Huit discours, traduits par P. Soler, agrégé de l'Université et D. Ellul

Homélies sur Abraham et Jacob, traduites par Marie-Hélène Stébé

(1982)
Introduction et notes, conseils de travail par A. G. Hamman

Version revue pour migne.fr par G. Bady

[Note de G. Bady: Le lecteur pourra aussi consulter avec profit l'édition des Huit sermons sur la Genèse de Jean Chrysostome par Laurence Brottier, parue dans la collection « Sources Chrétiennes » 433, Paris, 1998, ainsi que celle des Sermons sur l'Écriture de Césaire d'Arles par Joël Courreau, parue dans la collection « Sources Chrétiennes » 447, Paris, 2000.
La présente version du volume 22 des « Pères dans la foi » a été revue et corrigée en ce qui concerne les coquilles et certaines erreurs matérielles, la lisibilité.]

[PAGE 2] Vous trouverez dans ce livre:

• [Une introduction à la Bible chez les Pères et notamment à la Genèse]
• [Une introduction aux Sermons de Jean Chrysostome]
• La série des huit Sermons sur la Genèse, de Jean Chrysostome
- 1. Première homélie
- 2. Deuxième homélie
- 3. Troisième homélie
- 4. Quatrième homélie
- 5. Cinquième homélie
- 6. Sixième homélie
- 7. Septième homélie
- 8. Huitième homélie
• [Une introduction à la Genèse et aux Homélies de Césaire d'Arles]
• Une traduction de quatre Homélies de Césaire d'Arles sur Abraham et Jacob
- 1. Homélie 81: La vocation du bienheureux Abraham
- 2. Homélie 83: Les trois hommes qui apparurent à Abraham
- 3. Homélie 84: Abraham et son fils Isaac
- 4. Homélie 87: L'échelle de Jacob

• Des deux textes, du premier surtout, nous dégageons les idées-forces, qui permettent une étude méthodique.
• Un guide bibliographique permettra de travailler de manière personnelle le livre de la Genèse.
• L'index biblique nous fait découvrir quels sont les textes et les livres bibliques familiers aux auteurs.

[PAGE 7]
<-INTRODUCTION
LES PÈRES ET LA BIBLE

Ouvre l'Écriture, peu importe la page: elle chante l'amour.
Saint Augustin

Nous avons interrogé «les Pères dans la foi» comme les témoins majeurs de la Tradition vivante et vécue de l'Église. Ils ont éclairé tour à tour les interrogations fondamentales: Qu'est-ce que croire? Qui est Jésus-Christ? Comment prier aujourd'hui? Le chrétien est-il immunisé contre la mort?
Le lecteur attentif a pu observer, au cours des vingt et un volumes déjà publiés une constante: la place centrale de l'Écriture. C'est à elle que se réfèrent Irénée et Augustin, Vincent de Lérins et Hilaire de Poitiers. Pour eux elle est norme et autorité. Elle est l'unique source où puisent la catéchèse, la liturgie, la prédication, la discussion. Nous nous trouvons ici au ceur de la foi.
Le temps est venu d'interroger les Pères pour savoir ce que signifie pour eux la parole de Dieu. Ce pourquoi nous intitulons la nouvelle série: Les Pères et la Bible. La conjonction de coordination est ici essentielle. Loin de juxtaposer, nous voulons trouver le lien entre Écriture et enseignement des Pères. «Tous deux découlent de la même source divine, confluent en un même fleuve, coulent vers une même fin» [(Vatican II,] De la révélation, 9). Les Pères n'ont d'autre message que la parole de Dieu.
Ce qui importe, en premier lieu n'est pas tant l'exégèse ou mieux les exégèses des Pères, qui partiellement peuvent nous paraître incomplètes voire même périmées, dépassées en maint endroit, mais de retrouver l'âme de leur recherche, c'est-à-dire la résonance de l'Écriture dans leur foi et leur expérience de vie.
[PAGE 8]

Les Pères lisent l'Écriture en l'Église

Témoins de l'évangile et de la foi, les Pères sont conscients que l'Écriture est l'œuvre de l'Esprit. Elle doit donc être interprétée dans l'Esprit qui habite et anime l'Église de Jésus. Celle-ci, à qui seule il appartient de l'exposer, nous la donne. L'Église la lit en totalité, sans se livrer à des choix, elle la lit avec la totalité des fidèles, sans distinction de temps, dans une parfaite continuité, avec les prophètes qui l'ont annoncée, le Christ qui l'a enseignée, les apôtres qui l'ont transmise, selon Irénée de Lyon.
Les Pères lisent l'Écriture pour l'Église. Catéchistes, éducateurs de la foi, guides de la vie spirituelle, les pasteurs de l'antiquité chrétienne ne se limitent pas à une exégèse critique. S'ils analysent la lettre, c'est pour en atteindre le sens, briser la lettre pour trouver l'esprit. «Quelle intelligence de nous ne faut-il pas, dit Origène, pour recueillir parmi les vulgaires débris de la lettre (pourtant pleins de trésors), la Parole, qui s'y dissimule, et la recevoir dignement?» Leur souci constant est d'unir exégèse critique et exégèse croyante, de prolonger le sens littéral des textes dans leur sens spirituel.
Ici les Pères, dans la diversité de leurs exégèses, sont des maîtres spirituels incomparables, qui nous apprennent à développer la lecture critique en lecture ecclésiale. En d'autres termes, à y trouver le mystère du Christ et de l'Église.
L'Église nous apprend à lire dans le tissu d'une histoire, l'émergence d'une promesse et d'une alliance, qui prennent corps et visage dans le Christ, Verbe de vie. «Lis les livres prophétiques, si tu n'y découvres pas le Christ, il n'est rien de plus insipide ni de plus fade. Découvre le Christ, la lecture non seulement est savoureuse, mais elle enivre», dit saint Augustin. Déjà Irénée l'avait exprimé: «Partout dans l'Écriture se trouve disséminé le Fils de Dieu» (Contre les hérésies IV, 20 et 39).
Cette découverte de la foi, l'exégèse critique, qu'elle soit structuraliste ou «rhétorique», ne peut la faire. Toutes les [PAGE 9] méthodes, si utiles soient-elles, en demeurent à l'eau des jarres de Cana, impuissante à la transformer. La foi seule opère le miracle du changement de l'eau en vin, de la lettre en l'Esprit.
Lecture en Esprit, conjointement avec tout le peuple de Dieu, celui d'hier et celui d'aujourd'hui, rassemblé par lui. «Ainsi la Parole de Dieu s'impose à l'Église par l'Écriture sainte, mais par l'Esprit Saint, reliée à tout ce qui permet de la comprendre, comme le dépôt de la Parole, qui est et demeure une parole de vie, qui ne peut être gardée en dehors de la vie qu'elle-même crée et entretient» (L. Bouyer).

Bible et liturgie

La Bible est née de la liturgie. La sortie de l'Égypte chez les Juifs a été écrite pour être commémorée et éclairée par la foi, qui rassemblait. L'évangile a pris forme pour et dans l'assemblée liturgique. Nombre de pages portent la trace visible de la réunion liturgique qui les ont provoquées.
Mais il est aussi vrai de dire que la liturgie est née de la Bible: elle n'est pas tant un rite qu'un lieu théologique. La communauté est rassemblée pour écouter ensemble la parole de Dieu: Shema Israel, Écoute, Israël. Ce qui avait été vrai des assemblées juives l'est davantage encore de la synaxe chrétienne. «La liturgie fournit le lieu et l'espace pour que la Parole retentisse aujourd'hui.» Temps et espace sont indispensables pour la proclamer mais aussi pour la recevoir, et pour qu'elle demeure, et prenne racine en nous. La lecture personnelle se situe elle-même dans le prolongement de la proclamation publique, elle en favorise l'enracinement, la fécondité.
«Qu'est-ce que l'Église pour le christianisme primitif et patristique, s'interroge le Père Bouyer. C'est fondamentalement l'assemblée concrète et donc locale de fidèles chrétiens, réunis pour écouter ensemble la parole de Dieu, culminant [PAGE 10] dans l'évangile de Jésus, comme réponse à cette parole, réponse, où elle s'accomplit elle-même pour eux et en eux» (Communio, III,6, 1978).
L'assemblée liturgique est le moment à la fois privilégié et sacramentel. Que la liturgie de la parole s'achève ou non en liturgie du pain eucharistie, elle est «temple du Verbe». Lue en église, la Parole a valeur de communion. «Il faut dire que nous lisons toujours en Église la Parole de Dieu, quand celle- ci pour nous pèse son poids de résurrection» (O. Clément).
L'homélie des pasteurs – dont nous allons publier de nombreux textes – est le moment privilégié de leur enseignement. Elle se veut une pédagogie de l'accueil, une initiation pour percevoir la voix de Dieu. La prédication comme la lecture biblique veut être la recherche d'une Présence, pour le pasteur comme pour la communauté. Origène comme plus tard Augustin commencent et finissent leur exposé en prière.
«Demandons au Seigneur de nous donner une intelligence plus claire de ses autres prophéties, d'ouvrir davantage nos sens à la vérité. Que nous puissions considérer dans l'Esprit ce qui a été écrit par l'Esprit, exprimant en termes d'esprit les réalités de l'Esprit, selon Dieu et l'Esprit saint, et de nous faire comprendre ce qu'il a inspiré dans le Christ Jésus, notre Seigneur, à qui la gloire et la puissance. Amen» (Origène).

Notre série: Les Pères et la Bible

Les volumes qui composent la troisième série des «Pères dans la foi» vont s'efforcer de fournir les exégèses des Pères dans la diversité de leurs lectures et l'unité de leur recherche spirituelle.
Nous suivrons dans la mesure du possible l'ordre des livres bibliques, en donnant la préférence dans notre choix au commentaire prêché des Pères, soucieux avant tout de nourrir la foi. Nous tiendrons compte des divers genres littéraires: Loi, Psaumes, Cantique des cantiques, Prophètes.
[PAGE 11] Comme il ne sera pas possible de fournir le commentaire pour tous les livres de l'Écriture, nous consacrerons deux volumes, récapitulatifs, aux thèmes et aux personnages bibliques, qui fourniront un lien à travers l'histoire inspirée.
Les différents volumes paraîtront dans l'ordre de leur finition, et non de la liste proposée, qui pourra être légèrement modifiée.

[PAGE 13]

La Genèse

La Genèse qui ouvre la Bible fait partie d'un groupe de cinq livres, appelés pour cette raison le Pentateuque: Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. Ce sont les archives de famille rassemblées au cours des siècles par le peuple juif. Il importe d'avoir prêtes à l'esprit les données essentielles de l'exégèse pour situer le commentaire de Jean Chrysostome et celui de Grégoire de Nysse.

