuader au peuple de Dieu qui lui était confié, de suivre « des dieux étrangers », c'est-à-dire des erreurs étrangères, que celui-ci ignorait auparavant.

Le fait n'avait en soi rien d'extraordinaire : mais ce qui était désastreux, c'est qu'au succès de son crime il apportait des appuis peu ordinaires : un esprit vigoureux, une riche érudition, une puissante éloquence. Il discutait et écrivait dans les deux langues avec force et abondance, comme le prouvent les œuvres littéraires qu'il a laissés, en grec, en latin45. Heureusement, les brebis du Christ commises à ses soins veillaient constamment sur la foi catholique. Prudentes, elles se rappelèrent bientôt les avertissements de Moïse, et, en dépit de leur admiration pour leur prophète et leur pasteur, elles s'aperçurent du péril. Celui qu'auparavant elles suivaient comme le bélier du troupeau, elles commencèrent dès ce moment à le fuir comme un loup.

L'histoire d'Apollinaire

Un autre exemple, celui d'Apollinaire46 nous apprend encore le péril de cette tentation ecclésiastique et nous avertit de veil-[PAGE 48]ler plus diligemment à la sauvegarde de la foi. Lui aussi causa à ses auditeurs de grands trouble, de grandes angoisses, tiraillés qu'ils étaient d'un côté par l'autorité de l'Église, de l'autre par le maître auquel ils étaient habitués. Et ainsi, hésitants et flottants entre les deux extrêmes, ils ne savaient quel parti prendre. Si du moins il avait été un être méprisable. Loin de là. Il était assez éminent et remarquable pour être cru trop vite sur bien des points. Qui pouvait le surpasser en finesse, en expérience, en érudition ? Combien d'hérésies n'a-t-il pas écrasées sous ses nombreux ouvrages47 ? Combien d'erreurs hostiles à la foi n'a-t-il pas réfutées ? Je n'en veux pour preuve que ce célèbre et immense travail qui ne comprend pas moins de trente livres et où il a confondu, par la force de ses preuves, les calomnies insensées de Porphyre48. Il serait trop long de rappeler toutes ses œuvres. Elles eussent pu, assurément, l'égaler aux plus fermes soutiens de l'Église, si la curiosité hérétique, passion profane, ne lui eût fait inventer je ne sais quel système qui entacha comme une lèpre ses travaux et les gâta. Sa doctrine devint pour l'Église beaucoup moins un sujet d'édification qu'un sujet de scandale.

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<- 12. Digression sur l'hérésie de Photin, d'Apollinaire et de Nestorius

Ici l'on me demandera peut-être d'exposer les hérésies de ceux dont j'ai parlé plus haut, Nestorius, Apollinaire et Photin. Et je pourrais répondre que la question n'est pas précisément de mon sujet49. Je ne me suis pas proposé de combattre des erreurs particulières, mais de démontrer par quelques exemples aussi clairs que possible ce que dit Moise, que si jamais un docteur de l'Église, prophète lui-même pour interpréter les mystérieuses vérités des prophètes, essaie d'introduire quelque nouveauté dans l'Église, c'est que la divine Providence le permet pour nous éprouver.

Il ne sera donc pas inutile, à ce titre, d'exposer brièvement, en manière de digression, les opinions des hérétiques dont il a été parlé, c'est-à-dire de Photin, d'Apollinaire et de Nestorius.

Photin

Voici la doctrine de Photin. Il dit que Dieu est unique et solitaire et qu'il faut le concevoir à la manière des juifs. Il nie la plénitude de la Trinité, l'existence d'une personne du Verbe et d'une personne du Saint- Esprit.

Quant au Christ, il prétend qu'il ne fut qu'un homme, purement et simplement, à qui il assigne Marie comme origine et il soutient sous mille formes que la personne de Dieu n'étant que celle du Père, le Christ, lui, n'est donc uniquement qu'un homme. Telles sont les idées de Photin50.

Apollinaire

Apollinaire, lui, se targue d'être d'accord avec nous sur l'unité de la Trinité – quoique sur ce point même sa foi ne soit pas irréprochable – ; mais en ce qui regarde l'incarnation du Seigneur, il blasphème ouvertement. Il dit que, dans la chair de notre Sauveur, ou [PAGE 50] bien il n'y eut point du tout d'âme humaine, ou du moins ni l'intelligence ni la raison d'un homme ne s'y seraient incarnées avec elle. La chair même du Seigneur n'aurait pas été formée de la chair de la sainte Vierge Marie, mais serait descendue du ciel en la Vierge et cette chair, Apollinaire, toujours fuyant et incertain, tantôt la déclarait coéternelle au Dieu Verbe, tantôt faite de la divinité du Verbe.

Il ne voulait pas, en effet, qu'il y eut dans le Christ deux substances, l'une divine, l'autre humaine, l'une venue du Père, l'autre de la mère. Il pensait que la nature même du Verbe était divisée, une partie restant en Dieu, et l'autre se changeait en chair. Ainsi, tandis que la vraie doctrine affirme qu'il y a un seul Christ formé de deux substances lui, contrairement à la vraie doctrine, soutient que, d'une même divinité, celle du Christ, il s'est formé deux substances. Telle est la théorie d'Apollinaire51.

Nestorius

Quant à Nestorius, sa maladie est tout opposée. Il feint de distinguer dans le Christ deux substances, et, soudain, il y introduit deux personnes. Par un crime inouï, il veut qu'il y ait deux fils de Dieu, deux Christs, l'un Dieu, l'autre homme, l'un né du Père, l'autre de la mère ; et, en conséquence, il soutient que la Vierge Marie ne doit pas être appelée « mère de Dieu », mais bien « mère du Christ »52, puisque ce n'est pas le Christ-Dieu, mais le Christ-homme qui est né d'elle.

Que l'on ne croie donc pas, après cela que Nestorius parle dans ses livres53 d'un seul Christ, et qu'il enseigne une seule personne dans le Christ. Ou bien il a arrangé ces belles paroles en vue de tromper, afin de mieux persuader le mal sous le couvert du bien, selon le mot de l'Apôtre : « Par le bien il a infligé la mort » (Rm 7, 13) ; ou, comme nous venons de le dire, c'est par supercherie qu'en quelques passages de ses écrits, il proclame à grand bruit sa foi en un seul Christ et en une seule personne dans le Christ ; – ou du moins, ce qui est sûr, c'est qu'il prétend qu'aussitôt après l'enfantement de la Vierge, les deux personnes se sont réunies en un seul Christ, de telle façon pourtant que, dans le temps de la [PAGE 51] conception ou de l'enfantement virginal, et un peu après, il y eut deux Christs54.

Ainsi le Christ serait né d'abord homme ordinaire, homme purement et simplement, non encore associé par l'unité de la personne au Verbe de Dieu ; puis la personne du Verbe se joignant à lui serait descendue en lui, et si maintenant il demeure ainsi uni dans la gloire de Dieu, il y eut cependant un moment où il semble n'y avoir eu nulle différence entre lui et le reste des hommes.

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<- 13. La vraie doctrine catholique sur la Trinité et la personne du Christ

Ainsi comme Nestorius, Apollinaire et Photin, des chiens enragés, aboient contre la foi catholique : Photin, en ne confessant pas la Trinité ; Apollinaire en prétendant que la nature du Verbe est susceptible de changement, en ne reconnaissant pas deux substances dans le Christ, en niant l'âme tout entière du Christ, ou tout au moins en refusant à cette âme l'intelligence et la raison, et en soutenant que le Verbe de Dieu tient en elle la place de l'intelligence ; Nestorius, en affirmant qu'il y eut en Jésus deux Christs, de façon permanente ou à un moment donné.

Mais l'Église catholique, qui possède sur Dieu et sur notre Sauveur la vraie doctrine, ne blasphème ni contre le mystère de la Trinité, ni contre l'Incarnation du Christ55. Elle vénère une divinité unique dans la plénitude de la Trinité, et l'égalité de la Trinité dans une seule et même majesté. Elle ne confesse qu'un seul Jésus- Christ, non deux, un Christ tout à la fois Dieu et homme. Elle reconnaît en lui une seule personne, mais deux substances ; deux substances, mais une seule personne ; deux substances, parce que le Verbe de Dieu est immuable et ne peut se convertir en chair ; une seule personne, de peur qu'en proclamant deux Fils, elle ne paraisse adorer une Quaternité et non une Trinité.

Mais il ne sera pas inutile d'expliquer ce point d'une manière encore plus claire et explicite. En Dieu, il y a une seule substance, mais trois personnes. Dans le Christ, il y a deux substances, mais une seule personne. Dans la Trinité, il y a plusieurs per-[PAGE53]sonnes, non plusieurs substances : dans le Sauveur, il y a plusieurs substances, non plusieurs personnes. Comment peut-il y avoir plusieurs personnes dans la Trinité, et non plusieurs substances ? Parce que autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit56. Et pourtant le Père, le Fils et le Saint-Esprit n'ont pas trois natures différentes, mais une seule et même nature.

Comment peut-il y avoir dans le Sauveur deux substances, et non deux personnes ? Parce qu'effectivement autre est la substance de la divinité, autre est la substance de l'humanité ; mais pourtant la divinité et l'humanité ne constituent pas deux personnes, mais un seul et même Christ, un seul et même Fils de Dieu, une seule et même personne d'un seul et même Christ. Fils de Dieu ; de même que, dans l'homme, la chair est une chose et l'âme en est une autre, et il n'y a cependant qu'un seul et même homme, âme et chair tout à la fois57.

Chez Pierre ou chez Paul, autre chose est l'âme, autre chose est la chair : il n'y a pourtant pas deux Pierres, chair et âme ; il n'y a pas un Paul âme et un autre chair, mais un seul et même Pierre, un seul et même Paul, constitué par la double et diverse nature de l'âme et du corps.

De même il y a, dans un seul et même Christ, deux substances : mais l'une est divine, l'autre humaine ; l'une procède de Dieu, son père, l'autre de la Vierge, sa mère ; l'une est coéternelle et égale au Père, l'autre temporelle et inférieure au Père ; l'une consubstantielle au Père, l'autre consubstantielle à la mère. Et cependant il n'y a qu'un même Christ dans l'une et l'autre substance58. Il n'y a donc pas un Christ Dieu et un Christ [PAGE 54] homme ; l'un incréé et l'autre créé ; l'un impassible, l'autre passible ; l'un égal au Père, l'autre inférieur au Père ; l'un né du Père, l'autre de la mère. Il n'y a qu'un seul et même Christ, Dieu et homme ; c'est le même qui est à la fois incréé et créé ; immuable, impassible, et muable, passible ; égal au Père et inférieur au Père ; né du Père avant le temps et engendré de la mère dans le temps ; Dieu parfait et homme parfait59 ; divinité suprême en tant que Dieu, humanité complète en tant qu'homme. Je dis : humanité complète, puisqu'elle possède à la fois l'âme et la chair : mais une chair véritable, semblable à la nôtre, directement reçue de sa mère ; une âme douée d'intelligence, et ayant la faculté de penser et de raisonner.

Il y a donc dans le Christ, le Verbe, l'âme, la chair, mais tout cela ne forme qu'un seul Christ, un seul fils de Dieu et, pour nous, un seul sauveur, un seul rédempteur. Un seul, non par je ne sais quel mélange corruptible de divinité et d'humanité, mais par une entière et spéciale unité de personne. Et cette union ne convertit ni ne transforme une substance en l'autre (ce qui est proprement l'erreur des ariens60) : mais plutôt elle les assemble toutes deux en une, de telle sorte que, d'une part le caractère unique d'une seule et même personne subsiste toujours dans le Christ, et d'autre part la qualité propre à chaque nature se maintient éternellement.

Et ainsi jamais Dieu ne commence à être corps, et à aucun moment le corps ne cesse d'être corps. L'exemple de la condition humaine peut aider ici à me faire comprendre. Ce n'est pas seulement dans le présent, mais aussi dans l'avenir que chaque homme se composera d'une âme et d'un corps ; et cependant jamais le corps ne se changera en âme, ni l'âme en corps. Chaque homme étant destiné à vivre sans fin, nécessairement dans chaque homme la différence des deux substances subsistera sans fin. De [PAGE 55] même, dans le Christ aussi, il faut maintenir que la propriété particulière de chacune des deux substances subsistera éternellement, sans néanmoins que l'unité de la personne en soit altérée.

[PAGE 56]

<- 14. Comment Dieu s'est fait homme véritable

Il nous arrive assez souvent de prononcer le mot de « personne »61, de dire que Dieu est devenu homme « en personne » : n'avons-nous pas à craindre sérieusement de paraître entendre par là que Dieu le Verbe ait pris ce qui est propre à notre humanité, simplement en imitant nos actes ; qu'il ait accompli les gestes de la vie humaine comme un homme fictif, non comme un homme réel : tel un acteur qui, au théâtre, représente en peu de temps plusieurs personnages, sans être lui-même aucun d'eux62 ? Car toutes les fois qu'on imite les action d'un autre, on reproduit ses fonctions et ses actes, mais de telle manière qu'en les exécutant on n'est point soi-même ceux que l'on feint d'être.

Pour me servir d'un exemple profane [employé aussi par les manichéens63], lorsqu'un tragédien joue un rôle de prêtre ou de roi, il n'est ni prêtre ni roi : la pièce finie, le personnage qu'il figurait n'existe plus. Mais loin de nous cette dérision impie et criminelle ! Abandonnons aux manichéens, à ces prédicateurs de fantômes, cette folie de prétendre que le fils de Dieu, Dieu lui-même, n'ait pas été substantiellement personne humaine, et [PAGE 57] que, par une vie et des actes fictifs, il ait fait semblant de l'être64.

La foi catholique affirme, elle, que le Verbe de Dieu s'est fait homme, et qu'il a pris notre nature non pas d'une manière trompeuse et purement extérieure, mais vraiment et réellement ; qu'il faisait pour son compte les actes propres à l'homme, et qu'il ne se contentait point de les imiter comme les actes d'un autre ; que ce qu'il accomplissait existait effectivement, et que, tel il agissait, tel il était en fait – de même que nous autres, dans ce que nous disons, pensons, vivons et sommes constamment, nous ne jouons pas l'homme, nous sommes hommes pour de bon.

Pierre et Jean, pour les nommer de préférence, étaient hommes non point par imitation, mais substantiellement. Paul ne feignait pas d'être apôtre, il ne jouait pas le rôle de Paul ; il était l'Apôtre, il restait Paul immuablement.

Pareillement, Dieu le Verbe, en prenant et en gardant la chair, en parlant, en agissant, en souffrant dans la chair, sans que sa nature subit pourtant aucune corruption, a jugé bon de montrer qu'il n'imitait ni ne contrefaisait l'homme parfait, mais qu'il le réalisait authentiquement. Il ne voulait pas paraître seulement ou se faire croire homme véritable ; il voulait l'être et le demeurer.

De même que l'âme s'unit à la chair sans se muer en chair, et n'imite point l'homme, mais est homme, homme non par contrefaçon, mais substantiellement ; de même le Verbe de Dieu – sans éprouver aucune transformation, en s'unissant à l'homme sans se confondre avec lui – est devenu homme, non par imitation, mais par substance.

Il faut donc complètement rejeter cette façon de comprendre la « personne » qui suppose une imitation feinte, une différence entre l'apparence et la réalité, entre celui qui joue et celui qui est représenté. Loin de nous l'idée que le Dieu Verbe ait revêtu d'une manière si décevante la personne humaine. Croyons plutôt que, sa substance demeurant constamment immuable, il a pris la nature d'un homme parfait en soi, chair lui-même, homme [PAGE 58] lui-même, et personne non simulée, mais véritable ; non imitée, mais substantielle : personne qui ne devait point cesser d'être, une fois la pièce jouée65, mais qui devait demeurer intégralement dans sa substance.

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<- 15. L'unité de personne dans le Christ dès la conception virginale

Cette unité de personne dans le Christ ne s'est point resserrée et parfaite après l'enfantement de la Vierge, mais dans le sein même de la Vierge. Nous devons faire grande attention à confesser non, seulement l'unité du Christ, mais aussi sa constante unité. Ce serait un blasphème intolérable, de reconnaître d'une part son unité présente, et de soutenir d'autre part qu'à tel moment il ne fut pas un, mais deux : un depuis le baptême, deux au moment de sa naissance66.

Cet énorme sacrilège, nous ne pouvons l'éviter qu'à condition d'affirmer que l'homme a été uni à Dieu dans l'unité de la personne, non depuis l'ascension, ni depuis la résurrection, ni depuis le baptême, mais déjà dans sa mère, dans le sein maternel, déjà enfin dans la conception virginale elle-même. C'est en raison de cette unité de personne qu'on attribue indifféremment et sans distinction à l'homme ce qui est le propre de Dieu, et à Dieu ce qui est le propre de la chair67.

De là, la parole divinement inspirée : « Le Fils de l'homme est descendu du ciel » (Jn 3, 13) et « le Seigneur de majesté a été crucifié » (1 Co 2, 8) sur la terre. C'est pourquoi aussi il est dit que « le Verbe » même de Dieu « a été fait » (Jn 1, 14), que la sagesse de Dieu a été portée à son comble, que sa science a été créée, alors que c'est la chair du Seigneur qui a été faite, la chair du Seigneur qui a été créée : de même que chez les prophètes il est dit que « ses mains et ses pieds ont été percés » (Ps 21, 17). Par suite de cette unité de personne, dis-je, et en vertu [PAGE 60] du même mystère, il est parfaitement catholique de croire que, puisque la chair du Verbe est née d'une mère Vierge, c'est le Dieu-Verbe lui-même qui est né d'une Vierge : le nier serait une très grave impiété.

Dès lors, que personne n'essaye de dérober à la Vierge Marie le privilège de la grâce divine et sa gloire spéciale. Par un particulier bienfait du Seigneur, notre Dieu et son fils, on doit la proclamer en toute vérité et pour son plus grand bonheur Mère de Dieu ; Mère de Dieu, non pas dans le sens où l'entend une erreur impie qui prétend que ce nom n'est qu'un simple titre, dû à ce qu'elle a engendré un homme qui est devenu Dieu depuis lors : de même que la mère d'un prêtre, la mère d'un évêque, n'enfante pas un prêtre, ni un évêque, mais un homme qui, plus tard, devient prêtre ou évêque. Ce n'est pas ainsi, dis-je, que la sainte Marie est Mère de Dieu : elle l'est, ainsi qu'il a été dit plus haut, en ce sens que déjà dans son sein sacré ce mystère sacro-saint s'est accompli ; en raison de cette imité particulière et unique de la personne, le Verbe est chair dans la chair, et l'homme est Dieu en Dieu68.