Composition de la Genèse

«Le livre du Commencement»: ainsi Edmond Fleg a-t-il traduit le titre de la Genèse. Le nom lui vient de la traduction grecque des Septante. Les Juifs appelaient les cinq premier livres la Tora, la Loi.
La Genèse raconte l'histoire des promesses, depuis la création d'Adam, jusqu'à la mort de Jacob et de Joseph. Le tissu du texte mêle inextricablement trois documents ou trois traditions d'origine et de tendance différentes. [N.B. La «théorie documentaire» ici exposée ne fait plus autorité aujourd'hui (G.B.)]

La première, appelée «yahviste», parce que Dieu y est appelé Yahvé («Il est»), fournit l'armature et la continuité de tout le récit: Création d'Adam et d'Ève, Paradis terrestre, Noé, Tour de Babel, Vocation et vie d'Abraham et des patriarches. L'histoire patriarcale déroule la destinée particulière d'Israël sur le fond d'un récit primitif, qui remonte jusqu'aux origines, où elle prend place dans le grand dessein de Dieu concernant l'humanité entière.
La Genèse utilise des traditions littéraires suméro-akka[PAGE 14]diennes. Pour l'histoire patriarcale, elle dispose d'anciennes traditions orales. Le récit de Joseph s'inspire de l'Égypte.
A cette première tradition se mêle celle qu'on appelle «élohiste», par ce que Dieu y est appelé Élohim ou Seigneur pour éviter de nommer Dieu par son nom. Cette tradition est particulièrement soucieuse d'éviter les anthropomorphismes. Elle est imparfaitement conservée, souvent sacrifiée à la première tradition par le rédacteur.La tradition «sacerdotale», troisième source, bien postérieure, de l'époque de l'exil, au VIe siècle, domine dans le Lévitique. Elle témoigne de préoccupations théologiques. Le récit de la création en six jours (Gn 1) veut justifier l'institution de la semaine sabbatique. Grâce à des dates, à des listes, à des généalogies, elle décrit le cadre chronologique et ethnique du récit.

La Genèse se divise en deux grandes parties inégales:

1. Récit des origines
- La création et la chute, 1,1-6,4.
- Le déluge, 6,5-9,17.
- Du déluge à la Tour de Babel, 9,18-11,9.
2. L'histoire patriarcale
- Abraham, 11,10-25,18.
- Isaac et Jacob, 25,19-37,1.
- Joseph, 37,2-50,26.

Les deux parties sont de valeur et de teneur différentes. Les onze premiers chapitres ne constituent pas une histoire au sens que les modernes donnent à ce terme. Ils se situent dans la préhistoire et la paléontologie et décrivent de manière imagée et populaire, sous forme de récits adaptés à un peuple primitif, les vérités fondamentales de l'histoire du salut: la création de l'homme et de la femme, l'état originel, la faute et ses conséquences pour l'humanité.
L'histoire des patriarches est une histoire de famille, où [PAGE 15] Israël raconte les biographies de ses ancêtres, avec les événements qui les jalonnent: naissances, mariages, morts. Histoire populaire, essentiellement religieuse, d'où se dégagent trois idées-forces: un Dieu, un peuple, un pays. Un Dieu – le Dieu unique – choisit un peuple et lui promet une terre. Il lui prédit récompense et postérité. Ces promesses se situent dans le cadre d'une Alliance, disposition de bienveillance où Dieu engage la parole avec Abraham, Isaac et Jacob.

La Genèse et l'Évangile

Le livre du Commencement est avant tout un livre prophétique. Il annonce les promesses qui vont s'accomplir dans le Messie, le missionnaire de Dieu. Déjà pour les prophètes, le Messie attendu se présente comme un nouvel Adam, ouvrant un nouveau paradis. Ézéchiel, plus particulièrement, décrit la Jérusalem nouvelle comme un paradis nouveau (47,7-12). Cette lecture messianique du livre de la Genèse, courante à l'époque du Christ, affleure dans la rédaction du Nouveau Testament.
De la Genèse, la littérature biblique et juive retient surtout deux thèmes: le paradis et Adam. Les temps messianiques sont décrits comme la restauration de l'état paradisiaque, et le Messie comme un Adam nouveau. Les évangiles et l'Apocalypse insistent davantage sur le premier thème, les épîtres pauliniennes, sur le parallélisme des deux Adams, qui sera élaboré par Irénée de Lyon.
Le récit du baptême de Jésus, dans les trois Synoptiques, établit, en filigrane, un parallélisme avec la création. L'Esprit qui plane sur les eaux du Jourdain réalise la figure du tohu- bohu primitif et annonce l'action créatrice de Jésus. La mission du Christ se présente comme une vocation renouvelée (Mt 3,16-17). La tentation de Jésus est la réplique à celle des premiers hommes: «Paradis perdu, paradis retrouvé», comme écrira Milton.
[PAGE 16] A sa manière Paul oppose les deux chefs de l'humanité, Adam, qui apporte le péché et la mort, le nouvel Adam, qui fournit la grâce et la vie (Rm 5,12-21). Dans un même mouvement, dans une même action, on pourrait dire dans une même épopée, meurt «le corps de péché» et ressuscite l'homme nouveau dans une existence renouvelée. L'adjectif «nouveau», si cher à saint Paul, exprime ce nouveau commencement. L'œuvre du Christ est la reprise de la Genèse et l'instauration du dessein salvifique de Dieu.
L'Apocalypse surtout, le livre de l'achèvement, se présente comme la fin de la Genèse: fin et origines se répondent, dans le déroulement d'une seule et même économie du salut. L'Apocalypse annonce le dénouement de l'histoire comme un nouveau commencement: nom nouveau, Jérusalem nouvelle, cieux nouveaux et terre nouvelle. Et tout sera nouveau. Et dans le jardin de Dieu, définitivement rouvert, les élus auront accès à l'arbre de vie (Ap 2,7; cf. 7,17; 21,6; 22,1-2).

La Genèse dans la liturgie

Le livre occupe désormais une place centrale dans la liturgie et la catéchèse des premiers siècles chrétiens, comme il apparaît dès la lettre de Pierre (1 P 3,18-22), qui fait écho à l'enseignement paulinien, déjà analysé. Le christianisme se présente comme la réalisation du Paradis. Le Christ est l'arbre de vie (Ambroise, Isaac, 5,43) ou la fontaine du Paradis (Ambroise, Du paradis. 3).
Thème que nous retrouvons dans le premier recueil de poésie chrétienne, les Odes de Salomon (11, voir aussi 15 et 25):

Une eau parlante s'est approchée de mes lèvres
venant de la source libérale du Seigneur.
J'ai bu et j'ai été enivré
de l'eau vivante qui ne meurt pas.

[PAGE 17] Et mon visage a reçu la rosée
et mon haleine a goûté le parfum du Seigneur.
Il m'a transporté en son Paradis,
où est la richesse et la suavité du Seigneur.

Saint Hilaire, au début de son Traité des mystères, qui est une lecture christique de l'Écriture mais avant tout de la Genèse, présente et résume la tradition liturgique et catéchétique. «Le Christ, pendant tout le temps de ce monde, par de vraies et d'authentiques préfigurations, engendre l'Église, la lave, la sanctifie, l'appelle, la choisit, la rachète: dans le sommeil d'Adam, dans le déluge de Noé, dans la bénédiction de Melchisédech, dans la justification d'Abraham. Ainsi depuis la création du monde a été préfiguré ce qui aura été accompli dans le Christ.»Notre nouvelle série fournira le texte complet de ce remarquable livre, qui veut fournir la clef de la lecture biblique. Les deux volumes «Thèmes bibliques» et «Personnages bibliques» permettront d'analyser comment les Pères établissent concrètement ce parallélisme et l'accomplissent dans le Christ. Irénée s'y était déjà appliqué dans la Prédication apostolique.La Genèse est fondamentale dans la catéchèse baptismale des Pères. Dans le prolongement de l'exégèse juive et de la tradition néotestamentaire, la Tradition établit le parallèle des deux créations, autour du thème de l'eau. Eau créatrice, fécondée par l'Esprit, qui porte la vie. L'épiclèse ou invocation fait descendre l'Esprit sur les eaux baptismales pour leur communiquer leur valeur sanctificatrice. «Si bien que s'il y a dans l'eau une grâce, elle ne vient pas de la nature de l'eau mais de la présence de l'Esprit» (Basile, Saint-Esprit, 15,35). Et il ajoute: «C'est par l'Esprit que s'opère le rétablissement dans le paradis, la montée jusqu'au royaume des cieux, le retour dans l'adoption filiale.»Par assonance, les Pères associent aux eaux de la création les eaux du déluge, qui est à la fois jugement et salut; il [PAGE 18] détruit et épargne. Thème déjà cher à la tradition prophétique et apostolique, surtout à la lettre de Pierre. Noé y est la figure du sauvé, du baptisé. L'arche du salut est l'image de l'Église (1 P 3,20), comme l'affirme Jean Chrysostome lui- même. Entré dans l'Église, le chrétien navigue, assuré, vers le port du salut.Du thème des deux créations, les Pères dégagent trois lignes maîtresses, dans leur théologie baptismale:

- Le thème des deux Adams:

Le Christ, nouvel Adam, selon le thème paulinien, déjà orchestré par Irénée. Ce dernier définit l'économie du salut comme la récapitulation universelle dans le Christ, qui nouvel Adam, est le chef de la nouvelle création.Comme du sommeil d'Adam naît la première Ève, du sommeil du nouvel Adam, sur la croix, naît la nouvelle Ève, l'Église, mère des croyants. Ce thème, d'Irénée à Méthode d'Olympe, d'Hilaire à Augustin est cher à toute la tradition patristique.

- Le thème de l'image et de la ressemblance:

Fondement de l'anthropologie chrétienne, ce thème s'enracine dans le texte de la Genèse: «Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance» (Gn 1,22). Texte qui pour les Pères découvre le sens chrétien de l'homme. Image inamissible pour la plupart des Pères, ensablée par le péché, mais que le Christ, le baptême, la grâce fait reparaître.

- Enfin, le thème du paradis, cher plus spécialement à la théologie syrienne d'Ephrem. Le paradis est à la fois l'Église, le baptême, la vie mystique, la récompense des martyrs, la félicité future:

Heureux, Seigneur, ceux qui sont plantés dans ta terre, et trouvent une place en ton paradis,
Heureux, Seigneur, ceux qui sont plantés dans ta terre, et trouvent une place en ton paradis,
qui poussent dans la plantation de tes arbres,
qui émigrent des ténèbres à la lumière
(Ode 11).

Grégoire de Nazianze développe le même thème dans une homélie baptismale: «Tu es hors du paradis, ô catéchumène, compagnon d'exil d'Adam. Maintenant la porte s'ouvre, rentre d'où tu es sorti» (Du baptême, PG 46,420).Le livre de la Genèse était lu au début du carême à Antioche, à Milan, en Afrique du nord, et d'après Césaire d'Arles également en Gaule. Ce qui explique le nombre de commentaires et d'homélies que nous ont laissés les Pères latins, grecs et orientaux, spécialement sur «l'œuvre des six jours» de la création (Basile, Ambroise, Jean Chrysostome).

[PAGE 20]
<-JEAN CHRYSOSTOME ET L'ÉCRITURE

Jean que la postérité appellera pour son éloquence Chrysostome, ou Bouche d'or, a été ordonné prêtre au début de l'année 386. Il a trente-sept ans. Formé à l'école de maîtres réputés, ces derniers ont discerné les dons exceptionnels pour la parole.
Des années durant, Jean s'est consacré à la prière et à l'ascèse auprès des moines syriens. Ceux-ci l'ont initié à la Bible. Après la prière et les hymnes de la première heure, les moines en Syrie se retiraient dans leurs cellules pour s'adonner à la lecture des livres saints (Homélies sur la 1re à Timothée, 14,4). C'est leur occupation favorite toute la journée (Homélies sur Matthieu, 68,4-5). Désormais l'Écriture est pour Jean le livre de chevet, et son maître à penser. Il la connaît par cœur, comme ses classiques, et peut y puiser avec une aisance incomparable. En cela il ressemble à l'évêque d'Hippone. Chez l'un comme chez l'autre la citation biblique appuie et fleurit sans cesse le discours.
Contrairement à Augustin, Jean s'est longuement préparé au sacerdoce. Cinq ans il a été lecteur, dans la communauté d'Antioche, pendant cinq autres années, il a exercé le diaconat dont les tâches se ramenaient à trois: service de l'autel, gestion des biens de l'Église, direction des œuvres de bienfaisance. Il a occupé ses loisirs à publier des ouvrages ascétiques dont le Dialogue sur le sacerdoce, où déjà il esquisse le profil du ministère futur. Dans ce traité l'Écriture est le livre de théologie, indispensable pour le prêtre comme pour l'évêque. «Tout ce que tu auras de loisirs, consacre-le à lire les saintes Écritures» (Lettre à Théodore).
Loin d'être réservé aux clercs, l'Écriture est indispensable [PAGE 21] au peuple chrétien. Il en a même plus besoin que les moines. Il faut acquérir le texte comme un outil nécessaire au salut. Il ne suffit pas de posséder une Bible, il faut la lire. Jean recommande aux fidèles de lire d'avance le texte qui sera expliqué à l'assemblée liturgique. Il ajoute: «Rassemblez- vous en vos maisons pour une lecture commune» (Homélies sur Matthieu, 5,1). Déjà le partage d'évangile. «Rien de tel que le silence pour écouter Dieu, le silence de l'âme avec le silence de la voix» (Homélies sur Jean, 1,2).

Prédicateur de la parole de Dieu

Prêtre d'Antioche, Jean se consacre avant tout à la prédication. C'est d'abord à cet effet que l'évêque Flavien l'avait ordonné. Jean le reconnaît lui-même: «Maintenant encore nous conférons le soin de baptiser aux prêtres les moins capables, et la prédication aux mieux doués. La difficulté n'est pas d'administrer le baptême, mais d'y préparer.»
Du jour au lendemain, Jean passe du rang des auditeurs à l'ambon, où désormais il exerce le ministère de la parole. Nous possédons encore son premier discours fleuri, concret, percutant, tissé de citations bibliques et d'images tirées de la vie quotidienne. Il y proclame que le service de la parole «est le plus grand, le plus parfait, le plus excellent de tous les sacrifices». Il dira un jour: «Je ne peux laisser passer un jour sans vous nourrir des trésors de la sainte Écriture» (Homélies sur la Genèse, 28,1).
La prédication est non seulement son ministère mais sa vie, un besoin vital pour lui-même comme pour son auditoire. Autant la communauté éprouve de faim, autant Jean éprouve le besoin de prêcher. «Ma prédication me guérit. Dès que j'ouvre la bouche, toute fatigue disparaît» (Homélie après le tremblement de terre).
Jean expose l'Écriture. Le grand nombre de ses homélies sont des commentaires des livres bibliques. Aucun Père de [PAGE 22] l'Église ne nous a laissé une œuvre biblique aussi étendue. Aucun n'a commenté comme lui presque la totalité des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Il s'agit moins de commentaires que d'homélies, où l'Écriture est le levier de la vie chrétienne.
Cette parole trouve son lieu privilégié dans la liturgie, où au peuple assemblé elle est lue et expliquée. La réunion liturgique apparaît le moment par excellence de l'efficacité et de l'accueil de l'Écriture. Pendant le carême, les fidèles se rassemblent quotidiennement, alors que l'eucharistie n'est célébrée que le samedi et le dimanche. Les autres jours, les fidèles écoutent la lecture biblique et la prédication. L'Écriture est le cœur et l'âme de l'assemblée. Celle-ci doit s'y préparer. Jean encourage ses auditeurs à lire à l'avance le texte qu'il commentera, pour en tirer plus grand profit. «Il est impossible que celui qui s'entretient avec Dieu et l'écoute n'en tire bénéfice» (Homélies sur Jean, 53,3).
Pour faire saisir l'importance de l'Écriture, Jean Chrysostome multiplie les comparaisons et les images. Il la compare à un jardin, à un trésor caché, inépuisable, à une source intarissable, à un retour au paradis terrestre. «La lecture de l'Écriture est une prairie spirituelle, un paradis de délices, bien préférable au premier paradis. Celui-là Dieu l'a planté non dans la terre mais dans le cœur des croyants. II ne l'a pas placé en Eden, il ne lui a pas fixé un lieu du côté de l'Orient. Il l'a déployé sur la terre entière, il lui a donné comme limite l'univers».
Lire l'Écriture pour Jean, c'est s'entretenir avec Dieu. «Appliquons-nous donc à cette lecture non seulement pendant deux heures (la durée de l'office). La simple audition n'est pas suffisante. Que chacun, rentré chez lui, reprenne la Bible en mains. Qu'il rumine les choses qu'il a entendues, s'il veut retirer de l'Écriture des bienfaits durables. L'arbre planté, près du courant des eaux, n'est pas en rapport avec elles, pendant deux ou trois heures, mais le jour entier, la nuit entière» (Homélies sur les Actes, 3,1).
[PAGE 23]
Le modèle pour Jean demeure l'apôtre Paul, missionnaire inlassable de la Parole. Le prêtre d'Antioche l'a toujours prêt à l'esprit. Il y revient sans cesse au cours de son enseignement, il relit jour après jour, semaine après semaine ses lettres. L'Apôtre est pour lui «la source des fleuves merveilleux qui jour après jour ne cessent de couler, et qui, au lieu d'arroser la terre, réveillent nos âmes pour les rendre fécondes. Leur fruit, c'est la perfection» (Homélies sur saint Paul 1,1 – paru dans «Les Pères dans la foi» [16]).

L'exégèse de Jean Chrysostome

Jean Chrysostome est fils d'Antioche, école biblique de l'Orient chrétien. Il s'est formé à l'école des maîtres qui ont illustré la cité. Un texte résume les orientations exégétiques d'Antioche.«Tous les dires de l'Écriture tombent en trois catégories:
- certains manifestent au-delà de leur lettre, un sens plus profond, objet de la théoria (la vision prophétique),
- d'autres ne peuvent être compris que selon leur énoncé littéral, comme celui-ci «Dieu fit le ciel et la terre»;
- d'autres, enfin, peuvent être compris seulement suivant un sens différent du sens des mots, comme le texte des Proverbes (5,19):
Biche aimable, gracieuse gazelle,
Qu'elle s'entretienne avec toi.

Jean fidèle à l'école d'Antioche, insiste sur l'étude philologique du texte, il discute les variantes des manuscrits, précise les circonstances historiques, qui accompagnent l'apparition de tel ou tel livre. Il donne la préférence au sens littéral et ne recourt au sens figuré ou typologique que lorsque le sens obvie n'est pas satisfaisant. Il replace sans cesse un texte dans [PAGE 24] son contexte pour mieux l'éclairer. Commentant la Genèse, il s'en tient à la littéralité avec une rigueur qu'un exégète moderne récusera.
Loin de minimiser l'effort, Chrysostome insiste sur la nécessité d'exercer l'intelligence. «Peu importe lâ lecture, si nous n'avons pas l'intelligence du texte.» Il aime à recourir à l'exemple de l'eunuque de la reine Candace, qui lisait l'Écriture sans la comprendre, jusqu'au moment où le diacre Philippe vint lui expliquer le texte. «Appliquez-vous à ce que je vais vous dire: Tendez votre esprit, offrez-moi une âme éveillée, un regard pénétrant, une oreille attentive» (Homélie sur la Passion).
Cela d'autant plus qu'il existe des textes obscurs ou difficiles, parfois des contradictions, des passages qui peuvent faire scandale. L'Écriture recourt à des anthropomorphismes pour s'adapter à la faiblesse humaine. Plutôt que de s'en scandaliser, mieux vaut y découvrir la condescendance de Dieu qui s'adapte à notre esprit épais et charnel, comme un maître qui instruit des enfants. Thème de la condescendance de Dieu, cher entre tous à Jean d'Antioche.
Il importe de discerner dans l'Écriture la démarche de Dieu, qui se plie à la fragilité humaine et à la lenteur de nos esprits. C'est ainsi que les homélies sur la Genèse évoquent admirablement l'extrême condescendance de Dieu, face aux hommes. «Au commencement il conversait familièrement avec les humains, Adam, Caïn, Noé, Abraham, sans écrire. Avec la dégénérescence de l'humanité, Dieu s'est servi de lettres envoyées par l'intermédiaire de Moïse, pour lui rappeler son amitié. Nous les recevons donc, installés dans un pays étranger» (Homélies sur la Genèse, 1,2).
L'Écriture comme lettre est une image chère à Jean. Elle souligne le caractère affectif et personnel de l'Écriture, adressée à l'humanité entière et à chaque fidèle, en particulier. Malgré le péché et l'éloignement, Dieu conserve des liens avec les hommes, qui permettent de les conduire jusqu'à la [PAGE 25] venue de son Fils. Démarche de la volonté salivifique de Dieu, qui s'achève dans l'Incarnation.
Si Jean se situe en réaction contre l'allégorisme alexandrin, il reconnaît que les mots peuvent couvrir un sens caché, qui est celui de l'Esprit qui prophétise. «L'arche de Noé a une signification mystérieuse. Elle est une image de l'avenir. L'arche préfigure l'Église, Noé, le Christ, la colombe, l'Esprit saint, la feuille d'olivier, l'amour de Dieu pour les hommes» (Homélies sur Lazare, 6,7). Il en est de même du sacrifice d'Isaac et de l'histoire de Joseph (Homélies sur la Genèse, 61,3).
L'Écriture donne elle-même la clef des allégories qu'elle emploie afin d'empêcher les esprits d'errer au hasard et sans but ou de s'égarer, victimes de leurs propres imaginations. Jean formule ici le principe fondamental du sens typologique, fondé sur l'Écriture lui-même. Il faut donc éviter de schématiser à l'excès le littéralisme de Jean et d'Antioche.
Ce qui importe avant tout au prêtre Jean, c'est de n'en pas rester aux considérations exégétiques mais d'en arriver à des conclusions concrètes et de puiser dans l'enseignement biblique une règle de vie sous la conduite de l'Esprit. «Ne cherche pas un autre maître, tu possèdes les paroles de Dieu. Nul autre t'instruira comme elles» (Homélies sur la Lettre aux Colossiens, 9,1). Prêchant au début du carême, Jean insiste sur les œuvres de miséricorde. Parlant de l'eucharistie il ajoute: «Voulez-vous rendre honneur au corps du Seigneur? Ne la dédaignez pas quand vous le voyez couvert de haillons; après l'avoir honoré dans l'église par des vêtements de soie, ne le laissez pas dehors souffrir de froid et dans le dénuement» (Homélies sur Matthieu, 50,3-4).
Ce débouché constant de la parole de Dieu dans la vie quotidienne, cette invitation permanente à la conversion évangélique est une des raisons principales du succès des commentaires bibliques de Jean Chrysostome, de l'antiquité à nos jours. Nul enseignement patristique a mieux vieilli que le sien a écrit H. von Campenhausen. Charles de Foucauld – comme le curé d'Ars – ne se lassait pas de le relire pour nourrir sa prière et sa vie spirituelle. [PAGE 26]