[PAGE 61]

<- 16. Résumé des erreurs
Rappel de la doctrine catholique

Résumons brièvement en peu de mots, pour en rafraîchir le souvenir, le court exposé qui vient d'être fait sur les hérésies citées plus haut et sur la foi catholique. En le répétant, nous le ferons mieux comprendre et, par cette insistance, nous le graverons plus profondément.

Anathème69 à Photin qui n'admet pas la plénitude de la Trinité et qui proclame que le Christ n'est purement et simplement qu'un homme.

Anathème à Apollinaire qui prétend que la divinité du Christ s'est transformée et corrompue, et qui lui enlève le caractère spécifique d'une humanité parfaite.

Anathème à Nestorius qui nie que Dieu soit né d'une vierge et qui, ruinant la croyance à la Trinité, introduit une quaternité.

Mais heureuse l'Église catholique qui vénère un seul Dieu dans la plénitude de la Trinité, et aussi l'égalité de la Trinité dans une divinité unique : en sorte que ni l'unité de substance n'entraîne de confusion dans le caractère propre des personnes, ni la distinction entre les trois personnes ne rompt l'unité de la divinité. Heureuse, dis- je, l'Église qui croit que, dans le Christ, il y a deux substances véritables et parfaites, mais une seule personne ; de telle manière que ni la distinction des natures ne divise l'unité de la personne, ni l'unité de la personne ne brouille la différence des substances.

Heureuse, dis-je, l'Église qui, pour montrer qu'il y a et qu'il y a toujours eu un seul Christ, professe que l'homme s'est uni à Dieu non après l'enfantement, mais dès le sein même de sa mère.

[PAGE 62] Heureuse, dis-je, l'Église qui comprend que Dieu s'est fait homme, non par changement de nature, mais par adjonction de personne – une personne non feinte, ni transitoire, mais substantielle et permanente.

Heureuse, dis-je, l'Église qui enseigne que cette unité de personne a tant de force que, par un admirable et ineffaçable mystère, elle confère à l'homme ce qui est de Dieu et à Dieu ce qui est de l'homme70.

En raison de cette unité, elle ne se refuse pas à dire que l'homme soit, en tant que Dieu, descendu du ciel et elle croit que Dieu, en tant qu'homme, a été créé, a souffert, a été crucifié sur terre. À cause de cette même unité enfin, elle confesse que l'homme est fils de Dieu et que Dieu est fils d'une vierge.

Heureuse, vénérable, bénie, sacro-sainte et digne en tout de la louange céleste des anges est donc cette doctrine qui glorifie par une triple sanctification un Dieu Seigneur unique71. Car si elle insiste surtout sur l'unité du Christ, c'est pour ne point dépasser les limites du mystère de la Trinité.

Que cela soit dit en manière de digression. Ailleurs, s'il plaît à Dieu, nous en parlerons avec plus d'ampleur et de développement. Revenons maintenant à notre sujet.

[PAGE 63]

<-> 17. Exemple d'Origène

Nous disions donc plus haut72 que, dans l'Église de Dieu, l'erreur du maître est tentation pour le peuple ; et tentation d'autant plus grande que celui qui se trompe est plus savant. Nous le prouvions d'abord par l'autorité de l'Écriture, ensuite par des exemples de l'histoire ecclésiastique, en rappelant ces hommes qui, regardés quelque temps comme fidèles à la saine doctrine, sont finalement tombés dans une secte étrangère ou ont eux- mêmes fondé une hérésie personnelle

C'est là, à coup sûr, un grand enseignement, utile à apprendre et nécessaire à rappeler. Il est bon de l'illustrer abondamment par quantité d'exemples et de le faire entrer dans les esprits, afin de montrer à tous les vrais catholiques qu'ils doivent écouter les docteurs avec l'Église, mais non pas abandonner la foi de l'Église avec les docteurs.

Nous pourrions citer bien des exemples de cette sorte de tentation. Mais il n'est personne, ce me semble, qui puisse être comparé à Origène pour le scandale qu'il causa73. Cet homme eut des dons si remarquables, si rares, si surprenants qu'au premier abord l'on put ajouter foi à toutes ses affirmations. Car si la manière de vivre crée l'autorité, grand était son zèle, grande sa chasteté, sa patience, son endurance ; et si c'est la naissance ou l'érudition, quoi de plus noble que celui qui d'abord naquit d'une maison illustrée par le martyre74, puis, après avoir [PAGE 64] perdu au service du Christ son père et aussi toute sa fortune, se sanctifia si bien dans une existence étrécie par une sainte pauvreté, qu'il souffrit plusieurs fois, dit-on, pour avoir confessé le Seigneur75 ?

Il eut bien d'autres qualités encore qui, plus tard, devaient aider au scandale. Son génie était si fort, si profond, si vif, si élégant, qu'il dépassait de bien loin tous les autres. Sa connaissance de la doctrine, son érudition si magnifiques, qu'il y eut peu de parties des sciences divines et à peu près aucune des sciences humaines qu'il n'ait approfondies. Quand son savoir eut épuisé les choses grecques, il se mit aussi aux études hébraïques.

Est-il besoin encore de rappeler son éloquence ? sa parole avait tant de charme, tant de fluide abondance, tant de douceur, qu'on dirait qu'il découle de sa bouche non des mots, mais du miel76 ! Quoi de si malaisé à persuader qu'il n'ait rendu limpide par la force de sa dialectique ? Quoi de si difficile à faire qu'il n'ait réussi à faire paraître très facile ?

— Mais peut-être n'a-t-il formé la trame de ses exposés que d'une suite d'arguments77 ?

— Bien au contraire, il n'est point de maître qui ait eu plus souvent recours aux exemples empruntés à la loi divine.

— Et n'aurait-il que peu écrit ?

— Nul homme n'écrivit davantage. Il serait, je crois, impossible, je ne dis pas de lire tous ses ouvrages, mais de les trouver même78. Et afin que rien ne lui manquât pour devenir savant, il eut une surabondante mesure d'années.

— Mais peut-être ne fut-il pas heureux avec ses disciples ?

— Qui fut plus heureux sous ce rapport ? Innombrables sont les docteurs, les prêtres, les confesseurs, les martyrs se réclamant de lui79.

[PAGE 65] Et qui pourrait dire l'admiration, la gloire, le crédit dont il jouit auprès de tous ? Quel homme un peu zélé pour la religion qui ne soit accouru vers lui des parties les plus reculées de l'univers ? Quel est le chrétien qui ne le vénéra presque comme un prophète, quel est le philosophe qui n'eut pour lui le respect dû à un maître ? De quel respect l'entourèrent non seulement les simples particuliers, mais le pouvoir impérial même, l'histoire nous le dit. Elle raconte que la mère de l'empereur Alexandre le fit venir, surtout à cause de cette sagesse divine dont il avait le privilège et qu'elle aimait ardemment80.

Un témoignage analogue, émanant d'Origène lui- même, nous est fourni par la lettre qu'il écrivit avec l'autorité d'un maître chrétien à l'empereur Philippe, le premier prince romain qui ait été chrétien81.

Quant à son incroyable science, si l'on n'accepte pas de notre part un témoignage chrétien, qu'on en croie du moins, sur l'attestation des philosophes, un aveu païen. Cet impie de Porphyre raconte qu'encore presque enfant, il fut attiré à Alexandrie par la renommée d'Origène82. Celui-ci était déjà vieux quand Porphyre le vit, mais il avait tout le prestige d'un homme qui aurait bâti la citadelle de la science universelle.

Le jour se passerait avant que j'aie tout au plus faiblement effleuré les admirables qualités de cet homme. Toutes ces qualités, hélas, ne tournèrent pas à la gloire de Dieu : elles ne donnèrent que plus de retentissement à la gravité du scandale83.

Pouvait-il y avoir beaucoup de gens disposés à faire bon marché d'un si grand génie, d'une si grande science, d'un si grand crédit ? Ne devaient-ils pas plutôt se conformer à la maxime connue : « Mieux vaut se tromper avec Origène que d'avoir raison avec d'autres84 » ?

[PAGE 66] Pourquoi en dire davantage ? La chose en vint au point qu'une si haute personnalité, un si grand docteur, un si grand prophète fut cause d'une tentation non point banale, mais (l'événement le démontra) singulièrement périlleuse, qui détourna un bon nombre de l'intégrité de la foi.

C'est pourquoi ce même Origène, si grand qu'il ait été, pour avoir insolemment abusé de la grâce divine, pour s'être complu dans son propre talent et avoir eu trop de confiance en soi-même, pour avoir fait peu de cas de l'antique simplicité de la religion chrétienne, pour s'être figuré qu'il en savait à lui seul plus que tout le monde, pour avoir méprisé les traditions de l'Église et le magistère des anciens, pour avoir interprété d'une façon nouvelle certains passages des Écritures, a mérité qu'il fût dit de lui aussi à l'Église de Dieu : « S'il s'élève du milieu de vous un prophète… » et un peu plus loin : « Vous n'écouterez point les paroles de ce prophète » (Dt 17, 13). Et encore : « Parce que le Seigneur vous tente et veut savoir si vous l'aimez ou non ».

Oui, ce fut une tentation, une grande tentation, quand cette Église qui lui était dévouée, qui prenait sur lui son appui parce qu'elle admirait son génie, sa science, son éloquence, sa vie et son crédit, cette Église qui ne soupçonnait rien, qui ne craignait rien de lui, fut insensiblement détournée par lui de l'antique religion vers de profanes nouveautés.

Mais les livres d'Origène ont été falsifiés (dira-t- on)85. Je n'y contredis pas, bien plus, je le souhaite ; on l'a dit et écrit non pas seulement du côté catholique, mais même chez les hérétiques. Mais le point sur lequel nous devons présentement porter notre attention, c'est que sinon lui-même, du moins les livres publiés sous son nom, sont cause d'un grand scandale. Ils fourmillent de blasphèmes mortels. On les lit, on les aime, comme s'ils étaient l'œuvre d'Origène lui-même, et non celle d'un autre. Même s'il n'a pas professé ces erreurs, il les couvre de son autorité86.

[PAGE 67]

<- 18. Exemple de Tertullien

Le cas de Tertullien en fut analogue87. Comme Origène chez les Grecs, Tertullien doit être jugé sans contredit le premier des nôtres parmi les Latins88. Qui fut plus savant que cet homme ? Qui eut sa compétence dans les choses divines et humaines ? De fait, toute la philosophie, toutes les sectes philosophiques, leurs fondateurs, leurs partisans et les systèmes défendus par ceux-ci, l'histoire et la science sous leurs formes multiples, voilà ce qu'embrassa la merveilleuse ampleur de son intelligence.

Son génie fut si profond et si vigoureux, qu'il n'est pas de pensée qu'il n'ait dominée par la pénétration et la finesse de son esprit et la puissance de son raisonnement.

Qui pourrait faire assez l'éloge de son style ? Tout s'y enchaîne avec une sorte de rigueur logique, si frappante qu'il force ceux même qu'il n'a pu persuader, à adhérer à ses vues. Chez lui, autant de mots, autant de pensées ; autant d'idées, autant de victoires. Ils le savent bien, les Marcion, les Apelle, les Praxéas, les Hermogène89, les juifs, les Gentils, les gnostiques et tant d'autres, dont il a foudroyé les blasphèmes sons la masse de ses nombreux et importants ouvrages.

Et pourtant, après tout cela, ce Tertullien, trop peu attaché à la foi antique et universelle, et bien plus éloquent que fidèle, changea ensuite d'idée et aboutit au résultat qu'a marqué à son [PAGE 68] propos le bienheureux confesseur Hilaire90 : « Par son erreur a-t-il écrit quelque part, Tertullien fit perdre à ses ouvrages les plus louables leur autorité. »

Il fut lui-même dans l'Église une grande tentation. Je n'en veux pas dire davantage : je rappellerai seulement qu'en ajoutant foi, en dépit du précepte de Moïse aux folies furieuses de Montan, alors nouvelles dans l'Église91, et aux folles visions de sottes femmes92 qui annonçaient un dogme nouveau, il mérita qu'il fût dit de lui aussi et de ses écrits : « S'il s'élève du milieu de vous un prophète. » Et ensuite : « Vous n'écouterez pas les paroles de ce prophète. » Pourquoi ? Parce que, est-il dit, « le Seigneur votre Dieu vous tente, pour voir si vous l'aimez ou non. »

[PAGE 69]

<- 19. Conclusion qui se dégage de ces exemples

Le poids d'exemples si nombreux et si décisifs, sans compter tous ceux que nous fournirait encore l'histoire de l'Église, doit solliciter notre attention et nous faire comprendre plus clair que le jour les règles du Deutéronome. Si un maître de l'Église s'écarte de la foi, la Providence divine le permet pour nous tenter, « pour voir si, oui ou non, nous aimons Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme » (Dt 13, 1-3).

[PAGE 70]

<- 20. Le vrai catholique et l'hérétique

Ainsi est catholique véritable et authentique, qui chérit la vérité de Dieu, l'Église, « le corps du Christ » (Ep 1, 23) ; qui ne met rien au-dessus de la foi catholique : ni l'autorité, ni l'affection, ni le génie, ni l'éloquence, ni la philosophie d'un homme, quel qu'il soit : qui, méprisant tout cela, fermement et inébranlablement attaché à la foi, est résolu à n'admettre et à ne croire que les vérités universellement admises par l'Église catholique depuis les temps anciens ; et qui comprend enfin que toute doctrine nouvelle et inouïe, insinuée par un seul homme en dehors de l'avis général des saints ou contre cet avis, n'a rien de commun avec la religion : elle constitue bien plutôt une tentation, selon l'enseignement du bienheureux apôtre Paul.

Voici ce que Paul écrit dans la Première épître aux Corinthiens : « Il faut qu'il y ait des hérésies, afin qu'on découvre ceux qui, parmi vous, sont d'une vertu éprouvée » (1 Co 11, 19). Cela revient à dire : Dieu n'extirpe pas immédiatement les hérésiarques, afin qu'on découvre parmi vous les chrétiens qui sont d'une vertu éprouvée, c'est-à-dire afin qu'on voie en quelle mesure chacun est constant, fidèle, inébranlable dans son amour pour la foi catholique.

En fait, dès que quelque nouveauté fermente, les grains de blé se séparent tout de suite, grâce à leur pesanteur, d'avec la légèreté des brins de paille (Mt 3, 12) : sans grand effort est projeté hors de l'aire tout ce qui n'y est point retenu par son poids. Les uns s'envolent aussitôt ; les autres, agités seulement, craignent de périr, rougissent de revenir93. Blessés, à demi morts et à demi vivants, ils ont avalé une dose de poison qui ne tue pas, mais [PAGE 71] ne peut être éliminé ; elle n'entraîne pas nécessairement la mort et pourtant ne permet plus de vivre94.

Quelle pitoyable situation ! Quelles angoisses les agitent ! Quels tourbillons les assaillent ! Tantôt ils sont le jouet du vent : emportés par l'erreur. Tantôt ils se replient sur eux-mêmes, et comme des corps ils sont rejetés par les vagues sur la grève95. Ils accueillent parfois ce qui est incertain avec une audace téméraire, à d'autres moments, une peur irraisonnée les fait douter des vérités les plus sûres. Ils ne savent où aller, par où revenir, que souhaiter, que fuir, que soutenir, que rejeter.

Ces tracas d'un cœur hésitant et mal affermi sont le remède que la divine miséricorde réserve à leur sagesse. Si, loin du port assuré de la foi catholique, ils sont ainsi secoués, battus, menacés dans leur vie par les multiples orages de leurs pensées, c'est pour qu'ils carguent ces voiles, frissonnantes au vent du large, que leur orgueil laissait coupablement se gonfler du vent des nouveautés ; c'est pour qu'ils reviennent et demeurent à l'abri si fidèle que leur offre leur paisible et bonne mère et pour qu'ils rejettent le flot amer et trouble de l'erreur, afin de s'abreuver désormais à la source « d'eau vive et jaillissante » (Jn 4, 10.14). Qu'ils désapprennent pour leur bien ce qu'ils avaient appris contre leur bien, et que, de l'ensemble du dogme de l'Église, ils comprennent ce que l'intelligence peut comprendre, et croient ce qui n'est point susceptible d'être compris !

[PAGE 72]

<- 21. Commentaire de 1 Timothée 6, 20-21

Plus je réfléchis à tout cela, plus je m'étonne de la folie de certains, de l'impiété de leur âme aveugle, de leur passion pour l'erreur.

Au lieu de se contenter de la règle de foi traditionnelle, admise une fois pour toutes dès l'antiquité, il leur faut chaque jour du nouveau et encore du nouveau ; ils sont toujours impatients d'ajouter quelque chose à la religion, d'y changer, d'en retrancher ; comme s'il ne s'agissait pas d'un dogme céleste, une fois pour toutes révélé, mais d'une institution purement humaine, qui ne peut être conduite à sa perfection que par de continuels amendements ou plutôt par de continuelles corrections.

Les oracles divins ne crient-ils pas : « Ne déplace point les bornes qu'ont posées tes pères » (Pr 22, 28) ? – « Ne juge point quand le juge a jugé » (Si 8, 17) ? – « Celui qui coupe la haie sera mordu par le serpent » (Qo 10, 8) – ou encore cette parole apostolique qui, tel un glaive spirituel, frappe à la tête et frappera toujours les nouveautés scélérates de l'hérésie : « Ô Timothée, garde le dépôt96, évitant les profanes nouveautés de paroles et les objections d'une prétendue science. Quelques-uns, pour s'y être attachés, se sont égarés loin de la foi » (1 Tm 6, 20) ?

Et après cela, il y aura des gens assez entêtés, d'une impudence assez vigoureuse, d'une obstination assez invincible pour ne pas céder au poids de ces divines paroles, pour ne pas fléchir sous une masse pareille, pour ne pas être ébranlés par de tels coups de maillet, enfin pour n'être pas pulvérisés par de pareilles foudres ?

[PAGE 73]

« Évite, dit-il, les profanes nouveautés de paroles97. » Il n'a pas dit « les antiquités » ; il n'a pas dit « les choses anciennes ». Non, mais il montre au contraire ce qu'il préfère : car si l'on doit éviter la nouveauté, c'est donc qu'il faut s'en tenir à l'antiquité ; et si la nouveauté est profane, c'est donc que l'antiquité est sacrée. « Les objections, ajoute-t-il, d'une prétendue science ». Car on ne peut appeler science les doctrines hérétiques : ils fardent leur ignorance en l'appelant science, clartés leurs obscurités, lumière leurs ténèbres. « Quelques-uns, pour s'y être attachés, se sont égarés loin de la foi. » Que promettaient-ils quand ils sont tombés, sinon je ne sais quelle doctrine nouvelle et ignorée ?

On entend dire à certains d'entre eux : « Venez, pauvres ignorants, que l'on appelle communément catholiques ; apprenez la vraie foi, que personne, sauf nous, ne comprend. Elle est demeurée cachée pendant nombre de siècles et vient seulement d'être révélée et produite au jour. Mais apprenez-la furtivement, en secret ; elle vous charmera ; et quand vous l'aurez apprise, enseignez-la à la dérobée, afin que le monde ne l'entende pas et que l'Église l'ignore ; car il n'est permis qu'au petit nombre de pénétrer le secret d'un si grand mystère98. »

Ne sont-ce pas là les propos de cette courtisane qui, dans les Proverbes de Salomon, appelle à soi les passants qui vont leur chemin (Pr 9, 15-18) ? « Que le plus insensé d'entre vous se détourne vers moi. » Elle invite les pauvres d'esprit en leur disant : « Prenez volontiers d'un pain caché ; buvez furtivement l'eau savoureuse. » Et que dit ensuite l'auteur sacré ? « Celui-là ignore que les fils de la terre périssent auprès d'elle. » Qui sont ces fils de la terre ? L'Apôtre le montre : ce sont ceux qui, dit-il, « se sont égarés loin de la foi ».

[PAGE 74]

<- 22. Fin du commentaire

Mais tout ce passage de l'Apôtre vaut la peine d'être expliqué de plus près. « Ô Timothée, dit-il, garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles. » – « Ô Timothée », exclamation dictée tout à la fois par la prescience et par la charité. Paul prévoyait les erreurs à venir et il s'en affligeait d'avance. Qui est aujourd'hui Timothée, sinon l'Église universelle, en général, et spécialement le corps tout entier des chefs de l'Église qui doivent posséder eux-mêmes et verser aux autres la science complète du culte divin99 ?

– Qu'est-ce à dire : « Garde le dépôt » ? Garde-le, dit- il, à cause des voleurs, à cause des ennemis, de peur que, pendant que les gens dorment, ils ne viennent semer l'ivraie par dessus le bon grain de froment que le Fils de l'homme a semé dans son champ (cf. Mt 13, 24 et suiv.). « Garde le dépôt », dit-il. Qu'est-ce que le dépôt ? Un dépôt, c'est ce qu'on vous a confié, non ce que vous avez découvert ; ce que vous avez reçu et non ce que vous avez inventé ; une chose qui ne provient pas de notre intelligence mais de la doctrine ; qui n'est pas d'usage privé, mais de tradition publique ; une chose qui vous est venue et qui n'a pas été créée par vous ; dont vous n'êtes point l'auteur, mais dont vous devez être le simple gardien ; dont vous n'êtes pas l'initiateur, mais le sectateur ; une chose que vous ne réglez pas, mais sur laquelle vous vous réglez.

« Garde le dépôt », dit-il : conserve à l'abri de toute violation et de tout attentat le « talent » (Mt 25, 15) de la foi catholique. [PAGE 75] Que ce qui vous a été confié reste chez vous pour être transmis par vous. Vous avez reçu de l'or ; c'est de l'or qu'il faut restituer. Je ne veux pas que vous substituiez une chose à une autre : je ne veux pas qu'au lieu d'or vous me présentiez impudemment du plomb ou frauduleusement du cuivre ; je ne veux pas ce qui ressemble à l'or, mais de l'or authentique.

« Ô Timothée », ô prêtre, ô interprète, ô docteur, si la faveur divine t'a accordé le talent, l'expérience, la science, sois le Béséléel du tabernacle spirituel (cf. Ex 31, 2 et suiv.100) ; taille les pierres précieuses du dogme divin ; sertis-les fidèlement, orne-les sagement, ajoutes-y de l'éclat, de la grâce, de la beauté ; que par tes explications on comprenne plus clairement ce qui auparavant était cru plus obscurément. Que grâce à toi la postérité se félicite d'avoir compris ce que l'antiquité vénérait sans le comprendre. Mais enseigne les mêmes choses que tu as apprises ; dis les choses d'une manière nouvelle sans dire pourtant des choses nouvelles101.

[PAGE 76]

<- 23. Existe-t-il un progrès du dogme ?

Mais peut-être dira-t-on : « La doctrine chrétienne n'est donc susceptible d'aucun progrès dans l'Église du Christ102 ? » Certes, il faut qu'il y en ait un, et considérable ! Qui serait assez ennemi de l'humanité, assez hostile à Dieu pour essayer de s'y opposer ? Mais sous cette réserve, que ce progrès constitue vraiment pour la foi un progrès et non une altération : le propre du progrès étant que chaque chose s'accroît en demeurant elle-même, le propre de l'altération qu'une chose se transforme en une autre.

Donc, que croissent et que progressent largement l'intelligence, la science, la sagesse, tant celle des individus que celle de la collectivité, tant celle d'un seul homme que celle de l'Église tout entière, selon les âges et selon les siècles ! – mais à condition que ce soit exactement selon leur nature particulière, c'est-à-dire dans le même dogme, dans le même sens, dans la même pensée103.

Qu'il en soit de la religion des âmes comme du développement des corps. Ceux-ci déploient et étendent leurs proportions avec les années, et pourtant ils restent constamment les mêmes104. [PAGE 77] Quelque différence qu'il y ait entre l'enfance dans sa fleur et la vieillesse en son arrière-saison, c'est un même homme qui a été adolescent et qui devient vieillard ; c'est un seul et même homme dont la taille et l'extérieur se modifient, tandis que subsiste en lui une seule et même nature, une seule et même personne. Les membres des enfants à la mamelle sont petits, ceux des jeunes gens sont grands : ce sont pourtant les mêmes. Les tout petits en ont le même nombre que les hommes faits, et s'il y en a qui naissent en un âge plus mûr, déjà ils existaient virtuellement en germe, en sorte que rien de nouveau n'apparaît chez l'homme âgé qui auparavant déjà n'ait été caché dans l'enfant105.

Il n'est donc pas douteux que la règle légitime et normale du progrès, l'ordre précis et magnifique de la croissance sont observés lorsque le nombre des années découvre chez l'homme, à mesure que celui-ci grandit, les virtualités d'une morphologie déjà ébauchées, par la sagesse du Créateur, chez l'enfant. Si la forme humaine prenait ultérieurement une forme tout à fait étrangère à son espèce, si tel membre était, soit retranché, soit ajouté, fatalement le corps entier périrait ou deviendrait monstrueux ou, en tous cas, serait gravement débilité.

Ces lois du progrès doivent s'appliquer également au dogme chrétien : les années le consolident, le temps le développe, l'âge le rende plus vénérable : mais qu'il demeure sans corruption et inentamé, qu'il soit complet et parfait dans toutes les dimensions de ses parties et, pour ainsi parler, dans tous les membres et dans tous les sens qui lui sont propres. E n'admet aucune altération, aucune atteinte à ses caractères spécifiques, aucune variation dans ce qu'il a de défini106.

[PAGE 78] Un exemple : nos ancêtres ont jeté autrefois dans ce champ de l'Église le froment de la foi. Il serait tout à fait injuste et inconvenant que nous, leurs descendants, nous recueillions au lieu du froment de la vérité authentique l'ivraie de l'erreur semée en fraude. Au contraire, il est juste, il est logique que – la fin répondant pleinement au début – nous moissonnions, maintenant que le froment de la doctrine vient à maturité les épis du dogme, parfaitement pur lui aussi. Si la semence première s'est développée avec le temps, s'est épanouie en mûrissant, rien n'est changé dans les propriétés intrinsèques de cette graine. Il peut s'y ajouter un aspect, une forme plus précise, mais la nature propre de l'espère demeure inchangée107.

Plaise à Dieu que les rosiers de l'Église ne se changent pas en chardons épineux. Plaise à Dieu que dans ce paradis spirituel, l'ivraie et l'aconit n'éclosent des bourgeons du cinnamome et du baumier108.

Tout ce qui a été semé par la foi de nos pères, dans l'Église, qui est le champ de Dieu, nous devons le cultiver avec zèle, le surveiller, le faire fleurir et mûrir pour qu'il progresse et parvienne à sa plénitude.

Il est légitime que les anciens dogmes de la philosophie céleste109 se dégrossissent, se liment, se polissent avec le développement des temps : ce qui est criminel, c'est de les altérer, de les tronquer, de les mutiler. Ils peuvent recevoir plus d'évidence, plus de lumière et de précision, oui : mais il est indispensable qu'ils gardent leur plénitude, leur intégrité, leur propriété.

Car si l'on tolérait une seule fois cette licence de l'erreur impie, je tremble de dire toute l'étendue des dangers qui en résulteraient et qui n'iraient à rien moins qu'à détruire, à anéantir, à abolir la religion. Sitôt qu'on aura cédé sur un point quelconque du dogme catholique, un autre suivra, puis un autre [PAGE 79] encore, puis d'autres et d'autres encore. Ces abdications deviendront en quelque sorte normales et habituelles. À abandonner le dogme, morceau par morceau, vous serez amené à la rejeter dans sa totalité110. Et d'autre part, si l'on commence à mêler le nouveau et l'ancien, les idées étrangères à ce qui est authentique, le profane et le sacré, nécessairement cette habitude se propagera au point de tout envahir. Bientôt rien dans l'Église ne demeurera plus intact, inentamé, inviolé et immaculé : le sanctuaire de la chaste et incorruptible vérité se transformera en un mauvais lieu, rendez-vous des erreurs impies et honteuses. Puisse la piété divine détourner un pareil forfait de la pensée des fidèles et laisser plutôt ce délire aux impies !

L'Église du Christ, elle, gardienne attentive et prudente des dogmes qui lui ont été donnés en dépôt, n'y change rien jamais ; elle ne diminue point, elle n'ajoute point ; ni elle ne retranche les choses nécessaires, ni elle n'adjoint de choses superflues ; ni elle ne laisse perdre ce qui est à elle, ni elle n'usurpe le bien d'autrui. Dans sa fidélité sage à l'égard des doctrines anciennes, elle met tout son zèle à ce seul point : perfectionner et polir ce qui, dès l'antiquité, a reçu sa première forme et sa première ébauche ; consolider, affermir ce qui a déjà son relief et son évidence ; garder ce qui a été déjà confirmé et défini.

De fait qu'a tenté l'Église dans ses décrets conciliaires, sinon d'enseigner avec plus de précision ce qui était cru auparavant en toute simplicité, de prêcher avec plus d'insistance les vérités prêchées jusque là plus mollement, enfin d'honorer avec plus de soin ce qu'auparavant on honorait avec une tranquille sécurité ?

Voici ce que, provoquée par les nouveautés des hérétiques, l'Église catholique a toujours fait par les décrets de ses conciles, et rien de plus : ce qu'elle avait reçu des ancêtres par l'intermédiaire de la seule tradition, elle a voulu le remettre aussi en des [PAGE 80] documents écrits à la postérité, elle a résumé en quelques mots quantité de choses, et – le plus souvent pour en éclaircir l'intelligence – elle a caractérisé par des termes nouveaux et appropriés tel article de foi qui n'avait rien de nouveau111.

[PAGE 81]

<- 24. Nouveau commentaire de 1 Timothée 6, 20

Revenons à l'Apôtre : « Ô Timothée, dit-il, garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles » (1 Tm 6, 20). « Évite-les », dit-il, comme la vipère, comme le scorpion, comme le basilic112, de peur qu'ils ne t'atteignent de leur contact, ou même de leur vue et de leur souffle. Qu'est-ce à dire : éviter ? c'est « ne pas même prendre de nourriture avec les gens de cette sorte » (1 Co 5, 11). Que signifie cet « évite » ? « Si quelqu'un vient à vous, est-il écrit, et n'apporte pas cette doctrine… » (2 Jn 10). Quelle doctrine, sinon la doctrine catholique, universelle, qui subsiste une et identique à travers la succession des âges par l'incorruptible tradition de la vérité, et qui demeurera toujours et sans fin ?

— Que faire alors ? « Ne le recevez pas dans votre maison, ne lui dites pas : Bonjour ! Car celui qui le salue participe à ses œuvres mauvaises » (2 Jn 11). « (Évite) les profanes nouveautés de paroles. » Que signifie « profanes » ? Ce sont celles qui n'ont rien de saint, rien de religieux, qui sont complètement étrangères au sanctuaire de l'Église qui est le temple de Dieu (1 Co 3, 16).

« Les profanes nouveautés de paroles. » « De paroles », c'est-à-dire les nouveautés de dogmes, de sujets, d'opinions, qui sont contraires au passé, à l'antiquité, et qui, une fois admises, nécessitent, en tout ou en partie, une violation de la foi113 de nos bienheureux pères. Nouveautés qui veulent que tous les fidèles [PAGE 82] de tous les âges, tous les saints, tous ceux qui ont gardé la chasteté, la continence ou la virginité, tous les clercs, les lévites et les prêtres, tant de milliers de confesseurs, tant de légions de martyrs, tant de villes fréquentées et de nations populeuses, tant d'îles, de provinces, de rois, de races, de royaumes, de nations, en un mot l'univers presque entier, incorporé par la foi catholique au Christ son chef, aient ignoré, erré, blasphémé et, durant tant de siècles, n'aient point su ce qu'il fallait croire114.

« Évite, dit-il, les impies nouveautés de paroles. » Ce n'est point aux catholiques, mais aux hérétiques qu'il a toujours appartenu de les admettre et de les suivre. En fait, quelle est l'hérésie qui n'ait surgi sous un nom déterminé, en un lieu déterminé, en un temps déterminé ? Qui a jamais établi une hérésie sans s'être auparavant séparé du sentiment commun adopté par l'Église universellement et dès l'antiquité115 ?

C'est ce que démontrent des exemples plus clairs que le jour. Qui, avant cet impie Pélage116, a jamais eu la présomption d'attribuer tant d'efficacité au libre arbitre que de juger qu'il n'est point nécessaire que la grâce divine l'aide dans les bonnes actions pour chaque acte particulier ? Qui, avant Célestius, son monstrueux disciple117, a nié que le genre humain ait été lié à la culpabilité d'Adam pécheur ?

Qui, avant le sacrilège Arius, a osé déchirer l'unité de la Trinité ? Qui, avant ce scélérat de Sabellius118, a osé confondre la [PAGE 83] Trinité de l'Unité ? Qui, avant l'impitoyable Novatien119, a osé dire que Dieu était cruel et préférait la mort du mourant à son retour à la vie (cf. Ez 18, 23) ? Qui, avant le mage Simon120 – que frappa la rigueur de l'apôtre (Ac 8, 9-24) et de qui, par une infiltration continue et secrète, a découlé jusqu'à Priscillien121, dernier venu, ce vieux limon de turpitudes –, a osé dire que le Dieu Créateur est responsable du mal, autrement dit des crimes, des impiétés, des actions honteuses122?

Ce Simon123 prétend que Dieu crée de ses propres mains une nature telle que, de son propre mouvement et par l'impulsion d'une volonté fatalement déterminée, elle ne peut ni ne veut rien d'autre que pécher. Agitée, enflammée des fureurs de tous les vices, elle est entraînée par sa passion inassouvie au fond de l'abîme de toutes les infamies124.

Innombrables sont les exemples de ce genre. Passons-les sous silence pour faire court. Ils démontrent clairement et avec évidence, que l'habitude et la loi de presque toutes les hérésies, c'est d'aimer « les nouveautés impies », de mépriser les maximes de l'antiquité, et, par « les objections d'une prétendue science, de faire naufrage loin de la foi. » Au contraire, le propre des catho-[PAGE 84]liques est de garder le dépôt confié par les saints Pères125, de condamner les nouveautés impies, et comme l'a dit et répété l'Apôtre, de crier « anathème » à « quiconque annonce une doctrine différente de celle qui a été reçue ».

[PAGE 85]

<- 25. De l'usage hérétique de l'Écriture

— Les hérétiques ne se servent-ils pas aussi des témoignages de l'Écriture126 ?

— Oui, ils s'en servent, et avec grande ardeur. On peut les voir courir à travers les volumes de la Loi sainte, à travers les livres de Moise et des Rois, à travers les Psaumes, les Apôtres, les Évangiles, les Prophètes. Que ce soit auprès des leurs ou auprès des étrangers, dans le privé ou en public, dans leurs propos ou dans leurs livres, dans les repas ou sur les places publiques, ils n'allèguent presque rien de leur cru qu'ils ne s'efforcent de l'obscurcir avec des paroles de l'Écriture.

Lisez les opuscules de Paul de Samosate127, de Priscillien128, d'Eunome129, de Jovinien130, et de toutes les autres pestes, vous verrez quel prodigieux amas d'exemples. Il n'est presque pas de pages qui ne soit comme fardée et colorée de sentences du Nouveau ou de l'Ancien Testament. Il faut d'autant plus [PAGE 86] s'en garer et les craindre qu'ils se dissimulent plus secrètement à l'ombre de la Loi divine. Ils savent bien que leur pestilence ferait fuir tout le monde si elle s'exhalait naturelle et sans mélange. Aussi la parfument- ils de paroles divines, afin que tel, qui rejetterait volontiers une erreur purement humaine, hésite à mépriser les oracles divins. Ils font donc comme ceux qui, pour adoucir aux enfants l'amertume de certains remèdes, enduisent préalablement de miel les bords de la coupe, afin que cet âge imprévoyant, sentant d'abord le goût agréable, n'ait plus peur du goût amer131. Même souci chez ceux qui déguisent sous des noms de médicaments les mauvaises graines et les sucs nuisibles, afin que presque personne, en lisant l'étiquette d'un remède, ne soupçonne le poison132.