Les Homélies de Jean sur la Genèse

Ordonné prêtre un peu avant le carême, Jean inaugure son ministère par la lecture commentée de la Genèse, qui se lisait à la réunion liturgique. Si le Sermon sur la montagne est le début de la prédication augustinienne, les huit homélies sur la Genèse, que nous publions ici, inaugurent la nouvelle charge de Chrysostome. Il semble les avoir prêchées, au cours d'une semaine, où il prit la parole chaque jour. Sans doute en cours d'après-midi, avant l'unique repas du soir, qui rompait le jeûne.
Le prédicateur se contente ici de commenter l'œuvre des «six jours», comme l'avaient fait Basile et Ambroise. Deux ans plus tard, en 388, Jean reprend et développe le même thème, en consacrant 67 homélies à tout le livre de la Genèse. Dans les commentaires des premiers chapitres, les deux moutures coïncident jusqu'à la rencontre verbale. Visiblement l'orateur a sous les yeux, quand il reprend le sujet, le texte des premiers discours.
Les éditeurs ont coutume d'ajouter aux huit sermons sur la Genèse, un neuvième, authentique, mais qui visiblement n'a pas fait partie initialement de la série. Il explique pourquoi le nom d'Abram fut changé en Abraham et développe la fidélité de Dieu à ses promesses infaillibles.
Les huit homélies sur la Genèse sont l'œuvre d'un prédicateur débutant. On peut deviner ses tendances, sa méthode, son génie propre, sans qu'elles se manifestent parfaitement. Les divers discours sont de longueur inégale. Le septième est le triple des autres: son introduction est particulièrement longue.
Plutôt que de commenter verset par verset des péricopes bibliques, Jean choisit un thème central: Image et ressemblance, arbre de la connaissance, le précepte imposé. Ce qui lui permet de centrer son discours. Chaque thème commente un texte précis.
[PAGE 27]
Fidèle à la méthode strictement littérale des Syriens, Jean prend le texte à la lettre, qu'il s'agisse d'Adam, donnant leur noms aux animaux, du «fragment de corps» prélevé pour la formation d'Éve, du serpent, des fruits de l'arbre de vie. Jean donne une assise historique au temps où Dieu converse familièrement non seulement avec Adam mais avec Caïn et Noé, I,2. Richard Simon a déjà fait la remarque: «Il n'y a aucun écrivain ecclésiastique qui se soit attaché autant que lui, dans ses homélies, à expliquer la lettre de l'Écriture.»
Chemin faisant, Chrysostome discute sur une variante de lecture, VI, 2. Longuement il s'interroge sur la connaissance d'Adam, avant la faute, pour expliquer le sens de «l'arbre du bien et du mal». VII. L'interprétation de l'image et de la ressemblance est personnelle et s'éloigne de la tradition patristique. Cf. Idées-forces du livre.
Commentaire plus littéral que littéraire, communément pratiqué dans les écoles hellénistiques de l'époque par les grammairiens pour les auteurs profanes, la prédication du prêtre d'Antioche vaut avant tout par les idées-forces qu'elle dégage avec maîtrise, où déjà se manifeste la pensée de Jean Chrysostome: bonté et bienveillance inaltérables de Dieu, grandeur de l'homme, au sommet de la création, don royal de la liberté, qui le rend plus roi que les rois, V, 2, à condition d'en faire bon usage. Gravité et responsabilité du péché qui dénature l'homme, mais ne change pas les dispositions profondes de Dieu, IV, 1.
Au lieu d'investigations savantes, le prêtre Jean préfère, selon la méthode qui déjà s'exprime, trouver la valeur existentielle de l'Écriture pour le chrétien, y découvrir une provocation à l'action, au combat spirituel, au progrès évangélique. La Bible permet également de répondre aux objections des adversaires, particulièrement des manichéens.
Le nombre et la diversité des citations bibliques: le clavier va de la Genèse au Nouveau Testament. Prophètes, Proverbes, Sirach, Job, Psaumes surtout sont abondamment cités.[PAGE 28] Saint Paul domine déjà et atteste une familiarité éprouvée. On note le beau développement qui rapproche le paradis terrestre du paradis promis au bon larron. VII.

A. G. Hamman

[PAGE 29]
<-Le texte des Huit sermons sur la Genèse de Jean Chrysostome
PG 54,581-620.
[PAGE 31]

<-Première homélie[1]

1. Oui, le printemps est bien la saison préférée des marins comme des paysans ; mais ni les uns ni les autres ne l'accueillent avec autant de satisfaction que les amoureux de la vie parfaite [2] n'en éprouvent à voir arriver l'époque du jeûne ; n'est-il pas le printemps dans la vie spirituelle, le printemps pour les âmes, le retour au calme dans la vie intérieure ? Pour les paysans, le printemps c'est la joie de voir la terre se couronner de fleurs, étendre en tout lieu comme une immense étoffe aux mille nuances, quand toute la végétation jaillit. Et les marins, eux, se disent qu'ils peuvent naviguer sur le dos des mers en toute sécurité, les vagues qui se gonflaient se sont tassées, les dauphins jouent sur ces eaux sereines, on les voit souvent plonger le long de la coque même du bateau.

La belle saison du jeûne

2. Pour nous, la belle saison, c'est le jeûne, c'est la joie de le voir écraser les vagues de nos désirs les plus irrationnels et disposer une couronne, non plus de fleurs, mais de toutes les grâces [3] que suscite en nous l'Esprit : « Tu recevras sur ta tête [PAGE 32] une couronne de grâces » (Pr 1,8). L'hirondelle apparaît-elle ? Les tempêtes disparaissent. Mais il est bien plus vrai que le jeûne va balayer de notre âme toute cette agitation qu'y entretiennent nos passions. Finie cette bataille de l'esprit et de la chair, finie cette rébellion de l'esclave contre le maître, un terme est mis, une bonne fois, à cette guerre livrée par notre corps. Allons, puisque la paix s'installe en nous, profonde, puisque la mer est vraiment d'huile, tirons notre barque, nous aussi, pour aller mener l'enseignement de l’Église à bon port, puisque votre attention nous offre une route calme que nous longerons. Puisque l'esprit n'est plus entravé, enhardissons-nous à méditer sur la création du ciel et de la terre, et de la mer, sur l'ensemble de la création ; c'est là, en effet, le sujet de la lecture de ce jour.

« Mais, me direz-vous, qu'importent à ma vie des considérations sur la création ? » Et moi je vous dis : c'est de votre propre vie qu'il s'agit, mes biens-aimés ! Si, en effet, nous remontons, par analogie, de la grandeur, de la beauté du monde créé à la contemplation du Créateur, plus nous nous attarderons sur cette splendeur, sur cette grandeur, plus nous serons conduits vers le Créateur.

Penser rigoureusement le créé : l'enjeu spirituel

3. C'est un bien sans prix que de savoir distinguer le créé et le Créateur, l'œuvre et l'artisan. Si les ennemis de la vérité savaient les distinguer rigoureusement, ils éviteraient de tout confondre, de tout mettre sens dessus dessous : non seulement ils ont fait descendre les étoiles [4] le ciel, et ils ont élevé la [PAGE 33] terre au ciel, mais ils ont emmené le roi des cieux loin de son trône, loin de sa royauté pour le mêler à la création, et à la création ils ont attribué ce qui est l'apanage de la divinité.

Si les Manichéens avaient l'idée juste de la création, iraient-ils attribuer les privilèges de l'être qui n'est pas venu à exister à ce qui est un ensemble d'éléments ne possédant pas l'être, voués à la dégradation, à l'évolution, au changement ? Si les Grecs avaient l'idée juste de la création, adoreraient-ils, idolâtreraient-ils la création aux dépens du Créateur ? Oui, le ciel est magnifique, mais pourquoi fut-il créé, si ce n'est pour susciter la vénération envers le Créateur ? Et si le soleil a tant d'éclat, c'est pour que monte notre adoration jusqu'à son auteur. S'enfermer dans l'admiration pour la création, s'installer dans le sentiment de la beauté de l'ouvrage, c'est convertir la lumière en ténèbres, que dis-je ? avec la lumière c'est faire l'œuvre des ténèbres. Ainsi, voyez-vous combien il est précieux de pouvoir connaître la raison d'être du créé ? Alors ne passez pas à côté d'un tel avantage, soyez parfaitement attentifs à ce qui va suivre. Car ce n'est pas seulement du ciel ou de la terre et de la mer que nous nous entretiendrons, c'est aussi de notre propre venue à l'existence, c'est de l'origine de la mort, de la souffrance dans notre vie, de ses passages à vide et de ses tourments.

La Bible, correspondance adressée à l'homme ; Dieu ne lui cache rien

4. Sur tout cela, sur mille choses encore, Dieu s'est expliqué, et il nous a envoyé ce livre : car Dieu ne dédaigne pas, non, de s'en expliquer auprès des hommes, il nous crie par la voix du prophète : « Venez et parlons ensemble » (Is 1,18).

[PAGE 34]

Et Dieu ne se borne pas à s'expliquer, à soutenir sa cause dans le débat ; voilà qu'il nous enseigne aussi comment éviter une condamnation ! Il ne s'est pas contenté de dire simplement : « Venez et parlons ensemble », il a commencé par nous apprendre ce qu'il fallait dire, ce qu'il fallait faire, et c'est ensuite seulement qu'il nous entraîne au tribunal. Le prophète dit un peu avant : « Lavez-vous, purifiez-vous, débarrassez-vous de toute iniquité ; apprenez à faire ce qui est bien, jugez en faveur de l'orphelin, et rendez justice à la veuve » (Is 1,16). Et c'est alors seulement qu'il ajoute : « Venez et parlons ensemble, parole du Seigneur. » « Je ne veux pas, dit le Seigneur, vous surprendre démunis, dépourvus de toute justification ; je vous ai armés de moyens de vous défendre avant de vous inviter à rendre des comptes. Et si je désire qu'il y ait un débat entre nous, ce n'est pas pour vous condamner, c'est pour vous épargner. » C'est dans cet esprit qu'il nous dit ailleurs : « Expose d'abord tes fautes, pour que je te justifie » (Is 43,26). Cela revient à nous dire : « Tu as affaire à un accusateur perfide et implacable ; prends toi-même les devants, prends sa place, et ferme ainsi cette bouche impudente. »

Dans les premiers temps, donc, Dieu communiquait directement avec les hommes, dans la mesure où l'homme peut entendre la voix de Dieu : il vint ainsi trouver Adam (Gn 3,9-19), il formula à Caïn ses reproches (Gn 4,9-15), il s'entretint avec Noé (Gn 6,13-9,17), il descendit chez Abraham (Gn 18,1-14). Mais quand nous nous sommes laissés aller au péché, peu à peu, quand nous nous sommes fixés sur des terres éloignées, alors, désormais, voici que Dieu nous adressa des lettres, comme à des gens établis loin, très loin, et tenta ainsi de renouer avec nous, ses amis d'autrefois, par l'intermédiaire, en quelque sorte, de la correspondance. Ces lettres, c'est Dieu qui nous les envoya, et c'est Moïse qui fut chargé de nous les transmettre.

[PAGE 35]

Pourquoi Dieu nous parle-t-il d'abord du ciel et de la terre ? Pédagogie de l'Écriture

5. Que disent donc ces lettres ? « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre » (Gn 1,1). Pourquoi ne pas nous parler des anges ? Et des archanges ? Car si des choses créées nous pouvons aboutir à la contemplation de Dieu, Dieu ne se manifeste-t-il pas de façon plus éclatante à travers les anges ? Oui, le ciel est magnifique, mais pas aussi magnifique qu'un ange ; oui, le soleil resplendit, mais il ne resplendit pas comme un archange. Alors pourquoi Dieu délaisse-t-il les voies les plus sublimes pour nous faire passer par les voies les plus humbles ?

Il parle aux Juifs, et les Juifs avaient perdu la raison : les choses sensibles les avaient plongés dans la fascination, ils étaient montés d'Égypte où les hommes adoraient des crocodiles, des chiens, des singes ; était-il possible de les conduire vers le Créateur en empruntant la voie la plus sublime ? Sublime, elle est aussi la plus ardue, la plus escarpée, la plus raide pour des gens faibles. Ainsi Dieu les conduit-il par la voie la plus facile, le ciel, la terre, la mer, tout l'aspect visible de la création. Voilà la raison. La preuve en est dans l'évolution des propos que leur tient le prophète ; il en vient à leur parler aussi des puissances célestes, quand ils ont fait quelque progrès : « Louez le Seigneur depuis les cieux, louez-le dans les hauteurs ; louez-le, tous ses anges, louez-le, toutes ses armées, car il lui a suffi de parler et ils reçurent l'être, il lui a suffi de vouloir, et ils furent créés » (Ps 148,1.2.5).

N'allez pas vous étonner de cette pédagogie à l'ceuvre dans l'Ancien Testament : dans le Nouveau Testament – et c'était tout de même le temps d'une révélation plus sublime – nous voyons Paul y recourir, comme Moïse pour instruire les Juifs, lors de son entretien d'Athènes [5] . Il se garde bien de parler [PAGE 36] d'anges ou d'archanges ! Non, il parle du ciel, de la terre, de la mer : « Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, lui, le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme » (Ac 17,24). Mais s'entretient-il avec les Philippiens [6] , ce n'est plus la même voie qu'il emprunte : il les entraîne dans des considérations plus élevées : « Car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances ; tout a été créé par lui et pour lui » (Col 1,16). Et Jean, lui aussi, attendit, pour faire mention de la création dans son ensemble, visible et invisible, que ses disciples fussent plus avancés : il ne leur parla pas du ciel, de la terre, de la mer, mais il dit bien : « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut de ce qui est (Jn 1,3), et il désigne par là le visible comme l'invisible. C'est la même progression dans l'enseignement : le maître d'école reçoit d'une mère un enfant tout jeune, il apprend les rudiments, la base ; puis l'élève passe entre les mains d'un autre maître qui le guide vers des connaissances plus élevées. C'est exactement la manière de procéder de Moïse, de Paul, de Jean. Le premier nous prend alors que nous ne savons rien, sortis à peine de chez la nourrice, et il nous donne les rudiments de la connaissance de Dieu ; Paul et Jean nous reçoivent des mains de Moïse et nous mènent à une connaissance supérieure, en nous rappelant rapidement les bases. Comprenez-vous la parenté des deux Testaments ? L'harmonie de leurs enseignements ? Vous avez entendu David évoquant la création des réalités visibles et des réalités purement spirituelles aussi : « Il lui a suffi de parler et ils reçurent l'être. » Et inversement, dans le Nouveau Testament, évoquant les puissances invisibles, l'apôtre parle au même moment de la création visible.

[PAGE 37]

La portée du premier verset de l'Écriture : la création à partir de rien

6. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » (Gn 1,1). Une phrase brève, une phrase toute simple, mais capable, à elle seule, de renverser tout le système défensif que lui opposent ses adversaires. Un manichéen vous aborde et vous dit que la matière est incréée. Répondez-lui : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » Il n'en faut pas plus pour voir s'écrouler sa superbe ! « Mais, me direz-vous, il ne croit pas aux affirmations de l'Écriture ! » Voilà précisément pourquoi vous devez l'écarter de votre chemin et prendre la fuite. Car enfin, ne pas faire confiance à Dieu lorsqu'il se donne ainsi à connaître, taxer la vérité de mensonge, n'est-ce pas faire la preuve, manifestement, qu'on est insensé pour ne pas croire ? « Comment, à partir de rien quelque chose pourrait-il être ? » me dira-t-il. Et dites-moi, comment, à partir de ce qui est, quelque chose peut-il venir à être ?

Reprenons : je crois, mais vous ne l'admettez pas, que la terre a surgi du néant, mais vous comme moi nous reconnaissons que l'homme est né de la terre ; or sur ce dernier point, justement, qui ne fait pas discussion entre nous et que vous accordez aisément, je vous pose la question : comment la terre a-t-elle pu être à l'origine de notre corps ? Avec la terre que peut-on former, si ce n'est une pâte pour faire des briques, des tuiles, des vases ? Mais quant à voir un corps se former à partir de la terre... Quelle est donc l'origine de ce qui constitue notre corps ? Comment les os ont-ils pu être façonnés, et les nerfs, les veines, les artères ? Comment se sont formés les membranes, la graisse, les muscles, la peau, les ongles, les cheveux, tant et tant de substances si différentes, à partir d'une seule substance originelle, la terre ?

On serait bien en peine de répondre. Ainsi, on est dans l'ignorance, touchant des réalités immédiates, banales, et on prétend avoir son mot à dire sur des problèmes plus embar[PAGE 38]rassants, plus difficiles, on prétend les trancher : n'est-ce pas absurde ?

Considérons, si vous le voulez, un phénomène lui aussi banal, quotidien ; je vous défie de m'en rendre compte, cette fois encore. Nous mangeons du pain, chaque jour : or dites-moi comment la substance du pain devient du sang, du flegme, de la bile, et se change en ces différentes humeurs qu'il y a dans notre corps ? Le pain n'est-il pas compact, bien solide, et le sang, lui, circule, fluide ; le pain n'est-il pas blanc, ou légèrement jaune, et le sang rouge ou noir ? Passons aux autres caractéristiques : quelle différence du pain au sang ! Eh bien, comment tout cela est-il possible ? Pouvez-vous me l'expliquer ? Non ? Ainsi, vous ne pouvez pas me rendre raison de la transformation qui s'opère à partir d'un aliment que nous consommons chaque jour, et vous exigez que je vous rende des comptes quand il s'agit de l'action créatrice de Dieu ? Quoi de plus aberrant ? Ah ! si Dieu agit à notre façon, alors exigez qu'on vous rende compte de ce qui est. Et pourtant, même dans l'ordre de l'agir humain, nous ne pouvons, bien souvent, expliquer le comment, qu'il s'agisse d'obtenir de l'or à partir de la terre dans les mines, qu'il s'agisse de transformer du sable en verre, avec cette transparence. Bien d'autres réalisations sont dues à l'action de l'homme sans que nous en connaissions le mécanisme pour autant.

Alors, sauf à considérer Dieu comme semblable à nous, comment exiger des comptes ? S'il y a une différence infinie de Lui à nous, si l'excellence de Dieu est inimaginable, comment ne pas tomber dans la plus grande démence en exigeant qu'Il rende compte de tout ce qui est, comme on le ferait pour une quelconque activité humaine, au moment même où l'on reconnaît que sa sagesse et sa puissance sont infinies, que sa divinité dépasse tout entendement ?

[PAGE 39]

Accepter tout l'enseignement de la Genèse, même s'il déconcerte

7. Mais en voilà assez. Laissons cette argumentation et gagnons plutôt les hauteurs, le rocher infrangible. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » C'est sur un tel fondement que vous devez vous établir, pour éviter que quiconque vous fasse tomber dans la confusion des ratiocinations humaines : « Les pensées des mortels sont peu assurées et chancelants sont leurs desseins » (Sg 9,14). N'allez pas abandonner un terrain solide pour risquer votre salut sur une surface pourrie ou glissante ; demeurez attachés aux enseignements auxquels vous avez donné votre confiance et dites : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Que vienne un manichéen, un marcionite, un individu atteint de la doctrine de Valentin [7] que vienne qui voudra : proférez cette affirmation ; il aura beau rire, vous pleurerez sur son sort : il est fou. Oh ! ils ont un teint de buis, le sourcil morne, la parole modeste, fuyez le piège, et sous la peau du mouton, reconnaissez le loup qui se camoufle. On a d'autant plus raison de le détester qu'il a l'air doux, qu'il fait le bon apôtre avec vous, son égal, tandis qu'envers notre commun Maître il se montre plus sauvage qu'une meute de chiens enragés, déclarant au ciel une guerre sans trêve, menant contre lui une lutte sans merci et dressant ses forces face à lui. Fuyez le poison de son iniquité, prenez en haine son venin délétère ; sauvegardez avec une fermeté inentamable l'héritage reçu de vos pères, je veux parler de la foi et de l'enseignement transmis par les saintes Écritures.