Voilà pourquoi enfin le Seigneur criait : « Gardez- vous des faux prophètes, qui viennent à vous sous des peaux de brebis, mais qui, au dedans, sont des loups ravisseurs » (Mt 7, 15). Que signifie cette « peau de brebis », sinon les paroles dont les Apôtres et les Prophètes, dans leur sincérité de brebis, ont tissé comme une toison à cet « agneau immaculé » (1 P 1, 19) qui « ôte les péchés du monde » (Jn 1, 29) ?

Qui sont les loups ravisseurs, sinon les doctrines des hérétiques furieux et enragés qui toujours infestent les bergeries de l'Église et, toutes les fois qu'ils le peuvent, déchirent le troupeau du Christ ? Pour s'approcher plus insidieusement des brebis sans défiance, ils dépouillent l'extérieur du loup tout en en gardant la férocité ; ils s'enveloppent dans les maximes de la loi divine comme dans une toison, afin que, à sentir d'abord la douceur de la laine, nul ne redoute la pointe de leurs dents.

Mais que dit le Sauveur ? « Vous les connaîtrez à leurs fruits » (Mt 7, 16), ce qui signifie : dès qu'ils se mettront, non plus seulement à citer ces divines paroles, mais aussi à les expliquer, non plus seulement à en s'en couvrir, mais aussi à les interpréter ; alors cette amertume, cette âpreté, cette rage se feront connaître ; alors ce poison tout récent encore s'exhalera ; alors les « nouveautés impies » se découvriront ; alors pour la première fois [PAGE 87] vous verrez que « la haie est coupée en deux » (Rm 10, 8), que « les bornes établies par nos pères sont déplacées » (Pr 22, 28), que la foi catholique est entamée et que l'on déchire le dogme ecclésiastique.

Tels étaient ceux que frappe l'apôtre Paul dans la Seconde aux Corinthiens, quand il dit : « Ces sortes de faux apôtres sont des ouvriers trompeurs qui se déguisent en apôtres du Christ » (2 Co 11, 13). Qu'est-ce à dire « qui se déguisent en apôtres du Christ » ? Les apôtres invoquaient les exemples de la Loi divine : ceux-là les invoquaient aussi. Les apôtres alléguaient les passages probants des Psaumes : ceux-là les alléguaient également. Les apôtres apportaient les sentences des Prophètes : ceux-là les apportaient tout comme eux. Mais, quand après les avoir cités de même, ils se mettaient à les interpréter tout différemment, alors on discernait les sincères d'avec les fourbes, les esprits loyaux d'avec les esprits de mensonge, les cœurs droits d'avec les cœurs pervers, en un mot les vrais apôtres d'avec les faux apôtres.

« Il n'y a là rien de surprenant, ajoute Paul, car Satan lui-même prend les dehors d'un ange de lumière. Il n'est donc pas étonnant que ses ministres se donnent les apparences de ministres de justice » (2 Co 11, 14). Donc, d'après les leçons de l'apôtre Paul, toutes les fois que de faux prophètes ou de faux docteurs citent des passages de la Loi divine, pour essayer d'étayer leurs erreurs sur de fausses interprétations, il n'est pas douteux qu'ils ne suivent la perfide tactique de leur Maître. Et Satan ne l'aurait jamais inventée, assurément, s'il ne savait très bien qu'il n'y a pas de moyen plus sûr pour tromper que d'insinuer le venin de l'erreur sous le couvert et comme à la faveur de l'autorité de la parole divine133.

[PAGE 88]

<-26. Satan, patron des hérétiques134

— Mais, dira-t-on, qu'est-ce qui prouve que le diable ait l'habitude d'user des exemples de l'Écriture ? »

— Lisez l'Évangile. Il y est écrit : « Alors le diable l'enleva (il s'agit du Seigneur, notre Sauveur) et le plaça sur le pinacle du Temple et il lui dit : Si tu es le fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit qu'il t'a confié à ses anges pour qu'ils te gardent partout où ta iras et qu'ils te portent dans leurs mains, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre » (Mt 4, 5). Que fera-t-il donc aux pauvres hommes, celui qui s'est servi du témoignage de l'Écriture pour essayer de tenter « le Seigneur de majesté » (1 Co 2, 8) ? « Si tu es fils de Dieu, dit-il, jette-toi en bas. » Pourquoi ? « Il est écrit, dit-il… »

Il nous faut prêter une scrupuleuse attention à la doctrine incluse en ce passage et la bien retenir. Avertis par le grand exemple de l'autorité évangélique, nous ne douterons plus, quand nous verrons certaines gens alléguer contre la foi catholique des paroles tirées des apôtres ou des prophètes, que le diable parle par leur bouche. Autrefois la tête parlait à la tête, maintenant les membres parlent aux membres, je veux dire les membres du diable aux membres du Christ, les perfides aux fidèles, les sacrilèges aux hommes religieux, en un mot les hérétiques aux catholiques.

Mais enfin que disent-ils ? « Si tu es fils de Dieu, jette- toi en bas. » Cela s'entend : « Si tu veux être fils de Dieu et recevoir en héritage le royaume céleste, jette-toi en bas, c'est-à-dire précipite-toi du haut de la doctrine et de la tradition de cette Église [PAGE 89] sublime, qui est regardée comme le temple de Dieu. » Et si quelqu'un demande à un hérétique qui veut le persuader : « Sur quoi t'appuies-tu pour prouver, pour enseigner, que je doive renoncer à la foi antique et universelle de l'Église catholique ? », aussitôt, il répondra : « Il est écrit. » Et immédiatement il met en ligne mille témoignages, mille exemples, mille passages significatifs, tirés de la Loi, des Psaumes, des Apôtres, des Prophètes ; et, grâce à des interprétations nouvelles et mauvaises, il précipite la pauvre âme, de la citadelle catholique, dans l'abîme de l'hérésie.

Par des promesses les hérétiques ont l'habitude de duper étrangement ceux qui ne se tiennent pas sur leurs gardes. Ils osent promettre et enseigner que, dans leur Église, c'est-à-dire dans leur petite chapelle, on trouve une grâce divine considérable, spéciale, tout à fait personnelle ; en sorte que, sans aucun travail, sans aucun effort, sans aucune peine et quand bien même ils ne demanderaient, ni ne chercheraient, ni ne « frapperaient », tous ceux qui sont des leurs reçoivent de Dieu une telle assistance que, soutenus par la main des anges, autrement dit couverts de la protection des anges, ils ne peuvent jamais « heurter du pied contre une pierre », c'est-à-dire être jamais victimes d'un scandale135.

[PAGE 90]

<- 27. Rappel de la règle de foi

— Mais, observe-t-on, si le diable et ses disciples – faux apôtres, faux prophètes, faux docteurs, tous hérétiques caractérisés – usent ainsi des paroles, des sentences et des promesses divines, que feront les catholiques, les enfants de notre mère l'Église ? Comment distingueront-ils la vérité d'avec l'erreur, dans l'Écriture sainte ?

— Ils auront grand soin de se conformer à la règle qui, comme nous l'avons écrit au début de ce Commonitorium, nous est venue d'hommes saints et savants136 ; ils interpréteront le canon divin d'après les traditions de l'Église universelle et selon les règles du dogme catholique137.

Dans cette Église catholique et apostolique, il faut nécessairement qu'ils suivent l'universalité, l'antiquité, le consentement général. Si parfois la fraction se révolte contre l'ensemble, la nouveauté contre l'ancienneté, l'opinion particulière d'un seul ou de quelques-uns contre l'opinion unanime de tous les catholiques ou de la grande majorité, qu'ils préfèrent à la corruption de la fraction l'intégrité de l'universalité.

Dans cette même universalité, qu'ils mettent la religion antique au-dessus de la nouveauté impie, et dans cette antiquité même qu'ils fassent passer avant la témérité d'un seul homme, ou du [PAGE 91] très petit nombre, d'abord les décrets généraux d'un concile universel, s'il en existe un ; et, s'il n'en existe pas, qu'ils suivent ce qui s'en rapproche davantage, à savoir les opinions concordantes de nombreux et éminents docteurs138. En nous conformant à cette règle, Dieu aidant, avec fidélité, prudence et zèle, nous prendrons sur le fait sans grande difficulté toutes les erreurs pernicieuses des hérétiques qui surgissent.

[PAGE 92]

<- 28. Comment utiliser l'autorité des Pères

Je voudrais montrer à présent par des exemples comment dépister et confondre les nouveautés de l'hérésie, en les confrontant avec l'enseignement des anciens maîtres.

Il est évident que cet antique accord unanime des saints Pères ne doit pas porter ou concerner de menus problèmes d'exégèse, mais avoir trait à la règle de foi. Ce ne sont pas toutes les hérésies, ni de tous les temps, que l'on peut ainsi combattre mais seulement les hérésies nouvelles et récentes139 quand elles commencent à poindre, et avant que, faute de temps, elles aient pu falsifier les règles de l'ancienne foi et corrompre, en propageant leur poison, les livres des ancêtres140.

Les hérésies déjà développées et invétérées ne doivent pas être attaquées par ce procédé, parce que, dans l'histoire de leur long passé, les occasions ne leur ont pas manqué de s'approprier la vérité. C'est pourquoi toutes ces impiétés déjà anciennes des schismes et des hérésies, il ne faut les réfuter, si besoin en est, que par la seule autorité des Écritures141 ; ou bien les fuir comme réfutées et condamnées dès l'antiquité par les conciles universels d'évêques catholiques.

Sitôt qu'une erreur commence à exhaler son odeur de corruption et à s'emparer pour se défendre certaines paroles de l'Écri-[PAGE 93]ture, en les expliquant mensongèrement et frauduleusement, il faut immédiatement rassembler les opinions des anciens sur l'interprétation de ce passage de l'Écriture. Ce qui permettra de démasquer sur le champ la nouveauté et de la condamner sans aucune hésitation.

Qui seront les Pères dont nous confronterons les affirmations ? Ce sont ceux qui ont mené une vie exemplaire, dans la foi et la communion catholique, qui ont toujours enseigné et sont demeurés dans la foi, qui sont morts fidèles au Christ ou même dignes de mourir pour lui142.

Il faut les croire en vertu de la règle suivante : Ce qu'ils ont enseigné à l'unanimité ou dans leur majorité, clairement, d'un commun accord, fréquemment, avec insistance – tel un concile de théologiens unanimes –, ce qu'ils nous ont transmis, après l'avoir reçu de la Tradition et l'avoir eux-mêmes conservé, cela doit être tenu pour indubitable, certain et vrai143.

Au contraire, tout ce que quelqu'un aura pensé en dehors de l'opinion générale ou même contre elle, quelque saint et savant qu'il soit, fût-il évêque, fût-il confesseur et martyr, doit être relégué parmi les menues opinions personnelles, secrètes et privées, dépourvues de l'autorité qui s'attache à une opinion commune, publique et générale. N'allons pas, pour le plus grand péril de notre salut éternel, agir selon l'habitude sacrilège des hérétiques et des schismatiques et renoncer à l'antique vérité d'un dogme universel pour suivre l'erreur nouvelle d'un seul homme144.

Pour que nul ne s'imagine qu'il peut mépriser témérairement [PAGE 94] la sainte et catholique unanimité de ces bienheureux Pères, l'Apôtre dit dans la Première aux Corinthiens : « Dieu en a établi certains dans son Église, premièrement les apôtres (Paul était de ce nombre), secondement les prophètes (comme Agabus, dont il est parlé dans les Actes des Apôtres), troisièmement les docteurs » (1 Co 12, 28) que, maintenant, l'on appelle tractatores145, et que ce même Apôtre nomme parfois aussi prophètes, parce que, grâce à leur intermédiaire, les mystérieuses paroles des prophètes sont dévoilées au peuple.

Donc, quiconque dédaigne ces hommes divinement établis dans l'Église de Dieu selon les temps et les lieux, quand ils s'accordent pleinement dans le Christ sur le sens d'un dogme catholique, ne méprise pas un homme, c'est Dieu qu'il méprise. Pour que personne ne s'écarte de leur unité, le même apôtre accentue ses exhortations : « Je vous en conjure, mes frères, ayez tous un même langage ; qu'il n'y ait point de schisme parmi vous : soyez parfaitement unis dans un même esprit et dans un même sentiment » (1 Co 1, 10).

Si quelqu'un cesse d'être en communion de sentiment avec eux, il entendra cette parole du même Apôtre : « Dieu n'est pas un Dieu de discorde, mais un Dieu de paix » (c'est-à-dire qu'il n'est pas le Dieu de celui qui se retranche de l'unité d'opinion, mais de ceux qui demeurent dans la paix qu'engendre un plein accord). « C'est ce que j'enseigne dans toutes les Églises des saints » (1 Co 14, 33). Il veut dire des catholiques : Églises saintes, parce qu'elles persistent dans la communion de la foi146.

Que nul n'ait la présomption de croire qu'il doive être seul écouté, seul cru, à l'exclusion des autres, car Paul ajoute peu après : « Est-ce de vous qu'est sortie la parole de Dieu ? n'est-elle venue qu'à vous seuls ? » Et pour qu'on n'accueille pas ses paroles comme s'il les eût dites sans y attacher d'importance, il ajoute : « Si quelqu'un passe pour prophète ou spirituel, qu'il reconnaisse que les choses que je vous écris sont des ordres du [PAGE 95] Seigneur. » Quels ordres, sinon que tout « prophète », tout « spirituel » (cela signifie maître pour les choses spirituelles) se montre hautement soucieux de l'égalité et de l'unité ; qu'il n'aille point préférer ses propres opinions à celles d'autrui ; qu'il ne s'écarte pas du sentiment général ?

« Si quelqu'un ignore ces recommandations, il sera lui- même ignoré » (1 Co 14, 36-38). C'est-à-dire, celui qui n'étudie pas les choses qu'il ignore ou méprise les choses qu'il sait, sera ignoré ; il sera considéré comme indigne d'être compté par Dieu au nombre de ceux que la foi unit et que l'humilité rend égaux. Je ne sais si l'on peut imaginer malheur pire que celui-là. Tel a été pourtant, nous l'avons vu, le sort qu'a subi, selon la menace de l'Apôtre, ce Julien, disciple de Pélage147 qui négligea de s'unir au sentiment de ses collègues ou qui eut la présomption de se désolidariser avec eux.

Mais le moment est venu de donner l'exemple promis et de montrer où et comment l'on a les avis des saints Pères afin de fixer d'après eux la règle de foi, conformément aux décrets et à l'autorité d'un concile ecclésiastique. Pour plus de commodité, terminons ici ce Commonitorium. On trouvera la suite ailleurs.

LE SECOND COMMONITORIUM A DISPARU. IL N'EN RESTE QUE LA DERNIÈRE PARTIE, SIMPLE RÉCAPITULATION148.

[PAGE 97]

<-LE SECOND COMMONITORIUM149

Récapitulation finale, qui représente la dernière partie.

[PAGE 99]

<- 29. Exemple du concile d'Ephèse

Il nous faut maintenant récapituler à la fin de ce second Commonitorium (aide-mémoire) ce qui a été dit dans le premier et dans celui-ci. J'ai dit que les catholiques ont toujours et jusqu'aujourd'hui établi la foi véritable par deux critères d'abord l'autorité de l'Écriture, ensuite, la tradition de l'Église catholique.

Non que le canon scripturaire ne puisse suffire à lui seul pour tous les cas, mais comme le grand nombre, dans leur interprétation arbitraire des paroles divines fournissent quantité d'opinions erronées, il est nécessaire que l'exégèse de l'Écriture sainte se conforme à une règle unique, celle du sens catholique, principalement dans les questions qui constituent la base de tout le dogme catholique150.

Nous avons dit aussi que, dans l'Église elle-même, il faut encore considérer l'accord de l'universalité et de l'antiquité151, de peur de nous retrancher de l'unité intégrale pour tomber dans le schisme, ou d'être précipités, de la religion ancienne, dans les nouveautés de l'hérésie.

Nous avons dit pareillement qu'en étudiant ainsi l'antiquité de l'Église il y a deux précautions qu'il faut observer avec un soin, une conscience extrêmes et auxquelles on devra demeurer profondément attaché, si l'on ne veut pas devenir hérétique : [PAGE 100] c'est premièrement de voir s'il existe quelque décret ancien émanant de tous les évêques de l'Église catholique sous la garantie d'un concile universel ; secondement, s'il s'élève une question nouvelle, où l'on ne trouve rien de semblable, de recourir à l'opinion des saints Pères, de ceux-là seulement qui, chacun en son temps et en son pays, sont demeurés constamment dans l'unité de la communion et de la foi et sont devenus docteurs approuvés. Tout ce qu'ils se trouvent avoir professé en un parfait accord de pensée peut être regardé sans aucun scrupule comme la véritable doctrine catholique de l'Église152.

De peur de paraître établir ce principe par présomption personnelle plutôt que d'après l'autorité de l'Église, nous avons apporté l'exemple du saint concile, il y a à peu près trois ans, à Ephèse153, en Asie, sous le consulat des clarissimes154 Bassus et Antiochus. Au cours des débats sur les règles doctrinales à sanctionner, on voulut empêcher qu'aucune nouveauté impie, ne s'insinuât comme il était arrivé lors du synode frauduleux de Rimini155. Les évêques alors présents, au nombre d'environ deux cents, jugèrent tout à fait catholique, conforme à la foi et excellente la procédure que voici : on produisit les opinions des saints Pères dont on savait pertinemment que les uns avaient été martyrs, les autres confesseurs, et tous, jusqu'au bout, évêques catholique, afin que par leur décision unanime la croyance à la foi antique fut dûment et solennellement confirmée, et le blasphème de la nouveauté profane, condamné. Ainsi fut fait.