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » Quoi ? D'abord le ciel, ensuite seulement la terre ? D'abord le toit, ensuite le rez-de-chaussée ? Oui, Dieu n'est pas soumis aux [PAGE 40] contraintes de la nature, ni à l'ordre des opérations de l'artisan. C'est plutôt l'inverse : c'est la volonté de Dieu qui a façonné la nature, c'est à elle qu'est due l'ingéniosité humaine, c'est elle qui fut comme l'artisan [8] de tout ce qui est.

Du bon usage d'un monde aussi riche

8. « La terre était vague et vide » (Gn 1,2). Pourquoi a-t-il fait du ciel quelque chose d'achevé, tandis que la terre, au dire de Moïse, ne fut façonnée que peu à peu ? En nous faisant voir que sa puissance se manifeste dans un élément achevé, il nous fait comprendre qu'il aurait pu faire apparaître la terre tout aussi achevée. Et s'il y a renoncé, c'est pour vous, oui, pour votre salut. « Quel rapport, me direz-vous, avec nous et notre salut ? »

Qu'est-ce que la terre ? Notre table à tous, notre patrie, notre nourrice, notre mère commune, elle est notre cité, notre tombe à tous : notre corps ne vient-il pas de la terre et la nourriture qu'il absorbe aussi ? Ne vivons-nous pas sur elle, n'est-elle pas le lieu de notre vie, le lieu, aussi, où nous retournons à notre mort ? Or, l'usage que nous faisons, pour les besoins de notre vie, de cette terre, pourrait nous amener à regarder le monde avec une excessive complaisance, la vue de tant et tant d'avantages que nous en tirons pourrait nous entraîner à négliger Dieu ; ainsi Dieu nous montre-t-il cette terre, avant que l'hbrrime existe, dépourvue de forme, privée [PAGE 41] de tout contour ; et la voyant si peu consistante, admirerez- vous Celui qui, l'ayant fait apparaître, l'a dotée de toutes ces virtualités, glorifiant Celui qui, pour faciliter notre existence, a disposé sur la terre tant et tant de choses. Et si Dieu est glorifié en ses sages décrets, il l'est aussi quand il dispose si excellemment toutes choses sur terre. « Ainsi votre lumière doit- elle briller aux yeux des hommes pour que, voyant vos bonnes actions, ils en rendent gloire à votre père qui est dans les cieux » (Mt 5,16) [9] .

Où mettre son argent le plus en sûreté ? Quel est le meilleur placement ?

9. J'aurais voulu ajouter quelques mots à propos du partage. Mais il est superflu, je crois, de vous en instruire par la parole quand nous avons au milieu de nous un homme habilité à nous instruire, lui, par ses actes, notre père à tous, notre maître à tous, qui n'a reçu, semble-t-il, une maison de ses parents que pour la réserver à l'accueil de ses hôtes, et l'a laissée entièrement à toutes les victimes de la persécution contre la vérité : il les y reçoit, les entoure de toute sorte de soins, et l'on finit par se demander si c'est sa propre maison ou celle des autres. Disons plutôt que si elle est sa maison, c'est parce qu'elle est celle des autres. Oui, nos biens ne sont jamais autant nôtres que lorsque nous en disposons non pour nous- mêmes, mais entièrement pour les pauvres. Laissez-moi m'expliquer là-dessus.

Mettez votre argent dans la main des pauvres, et vous ne subirez ni les attaques des maîtres-chanteurs ni les regards des [PAGE 42] envieux, ni les méfaits des voleurs ! Plus de cambrioleur pour commettre une effraction chez vous, plus de serviteur pour commettre une indélicatesse et prendre la fuite.

La main des pauvres, voilà le coffre le plus sûr ! Enfouir son argent chez soi, c'est l'exposer aux voleurs, aux cambrioleurs, aux envieux, aux sycophantes [10] , aux serviteurs, et à toute sorte de risques. Vous le savez, souvent votre argent a pu échapper aux atteintes venues du dehors, grâce à tout un système de portes, de verrous ; pour autant il n'a pas échappé au personnel chargé justement de la surveillance ! Voilà les gardiens au loin avec leur prise ! Ainsi n'avons-nous jamais autant la pleine possession de notre argent qu'en le confiant aux pauvres.

Pour la sécurité, donc, c'est pleine garantie. Mais pour le rendement, aussi, rien de plus avantageux et quel meilleur placement [11] ! Prêtez à quelqu'un, en effet : vous touchez du un pour cent ; prêtez à Dieu pour aider le pauvre, ce n'est plus un pour cent, c'est le centuple que vous recevrez. Ensemencez une terre fertile : quand la récolte est bonne, vous en retirez vingt fois ce que vous y avez mis ; jetez votre semence dans les cieux, quand elle aura levé, vous aurez gagné le centuple, la vie éternelle, la vie incorruptible, l'immortalité. Ce n'est pas tout. Voyez le mal que se donnent les paysans. Pour vous, pas besoin de charrue, de boeufs, d'ouvriers agricoles, tout ce labeur est superflu pour récolter ce qui aura été semé. Et plus rien à craindre avec cette semence-là, ni sécheresse, ni pluies excessives, ni dégâts de la nielle, ni grêle, ni armées de sauterelles, ni débordements des rivières, rien. Car la [PAGE 43] semence que vous aurez jetée dans les cieux est trop hors d'atteinte pour recevoir quelque dommage.

Ainsi donc, vous n'avez aucun mal à vous donner, vous ne courez aucun risque, ni n'encourez la malveillance de qui que ce soit, vous n'avez aucun coup du sort à redouter, et, de plus, la récolte donnera infiniment plus que vous n'avez semé au départ ; et de quelle qualité cette récolte (« Ce que l'oeil n'a jamais vu, ni l'oreille entendu, ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme », 1 Co 2,9) ! Cela étant, vous pousseriez le mépris de vos intérêts jusqu'à négliger l'occasion de gagner plus pour courir après un profit moindre, jusqu'à sacrifier un gain plus sûr pour courir après un bénéfice incertain, dépendant de combien de risques et exposé à combien d'aléas ? Quelle indulgence pourrait mériter un tel choix ? Et comment le justifier ? Alléguerons-nous une situation financière très difficile ? Serions-nous donc alors plus démunis que cette veuve qui n'avait que deux piécettes, et qui les mit dans le Trésor du Temple (Lc 21,2) ? N'ayons d'yeux que pour sa fortune ; essayons, en effet, d'imiter l'immense générosité de son geste et nous aurons part, nous aussi, aux trésors qui l'attendent. Puissions-nous en être jugés dignes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage avec le Père et le Saint-Esprit la gloire, l'honneur et la puissance, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.

[PAGE 44]

<-Deuxième homélie

La prédication tire son dynamisme de la prière des fidèles

1. Vous rappelez-vous les questions que je soulevais ces jours-ci devant vous ? Faut-il que vous m'ayez amené à un telle audace, faut-il que, poussé par vous, j'aie été à ce point insensé que j'aie pu oser aborder ces problèmes-là ? En vérité, faut-il parler d'audace, de folie ? Non, car ce n'est pas en comptant sur mes propres forces, mais en me confiant totalement aux prières des évêques, et à votre prière à tous, que je me suis mis en état, tel un athlète, de me colleter avec de telles questions. Ah ! tel est le pouvoir de la prière de l'Église que, fussions-nous plus muets que des pierres, elle donnerait à notre langue plus d'agilité que n'en ont les oiseaux ! Quand le vent d'ouest atteint de plein fouet la voile, vous voyez le bateau fendre l'air plus rapidement qu'une flèche ; eh bien, quand la prière de l'Église atteint la bouche du prédicateur, vous voyez sa parole se faire plus impétueuse que le vent lui- même ! Voilà le secret de notre confiance chaque fois, avant d'affronter l'épreuve, comme l'athlète. Vous le savez, il suffit qu'il ait, dans un stade comble, dix ou vingt admirateurs, pour descendre dans la lice avec résolution ; mais nous, quelle n'est pas notre confiance ! Ce n'est plus dix, vingt personnes, c'est toute l'assemblée qui nous est acquise, pleine de pères, de frères pour nous [12] .

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Ajoutez qu'au stade, l'athlète n'a rien d'extraordinaire à attendre, malgré tout, de la présence de ses admirateurs, si ce n'est des cris en sa faveur, des mouvements d'admiration, des clameurs qui essayent de couvrir, du haut des gradins, les partisans de l'adversaire ; quant à descendre dans la lice pour lui prêter main-forte, tirer la jambe de son concurrent ou se livrer à quelque manifestation de ce genre, il n'en est pas question ! Vous savez qu'en organisant ces compétitions, on a, dès l'origine, installé en cercle des piquets bien pointus, reliés par des chaînes, qui ont un effet dissuasif sur des spectateurs excités. Rien que de normal dans cette interdiction de descendre dans la lice puisque l'entraîneur lui-même, assis en dehors de l'aire de compétition, n'a l'autorisation d'apporter l'aide de ses conseils qu'à distance, sans avoir le droit d'approcher l'athlète.

Mais ici, foin de ces règlements ! L'auditeur comme le maître peuvent s'approcher de nous, être tout près par leurs dispositions intérieures et susciter nos forces. Allons, ici même reprenons la lutte comme le font les athlètes du stade : vous le savez, ils se tiennent l'un l'autre au milieu de la lice, mais sont-ils projetés vers le public massé autour d'eux, à cause de la force de telle prise et de l'étroitesse du lieu où ils combattent, ils interrompent la lutte et regagnent l'espace assigné ; là ils sont aux prises de nouveau, mais pas debout ; ils se remettent dans la position antérieure, qu'ils avaient quand on les a séparés. Eh bien, l'espace assigné m'avait contraint, moi aussi, à mettre fin à mon propos, je reviens à la place fixée pour le combat et je reprends à partir du texte qui nous a été lu aujourd'hui : « Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance » (Gn 1,26).

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La prodigieuse dignité de l'homme

2. Mais auparavant, voici qui mérite réflexion : pourquoi, lors de la création du firmament, ne fut-il pas dit : « Faisons (le firmament) », mais : « Qu'il y ait un firmament » (Gn 1,6) ? Et de même il fut dit : « Que la lumière soit » (Gn 1,3), et ainsi de suite pour chaque aspect de la création. Or quand est employée la tournure « Faisons », et le cas est unique, c'est bien qu'il y a une décision prise en commun, une concertation avec une autre personne, égale de surcroît. Quel est donc l'être qui va venir à l'existence entouré d'une telle considération ?

C'est l'homme, grande et admirable figure vivante, plus précieux aux yeux de Dieu que la création tout entière, c'est l'homme, et c'est pour lui qu'existent le ciel et la terre et la mer et la totalité de la création, et c'est à son salut que Dieu a attaché tant d'importance qu'il n'a même pas épargné son Fils unique pour lui. Car Dieu n'a eu de cesse de tout mettre en œuvre pour faire monter l'homme jusqu'à Lui et le faire asseoir à sa droite. Et Paul ne proclame-t-il pas : « Il nous a ressuscités avec lui et avec lui il nous a fait asseoir aux cieux dans le Christ Jésus » (Ep 2,6) ? Voilà qui permet de parler ici d'une décision prise en commun, d'une concertation autour d'un projet ; ce n'est pas, à Dieu ne plaise, qu'il ait besoin de s'entourer de conseils ! Je veux seulement dire que, par le choix même des mots de l'Écriture, il nous prouve toute la considération qu'Il a pour l'être qui recevait ainsi l'existence.

« Mais, me direz-vous, si l'homme a plus de prix que l'univers tout entier, comment expliquer qu'il n'apparaisse qu'après tout le reste ? » Mais c'est justement parce qu'il a plus de prix que tout l'univers. Prenons une comparaison : un roi doit entrer dans une cité ; il s'y fait précéder de ses généraux, de ses officiers, de ses soldats en armes, de toute une troupe de serviteurs, qui, faisant les apprêts du séjour royal et veillant à l'ordonnance de tous les détails, se disposent à recevoir le monarque avec beaucoup d'égards ; de même ici, pré[PAGE 47]cédant en quelque sorte l'entrée du souverain, le soleil est arrivé d'abord, et avec lui le ciel, et la lumière aussi a pris les devants, tout est déjà là, tout est en place, et c'est seulement alors que l'homme fait son entrée, entouré de tant de marques d'honneur.

Les trésors cachés dans « Faisons l'homme à notre image »

3. « Faisons l'homme à notre image » (Gn 1,26). Qu'ici les Juifs fassent bien attention. A qui parle Dieu en disant « Faisons » ? Le texte est bien de Moïse, c'est bien ce Moïse à l'autorité duquel ils font confiance, comme ils le prétendent, ces menteurs. Menteurs, oui, car le Christ les a percés à jour, il leur dit qu'ils ne font pas confiance à Moïse : « Si vous faisiez confiance à Moïse, vous me feriez confiance aussi » (Jn 5,46). En réalité, ils ont les livres, et nous nous avons Celui qui est la somme des livres [13] , ils n'ont que la lettre des textes, et nous nous avons et la lettre et l'esprit des textes.

Alors, dites-moi à qui parle Dieu en disant « Faisons » ? A un ange, tout simplement, à un archange, me répondront les Juifs. Ils me font penser à ces serviteurs abonnés au fouet, qui grondés par leur maître, et ne pouvant répondre sans détour, racontent ce qui leur passe par la tête. C'est donc d'un ange, d'un archange qu'ils viennent me parler. Et quel ange ? Et quel archange ? Ni anges, ni archanges n'ont reçu mission de créer le monde, d'en être les artisans ! Car enfin, expliquez- moi comment, s'agissant de la création du ciel, Dieu ne s'adresse ni à un ange, ni à un archange, mais le fait surgir par sa seule intervention, tandis que suscitant une créature plus précieuse que le ciel et la terre réunis, l'homme, Dieu s'asso[PAGE 48]cierait alors les anges, qui ne sont que ses serviteurs ! Tout cela est inconcevable. Quelle est, en effet, la vocation des anges ? De se tenir auprès de Dieu, non d'être créateurs. Quelle est la vocation des archanges ? De le servir, non d'avoir part à ses décisions, à ses projets. Rappelez-vous les paroles d'Isaïe à propos des puissances nommées Séraphins, les plus élevés des archanges : « Je vis le Seigneur assis sur un trône élevé, très haut, et des Séraphins se tenaient autour de lui, en cercle ; chacun avait six ailes, dont deux leur servaient à se couvrir la face » (Is 6,1-2). Il est clair qu'ils se protègent les yeux dans l'incapacité où ils sont de soutenir l'éclat de la lumière qui jaillit du trône. Alors voilà les Séraphins aux côtés mêmes de Dieu, mais pris d'un tel émerveillement, d'un tel saisissement devant cette lumière qui répand ; et les anges, eux, auraient part à sa réflexion, seraient associés à ses intentions ? Tout cela n'aurait pas de sens.

Mais à qui donc parle Dieu en disant : « Faisons l'homme » ? Au « conseiller merveilleux » qui a toute puissance, au « Dieu fort », au « Prince de la paix », au « Père des siècles à venir » (Is 9,6), au Fils unique de Dieu. C'est donc à lui qu'il dit : « Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance. » Notez bien qu'il n'a pas dit « à mon image et à la tienne », ou « à mon image et à la vôtre ». En disant « à notre image », il révèle par là que l'image est unique, unique la ressemblance. Or on ne saurait dire « à l'image de Dieu et des anges », on ne saurait parler de leur ressemblance ; comment y en aurait-il une quelconque entre le Maître et les serviteurs ? Ainsi la parole de l'Écriture, tournée et retournée, vient-elle vous confondre à jamais. Ce qu'elle révèle, c'est que l'image doit s'entendre de la puissance, comme le montre la suite : après « à notre image, comme notre ressemblance », on lit aussitôt : « Et qu'ils dominent sur les poissons de la mer » (Gn 1,26). Or il ne saurait y avoir communauté de pouvoir entre Dieu et les anges, du moment qu'il n'en saurait y avoir entre le Maître et les serviteurs, entre ceux qui commandent et leurs subordonnés.

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Se garder de tout anthropomorphisme

4. Mais voici que d'autres personnes se lèvent et nous disent, maintenant, que nous sommes une image de Dieu. Contresens sur ce mot d'image, qu'il ne faut pas entendre de l'essence, mais de la puissance, comme l'a montré la suite de la phrase. Qu'il faille se garder de tout anthropomorphisme à propos de Dieu, c'est bien ce qui ressort des propos de Paul : « L'homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu'il est image et reflet de Dieu ; la femme, elle, est le reflet de l'homme, et voilà pourquoi elle doit avoir sur la tête un voile » (1 Co 11,7,10). Or, si le mot d'image est pris ici au sens d'identité d'aspect entre l'homme et Dieu, si l'homme est appelé « image de Dieu » parce que Dieu est reproduit dans l'homme, alors, à les suivre, il faudrait étendre à la femme, aussi bien, l'emploi de ce mot d'image. Homme et femme, en effet, sont faits sur le même modèle, portent la même empreinte, sont unis par une ressemblance qui n'existe qu'entre eux. Pourquoi, alors, réserver à l'homme ce titre d'image de Dieu, à l'exclusion de la femme ? C'est qu'il doit être entendu non pas de l'essence mais de la puissance que l'homme a reçue, et non pas la femme. L'homme, en effet, n'a été soumis à aucune créature, tandis que la femme lui a été soumise, selon la parole de Dieu : « Tu te tourneras vers ton mari et lui dominera sur toi » (Gn 3,16). Si l'homme est « image » de Dieu, c'est qu'il n'a pas d'autre créature au-dessus de lui, de même que personne n'est au-dessus de Dieu, qui commande à tout. Et si la femme est « reflet » de l'homme, c'est parce qu'elle est soumise à l'homme. C'est encore Paul qui nous dit : « Nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l'or, à de l'argent, à de la pierre, travaillés par l'art et le génie humains » (Ac 17,29). Cela signifie que Dieu excède, bien sûr, toute espèce de forme visible, mais que la pensée même ne saurait se représenter ce que Dieu est. Comment donc Dieu aurait-il un aspect semblable à celui de l'homme, quand Paul affirme qu'aucune pensée ne saurait se [PAGE 50] figurer l'être de Dieu ? Car s'il ne s'agit que de notre aspect, de notre figure, alors oui, quoi de plus facile à nous représenter mentalement ?

Qu'est-ce que garder la parole ?

5. J'aurais voulu, cette fois encore, ramener mon propos vers le partage, mais le temps me manque. Avant de me taire, je veux vous exhorter à une chose : gardez avec vigilance la parole entendue, ayez une extrême attention pour la façon dont vous voùs comportez avec les autres, sans quoi vain et stérile serait notre rassemblement en ce lieu. Nous aurions beau ne pas nous écarter de la saine doctrine, si nous ne brillons pas, en plus, par nos œuvres, nous n'aurons pas accès à la vie éternelle : « Ce ne sont pas ceux qui me répètent ‘Seigneur’, ‘Seigneur’, qui entreront dans le Royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7,21).

Oui, faisons la volonté de Dieu, avec une ardeur sans défaillance, un dynamisme que rien ne doit entamer, et nous nous serons mis en mesure d'entrer dans les cieux pour y obtenir les biens qui y sont réservés à ceux qui aiment Dieu. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui partage avec le Père et le Saint-Esprit la gloire, l'honneur et la puissance, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.

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<-Troisième homélie

Être comme des pêcheurs de perles dans des profondeurs si accueillantes

1. Peine perdue pour le semeur, s'il jette sa graine le long du chemin ; peine perdue pour le prédicateur, lui aussi, lorsque sa parole, au lieu d'atteindre l'intériorité même des auditeurs, se borne à n'être qu'un écho qui traverse l'air et se dissipe : qu'en retire l'assistance ? Rien ! Si je vous dis cela, ce n'est pas en vain : je voudrais que vous ne m'écoutiez pas bouche bée seulement quand le propos est simple, mais que vous soyez résolus, aussi, à aborder les choses plus en profondeur. Si ce n'est pas en ce temps de carême que nous faisons cette plongée dans la profondeur des Écritures, alors que nos membres ne sont pas alourdis pour nager, que le souci de nos aises ne nous entraîne plus comme un torrent, ne jette plus comme un voile sur nos yeux, alors que notre capacité respiratoire est plus étendue et que nous ne risquons plus l'étouffement, quand, je vous le demande, ferons-nous cette plongée ? A l'époque, peut-être, de la joyeuse vie, des banquets, quand les tables crouleront de nourriture et que le vin ruissellera ? Ah ! ce n'est certes plus alors le moment de faire ne fût-ce qu'un geste, tellement le poids du confort – et quel poids – écrase notre esprit !