C'est donc à bon droit et à juste titre que cet impie Nestorius fut jugé en contradiction avec l'antique foi catholique, et que fut reconnu l'accord du bienheureux Cyrille156 avec la sacro-sainte antiquité. Afin que rien ne manquât à la confirmation des [PAGE 101] faits, nous avons cité aussi les noms de ces Pères, et leur nombre – à défaut de leur ordre que nous avions oublié. – C'est d'après leur avis concordant et unanime qu'on interpréta les parole de l'Écriture et qu'on établit la règle du dogme divin. Il ne sera pas inutile, pour en confirmer le souvenir, de les passer en revue, ici encore.

[PAGE 102]

<- 30. Témoignage des Pères du concile d'Ephèse

Voici donc ces hommes dont les écrits furent cités dans ce concile, comme ceux de juges ou de témoins : saint Pierre, évêque d'Alexandrie, docteur éminent et bienheureux martyr157 ; saint Athanase158, évêque de la même ville, docteur fidèle, confesseur éminent ; saint Théophile159, évêque de la même ville encore, célèbre par sa foi, sa vie, sa science, et auquel a succédé le vénérable Cyrille160, qui illustre à l'heure actuelle l'Église d'Alexandrie. Et pour qu'on ne crût pas que cette doctrine fût particulière à une seule cité et à une seule province, on ajouta les lumières de la Cappadoce : saint Grégoire, évêque et confesseur de Nazianze ; saint Basile, évêque et confesseur de Césarée, en Cappadoce : et aussi l'autre Grégoire, évêque de Nysse, tout à fait digne de son frère Basile par sa foi, ses mœurs, son intégrité, sa sagesse161.

Et afin de prouver que non seulement la Grèce et l'Orient, mais aussi le monde occidental et latin, avait toujours pensé de même, on y lut encore des lettres, écrites à divers correspondants, de saint Félix martyr162 et de saint Jules, évêques de la ville de Rome. Et pour que non seulement la tête de l'univers, mais aussi les membres apportassent leur témoignage à ce jugement, on [PAGE 103] ajouta, du côté du Midi, le bienheureux Cyprien, évêque de Carthage et martyr163 ; du côté du Nord, saint Ambroise, évêque de Milan164. Voilà tous ceux qui, conformément au nombre consacré par le Décalogue, furent cités comme maîtres, comme conseillers, comme témoins et comme juges165.

C'est en maintenant leur doctrine, en suivant leurs conseils, en ajoutant foi à leur témoignage, en obéissant à leur jugement, que ce bienheureux synode, sans haine ni faveur pré, conçues, prononça sur les règles de la foi166.

On aurait pu citer encore un bien plus grand nombre de Pères167, mais cela ne fut pas nécessaire, vu qu'il eût été inopportun de dépenser à compulser une foule de témoignages le temps nécessaire à cette affaire, et que personne ne doutait que ces dix n'eussent pensé de même que tous leurs autres collègues.

[PAGE 104]

<- 31. Intervention du bienheureux Cyrille au concile d'Ephèse

Ensuite, j'ajoute l'opinion du bienheureux Cyrille, laquelle est incluse dans les Actes ecclésiastiques mêmes. Après lecture de la lettre de saint Capréolus, évêque de Carthage168, qui n'avait d'autre objet ni d'autre vœu que le rejet des nouveautés et la défense de l'antiquité, l'évêque Cyrille prit la parole et conclut ainsi. Ce n'est pas, me semble-t-il, sortir de mon sujet que de le citer ici encore. Voici donc ce qu'il dit à la fin des Actes :

« La lettre du vénérable et très pieux évêque de Carthage Capréolus, qui vient d'être lue, sera insérée parmi les Actes authentiques. Sa pensée est claire. Il veut que les dogmes de l'antique foi soient confirmés et que les nouveautés, inventions inutiles que l'impiété propage, soient réprouvées et condamnées. » Tous les évêques s'écrièrent : « C'est le langage de tous ; c'est ce que nous disons tous, c'est là notre vœu à tous169. » À quoi tendaient ce langage et ces vœux unanimes, sinon à la préservation de l'antique tradition et au rejet des inventions récentes ?

Après cela, nous avons admiré et vanté l'humilité, la sainteté de ce concile. Ces prêtres réunis en si grand nombre, la plupart (ou peu s'en faut) métropolitains170, d'une érudition et d'une science si vaste que presque tous étaient capables de discuter [PAGE 105] sur les dogmes171, et à qui leur réunion même semblait devoir inspirer assez de confiance pour oser décider par eux- mêmes, n'innovèrent rien pourtant, se défendirent de toute présomption, ne s'arrogèrent aucune initiative. Tout leur soin, ils le mirent à ne rien léguer à la postérité qu'ils n'eussent eux-mêmes reçu des Pères. Ils voulurent non seulement régler au mieux l'affaire alors pendante, mais encore donner à l'avenir l'exemple de leur respect pour les dogmes de l'antiquité sacrée, et de la condamnation qu'ils portaient contre les inventions de la nouveauté profane 172.

Nous nous sommes élevés aussi contre la présomption scélérate de Nestorius, qui se vantait d'être le premier et le seul à comprendre la sainte Écriture, taxant d'ignorance tous ceux qui, avant lui, en vertu du magistère dont ils étaient chargés, avaient traité des paroles divines : autrement dit tous les prêtres, tous les confesseurs, tous les martyrs173.

Parmi ceux-ci, les uns avaient expliqué la Loi de Dieu, les autres avaient adhéré ou ajouté foi à ces explications. Nestorius, lui, soutenait que l'Église tout entière se trompait et s'était toujours trompée en suivant dans le passé et dans le présent des docteurs ignorants et égarés, selon lui.

[PAGE 106]

<- 32. Les lettres des papes Sixte III et Célestin

Tout cela eût pleinement et amplement suffi pour écraser et éteindre les nouveautés profanes. Cependant, afin que rien ne parût manquer à cette plénitude, nous avons ajouté vers la fin un double arrêt du siège apostolique : l'un du saint pape Xyste, cet homme vénérable qui illustre aujourd'hui l'Église romaine, l'autre du pape Célestin, d'heureuse mémoire, son prédécesseur. Nous jugeons nécessaire de les insérer ici encore.

Dans la lettre qu'il envoya à l'évêque d'Antioche au sujet de Nestorius174, le pape Xyste dit : « Puisque, selon la parole de l'Apôtre, la foi est une – la foi qui a victorieusement prévalu –, croyons ce que nous devons dire et disons ce à quoi nous devons demeurer attachés. » Qu'est-ce qu'il faut croire et dire ? Il poursuit : « Qu'aucune concession ne soit plus faite à la nouveauté, puisque rien ne doit être ajouté à l'antiquité. Que la foi, que la croyance limpide des ancêtres ne soit altérée par aucun mélange de boue. » Paroles vraiment apostoliques, qui attribuent à la foi de nos pères la transparence de la lumière, et qui désignent les nouveautés profanes comme un mélange de boue !

– Même langage, mêmes sentiments chez le saint pape Célestin175. Dans une lettre qu'il écrivit aux évêques de Gaule et où il les accusait de connivence, parce qu'en se taisant ils trahissaient, jugeait-il176, l'antique foi et permettaient aux nouveautés profanes de lever la tête, il dit : « C'est à juste titre que notre [PAGE 107] responsabilité serait engagée, si par notre silence nous encouragions l'erreur. Réprimandez donc ces hommes-là. Qu'ils n'aient plus permission de parler librement à leur aise. »

Quelqu'un se demande-t-il quels sont ceux à qui il interdit de parler librement à leur aise, si ce sont ceux qui en tiennent pour l'ancienneté ou ceux qui inventent des nouveautés ? Laissons-lui la parole pour qu'il dissipe lui- même le doute de nos lecteurs. Il continue ainsi : « Si la chose est exacte – c'est-à-dire, s'il est exact, comme plusieurs en accusent près de moi vos villes et vos provinces, que, par une coupable négligence, vous favorisiez leur adhésion à certaines nouveautés –, si la chose est exacte, que la nouveauté cesse de molester l'antiquité177. » Telle fut l'heureuse sentence du bienheureux pape Célestin. Il voulut, non pas que l'antiquité cessât d'écraser la nouveauté, mais que la nouveauté cessât de molester l'antiquité.

[PAGE 108]

<- 33. Conclusion

Si quelqu'un résiste à ces décrets apostoliques et catholiques178, cela implique premièrement qu'il insulte à la mémoire de saint Célestin, qui décida que la nouveauté cesserait de molester l'antiquité ; secondement, qu'il se moque des définitions de saint Xyste, qui prononça « qu'on ne devait plus rien concéder à la nouveauté, vu qu'il convient de ne rien ajouter à l'antiquité » ; ensuite, qu'il méprise les règles du bienheureux Cyrille, qui loua hautement le zèle du vénérable Capréolus, de ce qu'il souhaitait « de voir confirmer les dogmes antiques de la foi et condamner les inventions nouvelles. »

Cela implique aussi qu'il se fait litière du synode d'Ephèse, c'est-à-dire des jugements des saints évêques de presque tout l'Orient, à qui, grâce à l'inspiration divine, il parut bon de décréter que la postérité ne devait rien croire d'autre que ce que la sainte antiquité des saints Pères, unanime dans le Christ, aurait embrassé.

Ces Pères n'attestèrent-ils pas d'un même cri et d'une même acclamation que le langage de tous, le souhait de tous, l'avis de tous était que Nestorius, inventeur de nouveautés et ennemi de l'antiquité, fût condamné tout comme les hérétiques qui, avant lui, avaient méprisé l'antiquité et affirmé des idées nouvelles ? De montrer de l'éloignement pour leur accord sacro-saint, fruit d'une grâce céleste, cela ne va à rien de moins qu'à soutenir que l'impiété de Nestorius a été condamnée à tort179 ; et qu'à mépriser enfin, comme des immondices, l'Église du Christ tout [PAGE 109] entière, ses docteurs, ses apôtres, ses prophètes, et au premier rang le bienheureux apôtre Paul : l'Église, car elle ne s'est jamais écartée de son respect, de son culte, de sa vénération pour la foi traditionnelle ; l'Apôtre, car il a écrit : « Ô Timothée, garde le dépôt, évitant les nouveautés profanes de paroles » (1 Tm 6, 20), et de même : « Si quelqu'un vous annonce autre chose que ce que vous avez reçu, qu'il soit anathème ! » (Ga 1, 9).

S'il ne faut violer ni les définitions apostoliques, ni les décrets de l'Église, par lesquels, selon l'accord sacro-saint de l'universalité et de l'antiquité, tous les hérétiques, et récemment encore Pélage, Célestius, Nestorius, ont été justement condamnés, il est donc indispensable que désormais tous les catholiques, désireux de prouver qu'ils sont enfants légitimes de leur mère l'Église, s'attachent à la foi sainte des saints Pères, s'y lient étroitement et y meurent ; et, d'autre part, qu'ils détestent les nouveautés profanes, qu'ils les aient en horreur, qu'ils les combattent et les pourchassent180.

Telle est à peu près la matière que j'ai plus amplement développée dans les deux Commonitoria et que je viens de résumer sommairement en manière de récapitulation. Mon but a été, en répétant cet « avertissement », de rafraîchir ma mémoire – pour le soutien de laquelle j'ai écrit mon opuscule –, sans toutefois l'accabler par une prolixité fastidieuse.

ICI S'ACHÈVE LE TRAITÉ DE PÉRÉGRINUS CONTRE LES HÉRÉTIQUES181.

NOTES DE LA TRADUCTION

8[n. 1 p. 23] Comme plusieurs moines de Lérins, Vincent recourt à un pseudonyme, le pèlerin ou le voyageur, c'est-à-dire exilé volontaire, qui pratique la vie ascétique, en route vers la cité de Dieu. [Voir B. Luiselli, « Sulla pseudonimia di Vincenzo di Lerino », Atene e Roma 4, 1959, p. 216-222 (G.B.)]

9[n. 2 p. 23] Tel est le titre de l'ouvrage dans les manuscrits subsistants.

10[n. 3 p. 24] Il faut se rappeler que Lérins, où réside Vincent, est une île tranquille, au-delà de Cannes. C'est là qu'Honorat est venu fonder le monastère, en 420.

11[n. 4 p. 25] Le mot canon signifie au départ règle. Il a été d'abord utilisé pour la collection des auteurs classiques qui servent de règle pour la pureté de la langue.

Dès le 4e siècle les écrivains l'emploient pour la collection des écrits inspirés qui « règlent » la foi et les mœurs.

12[n. 5 p. 26] Il s'agit d'une série d'hérétiques des 4e et 5e siècles que nous apprendrons à mieux connaître dans les chapitres suivants.

13[n. 6 p. 26] Une lecture partielle de l'Écriture a fait tomber dans l'erreur un certain nombre d'hérétiques : ils retenaient arbitrairement certains versets tirés du contexte.

14[n. 7 p. 26] Principe fondamental pour distinguer l'erreur de la vérité, qui a rendu célèbre Vincent de Lérins, repris par Newman qui en a analysé l'utilité et les limites. Il repose sur l'universalité, l'antiquité, le consentement universel.

15[n. 8 p. 26] Litt. : par toute la terre.

16[n. 9 p. 27] À l'époque de Vincent, trois conciles œcuméniques, rassemblés par l'empereur, s'étaient déjà réunis, tous les trois en Orient : Nicée, en 325, contre Arius ; Constantinople, en 381, contre les diverses formes de l'arianisme ; Ephèse, en 431, contre les positions christologiques de Nestorius. Cf. ch. 29-32.

17[n. 10 p. 28] Le recours aux Pères de l'Église sera repris en détail au ch. 28.

18[n. 11 p. 29] Africain, Donat, après la persécution de Dioclétien, défend l'intransigeance, il devient évêque schismatique de Carthage, en 315 et provoque 1e schisme qui déchire l'Afrique chrétienne, jusqu'à l'arrivée des Vandales, au 5e siècle. Saint Augustin l'a combattu toute sa vie.

19[n. 12 p. 29] Ces paroles rappellent l'hyperbole de saint Jérôme, au lendemain du concile de Rimini : « La terre entière gémissait, surprise d'être devenue arienne » (Dialogue contre les lucifériens, 27).

20[n. 13 p. 30] Bellone est la déesse de la guerre chez les Romains.

21[n. 14 p. 30] Après le concile de Nicée, l'arianisme eut comme défenseur le pouvoir temporel. Constantin le favorisa sourdement dans les dernières années de sa vie, Constance, son fils, le favorisa ouvertement, de 350 à 361, Valens, de 364 à 378, persécuta cruellement les orthodoxes et les « semi-ariens » et soutint l'arianisme plus radical d'Eudoxe.

22[n. 15 p. 30] Affirmation quelque peu excessive pour l'Occident, qui se retrouve dans la littérature polémique de l'époque.

23[n. 16 p. 32] Evêque de Milan, prenant la relève d'un évêque arianisant. Voir son portrait dans le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 163-170 [= p. 153-160 de la dernière édition].

24[n. 17 p. 32] Ambroise avait écrit le Traité de la foi pour affermir la foi catholique du jeune empereur Gratien. Citations : XI, 16, 141 et 15, 128.

25[n. 18 p. 32] C'est une allusion au concile de Rimini, où sous la contrainte les évêques signèrent une profession de foi, sur laquelle ils revinrent à la mort de Constance II. Voir plus loin, 29, 8.

26[n. 19 p. 33] Œuvre réalisée en Occident, par Hilaire de Poitiers [en Gaule] et Eusèbe de Verceil en Italie.

27[n. 20 p. 33] La couronne n'est pas un insigne épiscopal mais plutôt la récompense de ceux qui ont vaillamment combattu et souffert. Ce qui ne fut pas le cas de certains évêques qui passèrent à l'arianisme.

28[n. 21 p. 34] Le chandelier à sept branches, dans le temple du retour, remplaça les 10 candélabres. Il fut enlevé par les légions de Titus. Le chiffre sept revient dans les sept Églises de l'Apocalypse. Les chrétiens finirent par y voir le symbole des sept dons du Saint-Esprit.

29[n. 22 p. 34] Concernant le baptême des hérétiques, Rome défendait leur validité, l'Église d'Afrique, particulièrement Cyprien, successeur d'Agrippinus, plus tard, les donatistes, la nullité. Saint Augustin fera triompher la thèse romaine.

30[n. 23 p. 35] Étienne, pape de 254-257, répond à une lettre de Cyprien. La lettre du pape est perdue. La phrase citée plus bas nous est conservée par S. Cyprien, Lettre 74.

31[n. 24 p. 35] Le siège apostolique, au moment de la controverse baptismale, est loin d'avoir l'importance que lui accorde Vincent, par extrapolation.

32[n. 25 p. 35] [« Nihil nouandum, nisi quod traditum est. »] La phrase elliptique d'Étienne est difficile à traduire. Elle a été interprétée diversement au cours des siècles.

33[n. 26 p. 35] La lutte entre le pape et les évêques africains dura tout au long du pontificat d'Étienne, trois conciles africains affirmèrent la légitimité de leur coutume. L'incident fut clos à la mort d'Étienne.

34[n. 27 p. 36] Les donatistes voulurent renouveler l'antique usage, en s'appuyant sur l'autorité de saint Cyprien.

Le concile d'Arles, en 314, récusa le rebaptême des hérétiques et les évêques africains y souscrirent. L'exemple montre les limites du critère d'antiquité, isolé des autres.

35[n. 28 p. 39] On trouvera peut-être ces citations abondantes, mais il faut se souvenir que Vincent compose un aide-mémoire, avec le dossier scripturaire à l'appui.

36[n. 29 p. 40] Mot un peu trop fort pour stigmatiser les judaïsants, parmi les convertis qui voulaient soumettre les païens à la circoncision.

37[n. 30 p. 40] Anathème signifie objet de malédiction, rejeté de la communauté.

38[n. 31 p. 42] Métaphores inspirées par le récit des plaies d'Égypte (Ex 8).

39[n. 32 p. 43] Hérésie du moine irlandais Pélage, au début du 5e siècle, qui niait toute transmission du péché originel et toute altération des possibilités innées de la nature humaine. Sous l'impulsion de saint Augustin, le pélagianisme fut condamné en Afrique puis à Rome, en 418.

40[n. 33 p. 44] Pourrait être une allusion à saint Augustin dont Vincent ne partage pas entièrement les positions excessives sur la totale corruption de la nature humaine. Reste très douteux. Voir note 135.

41[n. 34 p. 45] Valentin est un des principaux gnostiques du 2e siècle, originaire d'Alexandrie. Il enseignait une opposition radicale entre le monde des corps et le monde des esprits et la révélation d'une série d'émanations et de combinaisons, à partir du Dieu bon et du principe mauvais. Pour l'influence exercée, se rapporter à la Catéchèse de la foi de Grégoire de Nysse, dans la même collection. Pour Photin et Apollinaire, voir le chapitre 11.

42[n. 35 p. 46] Patriarche de Constantinople, Nestorius refusait d'accepter qu'on donnât à Marie le titre de « mère de Dieu », ce qui tendait à concevoir non seulement deux natures niais deux personnes dans le Christ. Erreur condamnée en 431, au concile d'Ephèse.

43[n. "35a" p. 46] Vincent semble assez peu informé sur les intrigues qui ont joué, la rivalité entre le siège d'Alexandrie et de Constantinople, l'action de Nestorius pour condamner les hérétiques, présents ou non, à Constantinople, les apollinaristes (qui niaient la nature humaine intégrale dans le Christ).

44[n. 36 p. 47] Photin, évêque de Sirmium l'actuel Metrovic, en Yougoslavie, semble avoir enseigné que le Christ n'était qu'un homme. Il fut condamné et déposé et mourut vers 366. Nous ne connaissons aucun de ses écrits et ne pouvons juger de ses positions qu'à travers ses adversaires.

45[n. 37 p. 47] Nous ne connaissons ces ouvrages qu'à travers Jérôme, Rufin et l'historien Socrate.

46[n. 38 p. 47] Apollinaire était évêque de Laodicée (l'actuel Deniszli, en Turquie). Il avait combattu aux côtés d'Athanase à Nicée. Il affirmait la divinité du Christ au détriment de sa nature humaine intégrale. Sa doctrine est à l'origine des controverses christologiques du 5e siècle. Cyrille d'Alexandrie lui emprunte des formules, sans le savoir, dans les fameux anathématismes. Apollinaire fut condamné, en 375.

47[n. 39 p. 48] Nous ne connaissons son œuvre qu'à travers quelques fragments et des citations.

48[n. 40 p. 48] Avec Celse, Porphyre (232-305) est parmi les philosophes grecs un des principaux adversaires du christianisme. Origène répondit à Celse. Nous ne connaissons pas la réfutation d'Apollinaire. Pour les objections, voir la Catéchèse de la foi de Grégoire de Nysse, ch. 28-32.

49[n. 41 p. 49] Voir plus haut, le chap. 2.

50[n. 42 p. 49] Condamné au synode d'Antioche, en 345.

51[n. 43 p. 50] L'histoire d'Apollinaire et de Nestorius montre la difficulté à maintenir les deux bouts de la chaîne : divinité du Christ et humanité intégrales.

52[n. 44 p. 50] L'expression Theotokos, mère de Dieu, était en usage, dès le 3e siècle. Elle avait besoin d'être expliquée pour éviter une ambiguïté. Les antiochiens, Nestorius, en particulier, soutenaient que la Vierge n'avait donné naissance qu'à la nature humaine, ce qui était exact mais cette nature assumée pax le Fils de Dieu devenait celle de la personne du Verbe, ce qui permet, disaient les alexandrins, de parler de la mère de Dieu.

53[n. 45 p. 50] La condamnation de Nestorius entraîna la destruction de ses ouvrages, dont une partie ne subsiste qu'en traduction syriaque ou par fragments..

54[n. 46 p. 51] Calomnie pure et simple des adversaires. Nestorius nia toujours d'avoir tenu de pareils propos. Cyrille d'Alexandrie lui-même n'était pas toujours sans scrupule dans la polémique. Voir le Dictionnaire des Pères de l’Église, p. 197-204 [= p. 187-194 de la dernière édition]. Lui-même utilisa des expressions apollinaristes, sans le savoir. Le concile de Chalcédoine (450) est une mise au point, après sa mort († 444).

55[n. 47 p. 52] Sur ce point qu'on veuille se rapporter sur les formulations très précises de Grégoire de Nysse, dans la Catéchèse de la foi, ch. 1-3.

56[n. 48 p. 53] Formule qui se trouve presque littéralement dans le Quicumque, profession de foi, peut-être issue du milieu lérinien. Sur tout ce vocabulaire théologique assez technique on se rapportera à la Catéchèse de Grégoire de Nysse qui l'explicite, et au lexique enfin, dans notre collection.

57[n. 49 p. 53] Comparaison fréquemment utilisée par les théologiens pour affirmer et expliquer l'union des deux natures dans une seule personne. De fait, dans l'homme corps et âme ne forment qu'une seule et même nature humaine, sinon on tombe dans un dualisme périlleux auquel s'oppose déjà Grégoire de Nysse dans sa Catéchèse.

58[n. 50 p. 53-54] [Le pape Léon I, dans le Tome ou] la Lettre à Flavien, patriarche de Constantinople, qui fournit la position du concile romain réuni par [ses soins], écrit de même : « Ce Fils éternel d'un Père éternel est né, par le Saint-Esprit, de la Vierge Marie. Sa naissance temporelle n'a rien retranché, rien ajouté à sa naissance divine et éternelle » (trad. G. Dumeige, dans La Foi catholique, Paris, 1961, qui fournit un excellent recueil des principaux textes doctrinaux du magistère).

59[n. 51 p. 54] Formule adoptée à Chalcédoine, en 451, qui fait triompher la théologie occidentale, proposée par la lettre du pape Léon. Textes chez G. Dumeige, op. cit., p. 197.

60[n. 52 p. 54] Jugement inexact. L'union des deux natures importait peu aux ariens qui affirmaient l'infériorité du Christ par rapport à Dieu.

61[n. 53 p. 56] On se rapportera à la Catéchèse de Grégoire de Nysse, sur ce point encore, 1-6, 7.

62[n. 54 p. 56] Primitivement le mot latin persona désigne exactement le masque que portaient les comédiens antiques pour jouer leur rôle sur la scène. L'homologue grec signifie plus tôt le visage. Par extension le terme finit par désigner le rôle, la personnalité d'un être, puis fut utilisé pour désigner les trois « personnes » de la Trinité, en Occident. Ce qui provoqua difficultés et affrontements avec l'Orient dont le vocabulaire était différent.

63[n. 55 p. 56] Baluze, Jülicher, Rauschen contestent l'authenticité de cette allusion au manichéisme qu'ils considèrent comme une glose.

64[n. 56 p. 57] Il s'agit de fait du docétisme qui niait le réalisme de la condition humaine du Christ.

65[n. 57 p. 58] Vincent a toujours prêt à l'esprit le masque de l'acteur, persona.

66[n. 58 p. 59] Position que les adversaires prêtaient à Nestorius, qui est visé dans tout ce paragraphe.

67[n. 58 p. 59] L'auteur s'inspire ici visiblement du Tome de Léon I à Flavien. Il utilise les mêmes citations scripturaires.

68[n. 60 p. 60] Il suffit de comparer ce chapitre à la Catéchèse de Grégoire de Nysse, pour se rendre compte à quel point la doctrine christologique s'est précisée et la dévotion mariale s'est développée, au cours du 5e siècle. Bel exemple de progrès dogmatique.

69[n. 6 1p. 61] Sur le sens du mot, voir ch. 8, note 30 [= n. 37 migne.fr]. Vincent se substitue ici quelque peu à l'autorité du magistère.

70[n. 62 p. 62] Clarification importante que les théologiens appellent « la communication des idiomes » (idiome signifie propriété). On peut attribuer à la divinité ce qui appartient à l'humanité et réciproquement, à condition d'éviter toute confusion entre les deux natures. Ainsi par exemple de l'expression « Dieu est mort dans le Christ », il faut dire UN Dieu est mort, à savoir la personne du Fils, EN TANT QU'assumant la condition humaine. Ce qui explique combien équivoques sont les expressions comme « la mort de Dieu ».

71[n. 63 p. 62] Allusion à la triple invocation du Sanctus, qui de la Bible (Is 6, 3 ; Ap 4, 8) a passé dans la liturgie.

72[n. 64 p. 63] Voir plus haut, ch. 10.

73[n. 65 p. 63] Vincent traite d'une manière un peu partisane et même cavalière l'exemple d'Origène, à qui l'histoire et les adversaires intentèrent un procès d'intention et de tendance mémorable. Pour une plus juste estimation, voir le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 73-83 [= p. 68-78 de la dernière édition].

74[n. 66 p. 63] Allusion à Léonidas, le père d'Origène, mort martyr. La confiscation des biens mit la famille dans la nécessité. Origène dut subvenir aux besoins de tous, à l'âge de dix-sept ans.

75[n. 67 p. 64] Origène fut emprisonné et torturé, au cours de la persécution de Dèce (249-251) ; il mourut des suites des sévices endurés.

76[n. 68 p. 64] Selon les bonnes règles de la rhétorique, Vincent enfle l'éloge pour mieux faire tomber le couperet.

77[n. 69 p. 64] Ce qui est la tentation des esprits spéculatifs qui sacrifient la foi à la raison.

78[n. 70 p. 64] Épiphane lui attribue 6 000 écrits. Vincent laisse entendre que de son temps une grande partie de cette œuvre est perdue.

79[n. 71 p. 64-65] Vincent n'exagère pas l'influence exercée par Origène aussi bien en exégèse qu'en théologie spirituelle. Voir son traité de la Prière, dans les Pères dans la foi [2].

80[n. 72 p. 65] La mère de l'empereur n'était pas chrétienne, mais se montrait tolérante envers le christianisme.

81[n. 73 p. 65] Il n'en est rien : l'empereur Philippe fut sympathisant, mais non pas chrétien.

82[n. 74 p. 65] Ce point a été contesté. S'agissait-il du grand Origène ?

83[n. 75 p. 65] S'agit-il de la condamnation par Démétrios ou de l'anti-origénisme, dans les siècles suivants ?

84[n. 76 p. 65] Le mot est emprunté à Cicéron dans les Tusculanes, 1, 17, 39.

85[n. 77 p. 66] Jérôme récuse l'idée d'une altération, ce qui est d'autant plus piquant qu'il est facile de constater que ses propres traductions d'Origène sont infidèles et tendancieuses. Il n'était pas bon de se trouver dans le camp des adversaires de l'impétueux Jérôme. Rufin, le traducteur d'Origène, en sut quelque chose. Voir pour Jérôme le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 171-180 [= p. 161-171 de la dernière édition].

86[n. 78 p. 66] Le jugement de Vincent contribua à discréditer Origène, en Occident, en répandant l'opinion d'une « chute » du maître. Cf. H. de Lubac, Exégèse médiévale, 1, Paris, 1959, p. 260-262.

87[n. 79 p. 67] Il fut, en réalité, tout autre. Voir le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 45-52 [= p. 40-48 de la dernière édition].

88[n. 80 p. 67] Vincent ne tient pas compte de saint Augustin, qui, il est vrai, est mort à peine [en 430].

89[n. 81 p. 67] Hérétiques contre lesquels Tertullien batailla et publia des écrits. Il écrivit de même contre les juifs et contre les païens. Nous avons conservé tous ces ouvrages.

90[n. 82 p. 68] Commentaire sur Matthieu, V, 1. Jugement entériné par l'histoire, car les manuscrits de Tertullien sont peu nombreux même pour ses œuvres orthodoxes.

91[n. 83 p. 68] Montan, né en Phrygie (Turquie actuelle), créa la secte qui prenait son fondateur pour une incarnation du Saint-Esprit. D'Orient la secte se répandit rapidement en Afrique et à Rome. Voir le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 51-52 [= p. 45-46 de la dernière édition].

92[n. 84 p. 68] Priscilla et Maximilla, deux prophétesses et propagandistes de Montan.

93[n. 85 p. 70] Vincent a présent à l'esprit l'image évangélique du grain rassemblé dans l'aire, il l'applique aux hérétiques, en oubliant quelque peu la métaphore initiale.

94[n. 86 p. 71] Métaphore coutumière à l'époque que nous avons retrouvée chez Grégoire de Nysse, Catéchèse, 37 (notre édition p. 95-97).

95[n. 87 p. 71] Image familière à presque tous les lériniens : Eucher, Fauste, Salvien, et qui s'explique sur une île solitaire.

96[n. 88 p. 72] Au point de départ, dépôt que l'on confie à une banque ; ici le don de la foi à maintenir pur de toute contamination.

97[n. 89 p. 73] La Première lettre à Timothée est particulièrement préoccupée de mettre le disciple en garde contre les faux docteurs et leurs élucubrations. Nous avons ici un bel exemple d'utilisation biblique.

98[n. 90 p. 73] Présentation assez satirique de l'hérésie que l'auteur ne cherche nullement à harmoniser avec sa règle générale.

99[n. 91 p. 74] On peut rapprocher ce principe de la doctrine d'Augustin, Contra Julianum 1, 34, : « Les évêques ont conservé dans l'Église ce qu'ils ont trouvé ; ils ont enseigné ce qu'ils ont appris ; ils ont transmis à leur fils ce qu'ils avaient reçu de leurs pères. »

100[n. 92 p. 75] Béséléel, de la tribu de Juda, avait été chargé de construire le sanctuaire de Yahvé.

101[n. 93 p. 75] « Non nova sed nove », expression devenue célèbre et souvent répétée, au point d'entrer dans les pages roses du petit Larousse, qui semble en ignorer l'origine.

102[n. 94 p. 76] Ce chapitre a fait la principale réputation du livre. Bossuet le paraphrasa pendant la controverse avec les protestants. Il énonce en fait le principe du progrès en théologie que développera Newman.

103[n. 95 p. 76] Phrase essentielle, souvent citée, souvent reprise, en particulier au concile de Vatican I. Elle figure dans le serment anti-moderniste.

104[n. 96 p. 76-77] Thème stoïcien, qui se trouve chez Cicéron. Il a été développpé par Newman, dans l'Essai sur le développement de la doctrine chrétienne. « La nature adulte, écrit Newman, a les mêmes formes qu'à sa naissance ; les jeunes oiseaux ne deviennent pas des poissons ; et l'enfant ne dégénère pas en une de ces brutes sauvages ou domestiques dont il a été appelé le maître » (citation de Vincent, 23). L'unité dans le type est certainement la marque la plus caractéristique d'un développement fidèle. Cependant on se saurait s'en autoriser pour nier toute variation, ou même un changement considérable de proportions ou de relations dans le développement des parties ou des aspects d'une idée. L'oiseau en état de voler diffère de la forme qu'il avait dans l'œuf. Le papillon est le développement mais non l'image de sa chrysalide » (trad. J. Gondon, p. 68-69).

105[n. 97 p. 77] Nous avons déjà trouvé dans la Prédication apostolique d'Irénée et le principe et l'image du développement chez l'être humain, Prédication, 12, 88-90. Voir aussi p. 98-99. Saint Augustin utilise la même comparaison dans la Cité de Dieu, XXII, 14.

106[n. 98 p. 77] Nous trouvons ici deux principes complémentaires : d'une part, invariabilité de ce qui est une fois défini, d'autre part, développement organique à la fois légitime et nécessaire du germe évangélique qui a besoin de suivre une loi de croissance, d'épanouissement, mais dans la fidélité stricte au germe déposé.

107[n. 99 p. 78] L'hétérogénéité de l'erreur fait qu'elle est ivraie, dès le départ, et ne provient pas du blé semé. Vincent pense à la parabole de l'ivraie, Mt 24, 30.

108[n. 100 p. 78] Images chères à l'antiquité qui utilisait volontiers aromates et poisons dans la vie courante. Elles se trouvent également dans les écrits bibliques, pour les mêmes raisons.

109[n. 101 p. 78] Expression chère à saint Jean Chrysostome, pour signifier la sagesse chrétienne, qui oriente vers l'éternité les vrais chrétiens.

110[n. 102 p. 79] Vincent souligne la cohérence et la solidarité de toutes les vérités de la foi.

111[n. 103 p. 80] Le concile de Nicée même, en adoptant le terme de consubstantiel, emprunté à la philosophie, qui ne se trouve pas dans l'Écriture, n'avait en vue que la ferme doctrine. L'innovateur est Arius.

112[n. 104 p. 81] Voir Ps 91(90 [LXX]), 13. Les scorpions, fréquents dans les pays chauds oh ils sont redoutés, symbolisent dans la Bible un venin particulièrement dangereux (Ap 9, 3, 5, 10). Le basilic est un serpent très venimeux. Dans le royaume messianique, un enfant pourra jouer avec lui sans crainte : Is 11, 8.

113[n. 105 p. 81] Le mot de foi a ici une signification large : l'ensemble des croyances qui conduisent la vie des chrétiens.

114[n. 106 p. 82] Présentation quelque peu oratoire du critère de l'universalité, peutêtre inspirée par des textes liturgiques comme le Te Deum.

115[n. 107 p. 82] La pensée de Vincent est proche ici de celle de Tertullien, dans son traité de la Prescription des hérétiques, où il montre que l'hérésie est un accident de l'histoire par rapport à la tranquille possession de la vérité par l'Église : le vrai précède le faux. L'existence antérieure de la doctrine de l'Église est une marque de sa pureté (ch. 20).

116[n. 108 p. 82] Pour Pélage, voir n. 32 [=n. 39 migne.fr].

117[n. 109 p. 82] Vincent a la main lourde quand il parle des adversaires. Célestius était le disciple de Pélage, agité et propagandiste fougueux. Marius Mercator prétend qu'il fut ennuque de naissance, ce à quoi semble faire allusion Vincent ici. La présentation de la doctrine adverse eût gagné à, être nuancée. Vincent veut-il se démarquer du pélagianisme ?

118[n. 110 p. 82] Sabellius, d'origine africaine, semble-t-il, enseignait à Rome au 3e siècle que Père, Fils et Saint-Esprit ne sont que des dénominations différentes d'une même réalité. II niait donc la trinité des personnes divines.

119[n. 111 p. 83] Novatien provoqua un schisme à Rome à la mort du pape Fabien sur la question pénitentielle : il récusait à l'évêque de Rome, après la persécution de Dèce (249-251), le droit de réconcilier ceux qui avaient failli.

120[n. 112 p. 83] Les Actes (8, 9-24) rapportent les agissements de Simon le sorcier de Samarie. II devint un personnage légendaire, autour de qui se tissa toute une série d'écrits (Ps. Clémentines, Apocryphes). Déjà chez Justin, il passe pour le père du gnosticisme. Peut-être s'agit-il d'un autre Simon, de Gitta.

121[n. "112a" p. 83] Priscillien, évêque d'Avila, en Espagne, au 4e siècle. A-t-il enseigné les erreurs de la secte qui porte son nom ? On peut en douter. Condamné par un concile espagnol, il en a appelé l'empereur chrétien, qui le fit décapiter odieusement. Toute l'Église en fut indignée.

122[n. 113 p. 83] Doctrine courante dans le gnosticisme et plus tard dans le manichéisme. Voir la Catéchèse de la foi de Grégoire de Nysse, ch. 5, 7, où ces théories sont réfutées.

123[n. 114 p. 83] Ou quelque manichéen, qui préconise le dualisme, comme le montre Grégoire de Nysse, dans sa Catéchèse.

124[n. 115 p. 83] On peut se demander si Vincent ne caricature pas ici la concupiscence augustinienne.

125[n. 116 p. 84] Thèse déjà chère à Irénée, voir la Prédication apostolique, ch. 3, 99, et dans Contre les hérésies.

126[n. 117 p. 85] L'utilisation abusive de l'Écriture par les hérétiques est déjà un thème de Tertullien, dans son livre De la prescription contre les hérétiques, l5, où il cite le même texte paulinien cher à Vincent (1 Tm 6, 3-4). Vincent dépend indubitablement de cette source.

L'auteur a bien analysé l'exploitation insidieuse de l'Écriture et montré que l'interprétation de la Bible, en dernière analyse, est soumise, comme le dira Vatican II, « en dernier lieu au jugement de l'Église, qui s'acquitte de l'ordre et du ministère divin de garder et d'interpréter la parole de Dieu » (De la révélation divine, 12).

127[n. 118 p. 85] Paul de Samosate (ville située sur l'Euphrate) devint évêque d'Antioche, en 260. Il fut condamné pour avoir affirmé que le Christ « était un homme ordinaire ». Il prépara la voie à Arius.

128[n. 119 p. 85] Voir la note 112a [=n.121 migne.fr].

129[n. 120 p. 85] Eunome, évêque de Cyzique (sud du Bosphore), mort en 396, déploya une activité littéraire considérable. Ses écrits soutiennent un arianisme radical : Rien de commun entre le Père et le Christ. Voir la Catéchèse de Grégoire de Nysse, ch. 38.

130[n. 121 p. 85] Le moine Jovinien, hérétique romain de la fin du 4e siècle, récusait, entre autres, la virginité de Marie et le jeûne. Jérôme écrivit deux livres contre lui.

131[n. 122 p. 86] Image qui provient de Lucrèce (De la nature des choses, 4, 2), qui devient un lieu commun dans la littérature patristique.

132[n. 123 p. 86] Voir la note 100 [=n.108 migne.fr].

133[n. 124 p. 87] L'action pernicieuse de Satan permet à Vincent de lui attribuer la responsabilité des menées hérétiques. D'où le chapitre 26. On comparera avec ce qu'en dit Grégoire de Nysse, dans sa Catéchèse, ch. 6.

134[n. 125 p. 88] Il semble bien que Vincent fasse allusion ici à la doctrine augustinienne de la grâce efficace, De dona perseverantiae, 23, 64. L'école de Lérins attribuait une part plus grande à la liberté de l'homme et à son effort.

135[n. 126 p. 89] Sur Satan, on consultera le numéro spécial des Études carmélitaines, Paris, 1948 ; l'article (contestable) de C. Duquoc, dans Lumière et vie, 78, sur Satan ; les prises de position de J. Ratzinger (aujourd'hui archevêque de Munich).

136[n. 127 p. 90] Il s'agit avant tout d'Irénée de Lyon, de Tertullien et de Cyprien. Voir plus haut le ch. 2.

137[n. 128 p. 90] Le cardinal Franzelin interprète judicieusement ce critère de manière à éviter une utilisation injustifiée. Pour lui le critère vaut dans son sens positif : une vérité marquée des caractères d'universalité, d'antiquité, de consentement universel, ne peut manquer d'être vrai. Ce critère ne vaudrait pas au sens négatif ou exclusif ; certaines vérités d'origine apostolique n'ont pas été crues par tous ni toujours, d'une foi explicite. Elles ont même pu être à un moment donné largement méconnues. L'histoire des dogmes fourmille d'exemples : validité du baptême des hérétiques, culte de la Vierge, etc.

138[n. 129 p. 91] La Constitution sur la Révélation divine, 8, dit également : « Les propos des saints Pères attestent la présence vivifiante de cette Tradition, dont les richesses se déversent dans la pratique et la vie de l'Église croyante et priante. » Vincent s'explique sur ce point dans le chapitre suivant.

139[n. 130 p. 92] Vincent nuance le recours aux Pères : il ne peut aller contre l'autorité de l'Église qui, sur des questions anciennes, a déjà pris position, et a condamné certaines erreurs.

140[n. 131 p. 92] Les interpolations étaient monnaie courante dans l'antiquité où la propriété littéraire n'existait pas. Il suffit de se souvenir des couches successives dans la Didachè, des Oracles sibyllins, de la manipulation des écrits d'Origène.

141[n. 132 p. 92] L'Écriture est la première Tradition puisqu'elle garde et transmet « ce que les apôtres ont reçu eux-mêmes ». Les évangiles sont la mise par écrit de la tradition orale.

142[n. 133 p. 93] Définition qui est devenue classique dans l'histoire. Le Père de l'Église se distingue par sa doctrine, sa sainteté ; à quoi on ajouta phis tard le critère d'antiquité. Voir aussi le ch. 30.

143[n. 134 p. 93] Pour Vincent une doctrine enseignée de manière continue et universelle par les Pères équivaut à une définition conciliaire.

144[n. 135 p. 93] On voit généralement dans ce texte une allusion à saint Augustin, que Vincent admire, mais dont il ne partage pas toutes les conceptions sur la grâce et la déchéance humaine. Mais il n'est exact de dire, avec Vossius, en 1618, suivi par le cardinal de Noris, que le Commonitorium est dirigé contre saint Augustin. La découverte d'un florilège de citations augustiniennes composé par Vincent de Lérins, montre avec suffisance combien il en était un admirateur. Voir l'article d'E. Griffe dans la note bibliographique.

145[n. 136 p. 94] Tractare ne signifie pas traiter, mais tirer de, extraire. Augustin emploie le mot pour ses commentaires bibliques, par exemple pour les Psaumes.

146[n. 137 p. 94] Vincent énonce ici une affirmation importante : il n'est pas de saine doctrine sans la sainteté. Comme il n'existe pas d'exégèse valable sans expérience spirituelle.

147[n. 138 p. 95] Julien, évêque d'Eclane (dans le sud de l'Italie), originaire d'une grande famille, fut un adversaire brillant et farouche de saint Augustin, dans la controverse sur la grâce ; il l'appelait « le rhéteur africain ». Il fut déposé avec dix-neuf de ses collègues, en 418, pour n'avoir pas voulu souscrire à la condamnation de Pélage et de Célestius. Il vivait encore au moment où le Commonitorium fut écrit. Il mourut en 454.

148[n. 139 p. 95] Cette note ne provient pas de Vincent, elle est une glose très ancienne qui se lit dans tous les manuscrits et dans les éditions les plus anciennes.

149[n. 140 p. 97] Le second Commonitorium, qui devait comporter une grosse documentation sur la controverse nestorienne, n'existe plus. Gennade prétend qu'il fut volé à l'auteur. Il semble plus vraisemblable que Vincent lui-même a fourni un résumé de cette seconde partie trop lourde, qui est devenue la « récapitulation finale », et en prit la place.

150[n. 141 p. 99] La Constitution sur la Révélation divine dit de même : « La Tradition sacrée et la sainte Écriture possèdent d'étroites liaisons et communications entre elles. Toutes deux, en effet, découlent de la même source divine, se réunissent peut-on dire, en un seul courant et tendent à la même fin… C'est pourquoi Écriture et Tradition doivent être reçues et vénérées l'une et l'autre avec le même sentiment de piété, avec le même respect. » On peut être surpris, avec le cardinal Pellegrino, qu'il n'est fait aucune mention de Vincent de Lérins dans le texte conciliaire de Vatican II.

151[n. 142 p. 99] Vincent réduit ici ses trois critères à deux.

152[n. 143 p. 100] Au ch. 27, Vincent dit déjà qu'il n'est pas l'inventeur de ce critère : il l'a reçu d'hommes saints et doctes.

153[n. 144 p. 100] Ce qui permet de dater le Commonitorium. Le concile d'Ephèse s'ouvrit le 22 juin 431.

154[n. 145 p. 100] Ce titre était donné aux citoyens de l'ordre sénatorial.

155[n. 146 p. 100] Le concile de Rimini (sur la Mer adriatique), en 359, est demeuré célèbre. Certains évêques, sous la pression de l'empereur signèrent une formule qui favorisait l'hérésie arienne. Ce qui provoqua la phrase célèbre de Jérôme [citée] note 12.

156[n. 147 p. 100-101] Cyrille obtint la condamnation de Nestorius avec des procédés qui ne font pas honneur à l'histoire conciliaire. Sur Cyrille, voir notre Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 192-204 [= p. 187-194 de la dernière édition]. Cf. [H.-I. Marrou, J. Daniélou et alii], Nouvelle histoire de l'Église, 1, [Paris, 1963], p. 389-391.

157[n. 148 p. 102] Pierre, évêque d'Alexandrie, meurt martyr, en 311. Trois extraits de son livre Sur la divinité du Christ furent lus au concile.

158[n. 149 p. 102] Pour Athanase, voir le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 89-87 [= p. 82-90 de la dernière édition].

159[n. 150 p. 102] Théophile ouvre une véritable dynastie à Alexandrie. Manœuvrier redoutable, il a été l'adversaire implacable et victorieux de Jean Chrysostome. Duchesne est plus prêt de la vérité quand il l'appelle « pharaon ecclésiastique ».

160[n. 151 p. 102] Cyrille était le propre neveu de Théophile.

161[n. 152 p. 102] Sur les trois Cappadociens, voir le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 107-138 [= p. 99-129 de la dernière édition].

162[n. 153 p. 102] Félix était évêque de Rome de 269-274, Jules de 337-352. Les écrits qui furent lus au concile étaient apocryphes, c'étaient des faux composés par les apollinaristes. Voir note 38.

163[n. 154 p. 103] On lut un extrait de son traité Sur les œuvres et les aumônes. La notoriété de Cyprien en Orient est à remarquer.

164[n. 155 p. 103] Pour Ambroise, voir le Dictionnaire des Pères de l'Église, p. 163-170 [= p. 153-160 de la dernière édition].

165[n. 156 p. 103] Vincent oublie deux noms : Atticos de Constantinople (406-421) et Amphiloque, évêque d'Iconium (Konia, en Turquie) de 374-400. Ils sont omis sans doute pour respecter symétrie avec les dix commandements de Dieu.

166[n. 157 p. 103] De fait les choses se passèrent de façon beaucoup moins irénique au concile d'Ephèse.

167[n. 158 p. 103] Il suffit à Vincent, fidèle à son critère, que les dix représentent géographiquement l'universalité.

168[n. 159 p. 104] En 431, l'Afrique était envahie par les Vandales. Capréolus, métropolitain de Carthage, invité, n'avait pas à se rendre au concile. Augustin lui-même avait été invité, mais venait de mourir, l'année précédente.

169[n. 160 p. 104] Vincent rapporte fidèlement le texte conservé par les Actes du concile.

170[n. 161 p. 104] L'empereur Théodose II avait adressé le 19 novembre 430 une lettre circulaire à tous les métropolitains pour les convoquer au concile d'Ephèse. Il leur demandait d'amener avec eux quelques-uns de leurs suffragants les plus représentatifs.

171[n. 162 p. 105] La formule est adroite, elle laisse entendre que même à ce haut niveau un certain nombre d'évêques étaient loin d'être théologiens.

172[n. 163 p. 105] Le concile d'Ephèse prétend ne pas formuler une doctrine nouvelle, mais traditionnelle, appuyée sur un florilège de textes et d'autorités patristiques.

173[n. 164 p. 105] Affirmation assez candide de Vincent qui épouse la position de Cyrille d'Alexandrie, manifestement calomnieuse pour Nestorius. Il suffit de s'en rapporter à l'art. « Nestorius », dans le Dictionnaire de théologie catholique, rédigé pax E. Amann.

174[n. 165 p. 106] Lettre 6 de Sixte (432-440) à Jean patriarche d'Antioche (PLS III, 22), datée du 15 septembre 433.

175[n. 166 p. 106] Célestin I, évêque de Rome (422-432), écrivit cette lettre, sous l'impulsion de Prosper d'Aquitaine, qui avait dénoncé les positions anti-augustiniennes des évêques de Provence. Pour la lettre, voir PLS III, 20. Elle demeure plus modérée que ne l'avait espéré et souhaité Prosper, augustinien inconditionnel.

176[n. 167 p. 106] Le mot n'est pas dans le texte. C'est une imputation faite à Célestin.

177[n. 168 p. 107] Vincent tronque adroitement le texte papal, qui défendait la mémoire du grand Augustin, sans toutefois épouser toutes ses thèses. L'auteur retourne ici les paroles de Célestin en laissant croire que les adversaires d'Augustin étaient les novateurs incriminés.

178[n. 169 p. 108] Ce qui a fait dire à la Constitution sur la Révélation divine (Vatican II), 10 : « Il est donc évident que la Tradition sacrée, sa sainte Écriture et le magistère de l'Église sont entre eux, selon le très sage dessein de Dieu, tellement liés et associés, qu'aucun n'a de consistance, sans les autres. »

179[n. 170 p. 108-109] La conclusion que tire Vincent est loin d'être patente, elle est, à dire vrai une pétition de principe : le concile d'Ephèse a défini la vraie doctrine et subsidiairement condamné Nestorius dans la mesure où il s'en écartait.

180[n. 171 p. 109] Mais quelle était la véritable pensée de Nestorius ? Il s'agit là d'un autre problème qui, lui, est d'ordre historique. Prise à la lettre, cette formule contredit ce que le même Vincent a dit plus haut du progrès en théologie, ch. 23. Elle priverait l'Église de toute explicitation dogmatique, comme l'a bien vu Franzelin (voir note 128), par exemple l'Immaculée Conception, l'Assomption.

181[n. 172 p. 109] Cette remarque finale se trouve dans trois manuscrits. L'historien Gennade de Marseille a pu la lire puisqu'il intitule le traité de Vincent Contre les hérétiques. Il se lisait donc dans le manuscrit qu'il avait sous les yeux, avant 490.


[PAGE 112]

POUR MIEUX TIRER PROFIT DE CE LIVRE

[PAGE 113]

<-Idées-forces qui se dégagent de la lecture

Deux grands thèmes paradoxaux et complémentaires se dégagent de la lecture de ce livre : Tradition et progrès. L'exposé, avec ses redites et ses disgressions a de quoi dérouter un lecteur moderne. Il importe d'assembler tous les éléments parfois dispersés.

1. LA TRADITION

C'est le thème central, au sens de vérité évangélique, transmise à l'Église. Vincent se situe dans le sillage d'un Irénée et d'un Tertullien.

De l'importance de la Tradition 1. 2
La foi est d'abord un donné reçu dont nous sommes dépositaires et non propriétaires. Elle est donnée à l’Église, qui en est responsable, avec ses évêques. D'où la nécessité d'un magistère. 1. 2. 12. 32.

Pourquoi l’Écriture ne suffit pas
Toutes les vérités sont contenues dans l’Écriture. Mais d'une part il est dangereux d'extraire un texte de son contexte, 2. 25, de l'autre, il existe des textes obscurs qui ont besoin d'explication. 7. Vincent prélude à l'enseignement du concile de Trente.

L'Écriture est expliquée par le magistère. Celui-ci s'explique tantôt dans les interventions du magistère romain, par exemple le pape Étienne, dans la controverse sur le baptême des hérétiques, tantôt dans les décisions conciliaires, Nicée, et surtout Ephèse, 25. 29. 30.

De l'autorité des Pères de l’Église
Vincent est un des premiers auteurs qui développe l'importance des Pères de l'Église et assemble un dossier patristique. 30.
Il définit un Père : sainteté de vie et doctrine orthodoxe. 30. 31. On y ajoutera plus tard la note de l'antiquité.
Il fournit une méthode pour les utiliser. 28.
[PAGE 114] Le magistère lui-même et les conciles s'appuient sur l'autorité des Pères, 30. Autorité d'Ambroise, 5, de Cyrille d'Alexandrie, 31.
L'autorité des Pères doit être globale pour ne pas dire unanime. Parmi eux il peut exister des opinions non partagées par les autres Pères. Tertullien et Origène en sont des exemples. 17. 18.
Les Pères eux-mêmes sont soumis au magistère. 3.

Les trois critères de l'orthodoxie
La règle fournie par Vincent deviendra normative dans l'Église, avec des nuances. L'auteur y revient à plusieurs reprises : 4. 27.
Triple exigence :
— partout, cf. 4 ;
— toujours (antiquité relative) ;
— par tous, cf. 4. L'hérétique est un novateur. Vincent éclaire son critère à la lumière de l'histoire, par le baptême des hérétiques, 6 ; la foi trinitaire et christologique, 13. 14.

2. LE PROGRES DOGMATIQUE

Curieusement c'est le principe complémentaire sur le développement dogmatique qui a rendu particulièrement célèbre le livre de Vincent.
Il existe un progrès illégitime, comme le montre l'exemple des innovations de Photin, de Nestorius et d'Apollinaire. 11. 16.

Comment concevoir le progrès ?
Thème de l'important chapitre 23.
Le progrès doit s'effectuer dans la ferveur et la fidélité de la foi.
Il est comparable à la croissance de l'enfant et de la plante, donc organique, allant de l'implicite à l'explicite, dans une identité substantielle.
Il existe un progrès dans le fini et dans l'expression, comme en témoignent les formulations dogmatiques.

Le travail théologique
Vincent conçoit fort bien le travail théologique, comme celui des Pères qu'il cite en modèle. Ils sont les ouvriers du progrès tel que Vincent et plus tard Newman l'envisagent : sans lui, il n'y aurait ni explicitation ni développement organique.
[PAGE 115] Le travail du théologien doit être à la fois fidélité à la foi vécue et soumission au magistère, en dernier ressort responsable. 17, cf. 28. L'histoire montre que les plus grands peuvent se tromper. 28. 17. 11. Il consiste à perfectionner et à polir ce qui dès l'antiquité a reçu une première ébauche ; à consolider et à affermir ce qui a déjà son évidence et son relief ; à garder ce qui a été affermi et consolidé. Tout cela constitue une acquisition définitive (G. Bardy). 23.

3. QUELQUES POINTS SUBSIDIAIRES

Chemin faisant, Vincent aborde per transennam des questions annexes qui ont leur prix.

Du bon usage de l'hérésie
Elle permet une mise au point de questions controversées. 6. 10. Elle purifie notre foi et notre fidélité, 20. Quand « fermente quelque nouveauté, les grains les plus lourds tombent et se séparent de la paille qui s'envole ».
Vincent commente la célèbre phrase de saint Paul à Timothée, souvent reprise au cours de l'histoire : « Il faut qu'il y ait des hérésies ». L'hérésie oblige aussi à croire à la présence de l'Esprit dans l'Église. Ce dernier point est peu abordé par Vincent.

La vraie foi
L'auteur est d'une part soucieux d'une exacte formulation des vérités de la foi, surtout du dogme trinitaire et christologique. 13. 14. Ses affirmations sur la personne du Christ préludent déjà au concile de Chalcédoine. Ce qui n'est pas un mince mérite.
Il suggère également que la foi se vit, qu'elle se développe mais qu'il importe de la vivre en Église, avec toute la communauté ecclésiale. 23. 24. 5.
Martyrs et confesseurs témoignent d'une foi « engagée », au prix de la vie. Ambroise développe « ce beau risque de la foi ».

Utilisation de l’Écriture
Nous parlons ailleurs (Table des citations bibliques) de l'usage que fait Vincent de l'Écriture, des livres les plus cités. Pour lui [PAGE 116] l'étude biblique ne se limite pas à l'exégèse des textes mais s'enrichit de l'expérience spirituelle. 28.

De la manière décrire l'histoire
Dans la présentation des faits et de certains événements, Vincent se permet quelques simplifications, que nous avons relevées en note, n. 15. 24. 29. 35a. 46. 52. 65. 73. 101. 114. 147. 164. 168. Ceci est particulièrement vrai, dans la manière de rapporter les événements d'Ephèse et le rôle de Cyrille. 30. 31.

[PAGE 117]
<-TABLE DES CITATIONS BIBLIQUES

Citations assez éclectiques, d'où les prophètes petits et grands sont à peu près absents, le Pentateuque peu utilisé, mais où les livres sapientiaux sont assez bien représentés. Saint Paul domine dans les citations du N.T. Nous avons curieusement une citation de la Deuxième lettre de saint Jean. Les chiffres renvoient aux chapitre du livre I.

Genèse (Gn)
9, 21 : 7

Exode (Ex)
31, 2 : 22

Deutéronome (Dt)
3, 1 : 1
13, 1-3 : 10, 19
17, 13 : 17, 19
32, 7 : 1

Psaumes
21, 17 : 15
45, 11 : 1
91 (90 LXX), 13 : 24 (note)

Proverbes (Pr)
9, 15-18 : 21
22, 17 : 1
22, 28 : 21, 25
45, 11 : 1

Ecclésiaste (Qo)
10, 8 : 21, 25

Ecclésiastique (Si)
8, 17 : 21

Ezéchiel (Ez)
3, 13 : 20, 25
18, 23 : 24

Matthieu (Mt)
3, 12 : 20
3, 16 : 25
13, 24 : 22
13, 38 : 6
25, 15 : 22

Jean (Jn)
1, 14 : 15
1, 29 : 25
3, 13 : 15
4, 10.14 : 20

Actes (Ac)
8, 9-24 : 24
9, 15 : 9

Romains
7, 13 : 12
16, 17-18 : 7

[PAGE 118]
Galates (Ga)
1, 8-9 : 8
1, 15 : 33
5, 25-26 : 9
6, 7 : 7

1 Corinthiens (1 Co)
1, 10 : 28
2, 8 : 15
3, 16 : 24
5, 11 : 24
11, 19 : 20
12, 28 : 28

2 Corinthiens (2 Co) 11, 13-14 : 25

1 Timothée (1 Tm)
1, 10-11 : 7, 19
2, 7 : 9
5, 12 : 7
6, 4-5.13 : 7
6, 20-21 : 21, 22, 24, 33

2 Timothée ( 2Tm)
2, 16-17 : 7
3, 6-7, 9 : 7
4, 3-4 : 7

Tite (Tt)
1, 10-11 : 7

Ephésiens (Ep)
1, 23 : 20

1 Pierre (1 P)
1, 19 : 25

2 Jean (2 Jn)
11 : 24

Apocalypse (Ap)
5,1 : 5

[PAGE 119]
<- Le Commonitorium de Vincent dans l'histoire

L'ouvrage de Vincent ne s'appelle pas Commonitorium ou « aide-mémoire » dans les manuscrits, nom qui lui a été donné par les modernes, mais « le traité de Peregrinus pour l'antiquité et l'universalité de la foi catholique, contre les innovations impies de tous les hérétiques » (Ms 2172, 2173, 2785). Ou plus simplement « traité de Peregrinus contre les hérétiques » (ms 13386).
Le livre de Vincent de Lérins a d'abord connu le purgatoire des écrivains. Il est peu connu, peu transcrit. Il ne reste que quatre manuscrits, tous les quatre conservés à la Bibliothèque Nationale de Paris, auxquels on peut ajouter des extraits, trouvés dans un manuscrit espagnol (Ripoll 151), par J. Madoz.
Les quatre manuscrits s'échelonnent du 8e au 13e siècle :
- 13 386, du 8e ou 9e siècle, a des lacunes. Il provient de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. C'est le meilleur. Il contient un écrit apocryphe de saint Augustin, De studio caritatis et divers traités et opuscules.
- 2 172, du 9e-10e siècle, appartenait d'abord à Pierre Pithou, humaniste protestant, qui à la lecture du Commonitorium revint au catholicisme. Le manuscrit « transita » par Colbert avant d'entrer dans la Bibliothèque Royale. Il contenait également l'Ad ecclesiam de Salvien et divers opuscules.
- 2 785, du 10e-11e siècle, contient de même l'Ad ecclesiam de Salvien.
- 2 173, du 13e siècle, avec Ad ecclesiam et divers opuscules.

Au Moyen Age Vincent de Lérins est à peu près oublié. Ni Thomas d'Aquin ni Bonaventure ne le citent.
Les choses changèrent dans les temps modernes, à l'âge de l'imprimerie et de l'édition. L'édition princeps a été faite par Jean Sichard, à Bâle, en 1528, dans un recueil de textes sur les hérésies, [PAGE 120] l'Antidotum contra diversas omnium fere saeculorum haereses. Elle a utilisé un manuscrit, d'ailleurs défectueux, aujourd'hui perdu.

La liste des éditions et des traductions qui se succèdent, dressée par R.M.J. Poirel, à Nancy, en 1895, est impressionnante :
• au 16e siècle : 35 éditions (y compris les rééditions), 22 traductions (françaises, allemandes, italiennes, anglaises, écossaises, espagnoles, polonaises, hongroises, bohémiennes) ;
• au 17e siècle : 23 éditions et 12 traductions ;
• au 18e siècle : 12 éditions et 12 traductions ;
• au 19e siècle : 14 éditions et 20 traductions.
Depuis lors, il faut énumérer, pour nous en tenir aux seules éditions, à celle de Jülicher, 1895, rééditée, Tübingen, 1925, de G. Rauschen, Bonn, 1906 (Florilegium Patristicum), de R.S. Moxon, Cambridge, 1915, rééditée en 1956. Ces deux dernières, à partir des manuscrits. Celle de Moxon est désormais la meilleure.
Les traductions françaises au 20e siècle : Pierre de Labriolle, Paris, 1906 (que nous reproduisons ici, avec de légères retouches), M. Meslin, Namur, 1959 (Écrits des saints).
À jeter un coup d'œil sur les seize éditions anciennes, qui figurent au catalogue de la Bibliothèque Nationale, on constate qu'en 1544, le Commonitorium est édité avec le De praecriptione haereticorum de Tertullien, duquel il est souvent rapproché. En 1618, l'ouvrage entre la Magna Bibliotheca Patrum de Marguerin de la Bigne, il sera désormais un classique des « Bibliothèques ».
En 1552, l'édition de Jean de Coster, publiée à Louvain, divise l'ouvrage en 43 chapitres. La troisième édition de S. Baluze, en 1684, rétablit l'ordre des 33 chapitres d'après la recension des quatre manuscrits parisiens. Cette édition, la meilleure, parmi les anciennes, fut intégrée à la Patrologie latine de Migne (PL 50).

Le débat théologique ouvert par la Réforme donna à l'ouvrage de Vincent de Lérins, dans les deux camps, une nouvelle actualité. G. Vossius, en 1618, plus tard, le cardinal de Noris ont voulu voir dans l'écrit une œuvre anti-augustinienne. Thèse aujourd'hui récusée par les historiens. Dans la foulée de Vossius, Richard Simon, dans son Histoire critique des commentaires du N.T., publiée en 1693, se réfère aux règles de Vincent qu'il oppose aux innovations augustiniennes. Bossuet dans la Défense de la Tradition s'efforça de montrer [PAGE 121] l'identité de vues chez Vincent et chez Augustin. De Vincent de Lérins, il retient surtout la doctrine d'une tradition conçue de manière statique, au point d'en exclure un réel progrès dogmatique (Défense, II, 6, 2). Leibniz lui objecta qu'une interprétation trop rigide du critère de Vincent : semper et ubique « est beau et magnifique à dire tant qu'on demeure dans les termes généraux, mais quand on vient au fait, on se trouve loin du compte ». Lettre demeurée sans réponse.
Newman a son tour, principalement dans l'Essai sur le développement, fait remarquer que l'axiome de Vincent est suffisant pour déceler ce qui est contraire à la vérité, mais non pas pour établir toute la vérité, par exemple de la doctrine sur l'Incarnation. Le cardinal Franzelin développa une thèse assez proche de celle de Newman.
Le concile de Vatican I, qui définit l'infaillibilité pontificale, rendit hommage à Vincent de Lérins, en citant du Commonitorium ce qui a trait au principe du développement, ch. 23, dans la constitution dogmatique de la foi catholique, ch. 4. La constitution sur la Révélation divine de Vatican II passe l'ouvrage sous silence.

[PAGE 122]
<- NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
[mise à jour (G.B.)]

Sur Lérins
L. CRISTIANI, Aux origines du monastère de Lérins, Saint-Wandrille, 1947. (Lecture aisée.)
H. MORIS, L'abbaye de Lérins. Histoire et monuments, Paris, 1909.
[C. SCHERLIESS, Literatur und « conversio » : literarische Formen im monastischen Umkreis des Klosters von Lérins, Berne, 2000]

Sur Vincent de Lérins et le Commonitorium
Nouvelle édition : R. DEMEULENAERE, Foebadius, Victricius, Leporius, Vincentius Lerinensis, Euagrius, Ruricius (Corpus Christianorum Series Latina LXIV), Turnhout, Brepols, 1985, p. 147-195.
Nouvelle traduction : P. MONAT sur patristique.org, 2005
A. D’ALÈS, « La fortune du Commonitorium », Recherches de sciences religieuses 26, 1936, p. 334-356.
F. BRUNETIÈRE, P. DE LABRIOLLE, Saint Vincent de Lérins, Paris, 1906, auquel nous avons emprunté notre traduction. (Longue introduction, écrite en pleine crise moderniste.)
[A. FERREIRO, « Simon Magus and Priscillian in the Commonitorium of Vincent of Lérins », Vigiliae Christianae 49, 1995, p. 180-188]
[É. JUNOD, « Vincent de Lérins ou La théologie en bibliothèque ecclésiastique », Rivista di storia del cristianesimo 3, 2006, p. 99-115]
[M. LODS, « Le progrès dans le temps de l'Église selon Vincent de Lérins », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 55, 1975, p. 365-385]
[J. MADOZ, El concepto de la Tradición en S. Vincente de Lérins, Rome 1933.]
M. MESLIN, Saint Vincent de Lérins. Le Commonitorium, introduction, traduction et notes, Namur, 1959. Coll. Les écrits des saints. (Excellente traduction, grand public, dont nous avons tiré parti.)
[R. NOUAILHAT, « Analyse d'un discours théologique dogmatique : le Commonitorium de Vincent de Lérins » dans M.-M. MACTOUX et É. GENY (éd.), Discours religieux dans l'antiquité : actes du colloque, Besançon, 27-28 janvier 1995, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 295-320]
[A. PASTORINO, « Il concetto di tradizione in Giovanni Cassiano e in Vincenzo di Lerino », Sileno 1, 1975, p. 37-46]
[H.J. SIEBEN, « Zur Entwicklung der Konzilsidee III : Der Konzilsbegriff des Vinzenz von Lerin », Theologie und Philosophie 46, 1971, p. 364-386]
[M. SIMONETTI, « Alle origini della tradizione cristiana », Vetera Christianorum 39, 2002, p. 343-355]
[Les deux traités de saint Vincent de Lérins [Extraits d’Augustin choisis par Vincent en 440 et présentation et extraits du Commonitorium], Abbaye de Lérins, 1994.]

Sur Tradition et progrès
Y.-M. CONGAR, La Tradition et les traditions, Paris, 1960-1962, 2 vol. (Livre fondamental.)
H. HOLSTEIN, La Tradition dans l'Église, Paris, 1960.
M. THURIAN, L'unité visible des chrétiens et la tradition, Neuchâtel, 1961. (Débat œcuménique.)
Vatican II : La révélation divine, 2 vol. en collaboration, Paris, 1968. (Commentaire d'un texte essentiel.)

Sur Vincent de Lérins et saint Augustin
E. GRIFFE, « Pro Vincentio Lerinensi », Bulletin de littérature ecclésiastique 62, 1961, p. 26-31 (Le Commonitorium n'attaque pas saint Augustin et se situe en dehors de la controverse semi-pélagienne).
[W.J. MOUNTAIN, « The Excerpta Vincentii Lirinensis, Part I : A revised edition », Sacris erudiri 18, 1967-1968, p. 385-405]
[M. VESSEY, « Opus imperfectum : Augustine and his readers, 426-435 A.D.», Vigiliae Christianae 52, 1998, p. 264-285]
[R. VILLEGAS MARÍN, « Auersi texerunt eum : la crítica a Agustín y a los agustinianos sudgálicos en el Commonitorium de Vicente de Lérins », Augustinianum 46, 2006 46, p. 481-528.]

[PAGE 123]
<-TABLE DES NOMS PROPRES ET DES PRINCIPAUX THÈMES

Sur la plupart des personnages on trouvera des indications dans les notes du commentaire. Les numéros renvoient aux chapitres du texte.
Adam, 24.
Afrique, 4 ; 6.
Agrippinus (év. Carthage), 6.
Alexandre (empereur), 17.
Alexandrie, 17 ; 30.
Ambroise, 5 ; 30.
André (apôtre), 8.
Antioche, 32.
Antiochus (consul), 29.
Apelle, 18.
Apollinaire, 2 ; 10 ; 11 ; 12 ; 13; 16.
Ariens, arianisme, 4 ; 13.
Ariminium (Rimini), 29.
Arius, 2 ; 24.
Asie, 29.
Athanase, 30.
Baptême des hérétiques, 6.
Basile, 30.
Bassus (consul), 29.
Bellone, 4.
Béséléel, 22.
Canon, 2 ; 21.
Célestin (pape), 32 ; 33.
Célestius (pélagien), 2 ; 24 ; 33.
Césarée (en cappadoce), 30.
Capréolus (év. de Carthage), 31 ; 33.
Christ, 13 ; 14.
Cyprien, 6 ; 30. 29 ; 31-33.
Cyrille (év. d'Alexandrie), 29 ; 30 ; 31 ; 33.
Donat, 1 ; 4 ; 10.
Donatistes, 4 ; 6.
Écriture, 2 ; 12 ; 32.
Ephèse (concile), 29 ; 30.
Étienne (pape), 6.
Eunome, 2 ; 25.
Félix, martyr, 30.
Foi, 5 ; 13 ; 14 ; 20 ; 21 ; 23 ; 24.
Furie, 4.
Gaulois (évêques), 32.
Gratien (empereur), 5.
Grégoire de Nazianze, 30.
Grégoire de Nysse, 30.
Hérésie, hérétique, 6 ; 10 ; 25-27.
Hermogène, 18.
Hilaire de Poitiers, 18.
Jean (apôtre), 8.
Jovinien, 2 ; 25.
Julien d'Eclane (évêque), 28.
Julius, martyr, 30.
Macédonius, 2.
Magistère, 2 ; 12 ; 32.
Marcion, 18.
Marie, Mère de Jésus, 12 ; 15 ; 16.
Montan, montanisme, 18. 33.
Nestorius, 2 ; 11 ; 12 ; 13 ; 16 ;
Noé, 7.
Novatien, 2 ; 24.
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Origène, 17.
Pannonie, 11.
Paul (apôtre), 7 ; 13-14 ; 20 ; 25 ; 33.
Pélage, 2 ; 24 ; 33.
Pélagiens, pélagianisme, 9 ; 28.
Pérégrinus, 1.
Photin, 2, 10 ; 11.
Pierre (apôtre), 8 ; 13, 14.
Pierre d'Alexandrie, 30.
Porphyre, 11 ; 12 ; 16, 16 ; 17.
Praxéas, 18.
Priscillien, 2 ; 24 ; 25.
Progrès dogmatique, 23.
Rome, 30.
Romaine (Église), 32.
Sabellius, 2 ; 24.
Satan, 26.
Simon, le magicien, 24.
Sirmium, 11.
Tertullien, 18.
Théophile d'Alexandrie, 30.
Tradition, 1 ; 2 ; 27.
Trinité, 13.
Valentin (gnostique), 10.
Xyste (pape), 32 ; 33.