Regardez les chercheurs de pierres précieuses : restent-ils là, assis sur la plage, à compter le nombre des vagues ? Ils partent à la découverte, s'enfonçant dans les profondeurs mêmes. Et quel mal ne se donnent-ils pas dans leur exploration ! Quels dangers ne courent-ils pas pour trouver ces pierres, et [PAGE 52] finalement pour quel profit ? Aucun ! Eh oui, découvrir des pierres précieuses, qu'est-ce que . cela pourrait apporter de vraiment important à notre vie ? Heureux serions-nous, au contraire, si tout cela n'apportait pas son lot de malheurs ! Qu'est-ce qui met sens dessus dessous notre vie, qu'est-ce qui l'ébranle, si ce n'est cette folie des richesses ? Ces pêcheurs exposent leur vie, prennent des risques physiques, et cela pour gagner leur pain quotidien, c'est pour lui qu'ils affrontent les remous de la mer. Mais ici, plus de danger, plus de tension dans la recherche ; tout est léger, aucune oppression, et ce que l'on a trouvé, de plus, on le garde. Ah ! je le sais, tout ce que l'on trouve avec facilité, cela est dévalué aux yeux de l'opinion ! ! Ici plus de remous pour nous ballotter ; dans l'océan des Écritures, c'est le calme, comme aucun port n'en peut offrir ; nul besoin de descendre dans les profondeurs aux replis ténébreux, de risquer sa vie dans le tourbillon des flots déchaînés ; ici la lumière est vive, plus éclatante que les rayons du soleil, la mer est riante, aucun remous. Quant au gain..., il dépasse tout ce que la langue peut énoncer. Alors, , ne reculons pas, lançons-nous dans cette quête.

Restaurer la ressemblance au Père dans la jungle du cœur de l'homme ?

2. Vous le savez, Dieu a fait l'homme à son image. Et j'ai expliqué ce que voulait dire « à son image et comme sa ressemblance » : il ne s'agit pas d'une similitude de nature, mais du privilège même de commander. « Ressemblance » implique aussi douceur, bienveillance, effort pour imiter Dieu dans la logique même de sa perfection, suivant la parole du Christ : « Soyez semblables à mon Père qui est dans les cieux » (Mt 5,43-49). Je vais prendre une comparaison : la terre est assez vaste pour contenir toute sorte d'animaux, les uns plus stupides, les autres plus sauvages ; notre cœur est lui aussi assez vaste pour contenir toute sorte de pensées, les unes par[PAGE 53]ticulièrement sottes, comme certains de ces animaux, les autres à l'image de ces bêtes particulièrement sauvages et cruelles. Il faut en venir à bout, les maîtriser, et remettre tout pouvoir sur elles à la raison. « Mais, direz-vous, allez donc venir à bout de nos pensées les plus irrationnelles ! » Comment ? L'homme vient à bout des lions, il les apprivoise, et vous vous demandez si vous pouvez calmer ces mouvements de notre esprit ? Et n'oubliez pas qu'il y a une différence : autant la sauvagerie du lion est-elle chose naturelle, en lui, autant est-il contre sa nature d'être apprivoisée, autant l'homme, lui, est-il traitable par nature, autant la sauvagerie n'est-elle pas, pour lui, dans l'ordre naturel. Ainsi, on pourrait, en agissant sur les lions les dépouiller de ce qui est conforme à leur nature pour substituer ce qui lui est contraire, et l'on serait impuissant à maintenir sa propre nature dans son ordre propre ? Quelle démission ce serait ! Tenez compte aussi, s'agissant des lions, d'une autre difficulté : ils sont dénués de raison, et cela n'empêche pas d'en voir souvent, vous en avez fait l'expérience, plus doux que des moutons ; on les promène à travers les places, et les artisans, de leur échoppe, jettent de la monnaie à leur dresseur, comme une récompense pour leur savoir-faire, pour le talent avec lequel il les a apprivoisés. Or s'agissant de notre cœur, nous avons, pour nous prêter main-forte, et notre raison et la crainte de Dieu, et bien d'autres moyens ; et vous viendriez mettre en avant des prétextes, des arguties ? Non ! Vous pouvez tout à fait, si seulement vous en avez la volonté, retrouver. douceur et bienveillance.

Le rapport originel de l'homme à la création

3. « Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu'ils dominent sur les bêtes » (Gn 1,26). Là, les Grecs se lèvent et nous adressent une objection : cette affirmation ne serait pas fondée, car il s'en faudrait que nous [PAGE 54] dominions les bêtes, ce sont elles qui dominent, puisqu'elles nous remplissent, disent-ils, de terreur. C'est justement cette objection qui n'est pas fondée du tout : il suffit qu'elles voient l'homme pour s'enfuir, si grande est la crainte que nous leur inspirons. Mais qu'elles bondissent pour se défendre, pressées par la faim ou chassées par les hommes de leurs repaires, quand eux-mêmes veulent gagner du terrain, on ne saurait voir là la preuve d'une domination incontestable des bêtes. Si, par exemple, voyant des voleurs prêts à l'agresser quelqu'un s'arme et s'avance pour se défendre, on ne verra tout de même pas là je ne sais quelle manifestation de puissance, chez lui, mais, tout simplement, une réaction de sauvegarde, le souci qu'il a de sa sécurité.

Mais je ne veux plus répondre sur ce terrain-là ; c'est ailleurs que je veux me placer, et pour votre profit. Oui, les bêtes sauvages nous font peur, elles nous font trembler : nous sommes déchus de la domination sur elles, je ne le nie pas, je vous l'accorde. Mais cela ne frappe pas pour autant d'imposture l'ordre voulu par Dieu. A l'origine, il en allait autrement : ce sont les bêtes qui avaient peur de l'homme, et qui tremblaient, et elles lui étaient soumises comme à leur maître, et c'est pour avoir perdu notre privilège, notre liberté de souverains que nous en avons peur. Rappelez-vous, en effet, ceci : « Dieu amena à l'homme les bêtes sauvages pour voir comment il les appellerait » (Gn 2,19). Et Adam ne recula pas comme il l'eût fait s'il avait eu peur ; c'est à des créatures soumises comme des esclaves qu'il imposa des noms. Voilà bien la marque de la puissance. C'est pour lui signifier toute la valeur du pouvoir qu'il recevait que Dieu choisit ce moyen, lui donner mission d'attribuer des noms, et les noms que l'homme leur a imposés leur sont restés. « Le nom donné par l'homme, chacun le garderait » (Gn 2,19). Voilà donc un premier argument qui montre que l'homme ne craignait nullement les bêtes sauvages, à l'origine.

Il y en a un autre, plus évident encore, c'est le dialogue de la femme avec le serpent : si vraiment les bêtes sauvages [PAGE 55] avaient été redoutées de l'homme, à la vue du serpent, la femme ne serait pas restée, elle aurait pris la fuite ; au lieu d'écouter à loisir ses conseils, au lieu de lui répondre avec une telle absence de crainte, la seule vue de cette bête aurait suffi à la frapper d'effroi et à la faire reculer ; mais non, elle s'entretient avec lui sans aucune peur : c'est qu'on ignorait encore ce genre de crainte. Mais avec la faute, ce fut la disparition du privilège. On vit alors ce qui est habituel chez les esclaves : tant qu'un esclave a du crédit, il se fait craindre des autres ; se heurte-t-il au maître, c'est à lui, maintenant de craindre les autres ; ainsi en fut-il de l'homme : tant qu'il jouit de cette situation privilégiée dans son rapport avec Dieu, il inspirait la peur aux bêtes ; quand il se détourna de Dieu, il en vint à redouter jusqu'à ces esclaves de la dernière espèce, lui-même devenu esclave [14] . Si ce n'est pas là la vérité, montrez-moi donc que les bêtes, avant la chute, faisaient peur à l'homme ; mais vous n'y réussiriez pas.

Sollicitude et pédagogie de Dieu envers l'homme pécheur

4. Qu'en se détournant de Dieu l'homme ait connu la crainte, voilà encore une marque de la sollicitude du Maître. Supposez, en effet, qu'en dépit de l'infraction à l'ordre reçu, en dépit de l'atteinte qui lui était portée, le privilège reçu de Dieu ait été maintenu à l'homme, sans changement : l'homme aurait-il pu aisément se relever ? Obéissants ou désobéissants, les hommes bénéficieraient du même privilège ! Mais alors ce serait les éduquer plus que jamais à la [PAGE 56] désobéissance et rendre plus difficile leur rupture avec le mal. La crainte, le châtiment, la punition les menacent, mais se montrent-ils volontiers plus sages ? Que seraient-ils, si leur désobéissance ne leur avait valu aucune souffrance ? Il est clair que c'est sa bienveillance, sa sollicitude qui ont amené Dieu à nous retirer le pouvoir qui était le nôtre. Regardez avec moi la bienveillance ineffable de Dieu.

Adam a violé absolument l'ordre reçu, il a transgressé absolument la loi. Mais Dieu n'a pas totalement mis fin à son privilège, il ne l'a pas exclu totalement du pouvoir reçu. Il s'est contenté de laisser échapper à sa domination les bêtes qui n'apportent pas la moindre contribution à la satisfaction de ses besoins vitaux ; mais les autres animaux, qui lui sont nécessaires, qui lui rendent de grands services, il a permis qu'ils soient maintenus dans sa dépendance. Il nous a abandonné les troupeaux de boeufs pour pouvoir labourer, fendre la terre et semer ; il nous a abandonné toute sorte d'animaux de trait pour nous décharger de la fatigue que représente le transport des marchandises ; il nous a abandonné les troupeaux de moutons pour disposer en quantité suffisante de quoi nous vêtir, et ainsi de bien d'autres espèces d'animaux répondant chacune à un besoin. Tout en ayant le souci de châtier l'homme : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage » (Gn 3,19), pour ôter à cette condition faite de sueur, de peine, de labeur tout caractère insupportable, il a allégé ce qu'elle pouvait comporter de pesant grâce à la multitude des bêtes capables de partager avec nous la charge et la lourdeur de nos travaux. Imaginez un maître plein d'humanité, plein de sollicitude ; il a fait donner le fouet à l'un de ses serviteurs, mais il contrebalance l'effet du fouet par une marque d'attention ; Dieu, lui aussi, a infligé une peine, mais il désire de toute façon en alléger l'effet ; il nous a condamnés à connaître la sueur et le labeur au long des jours, mais pour rendre le labeur moins pénible, il a laissé à notre disposition toute sorte d'espèces animales.

Oui, rendons-lui grâces pour tous ces biens : nous honorer [PAGE 57] d'un privilège, et en nous l'ôtant ne pas l'ôter tout entier, nous faire éprouver la crainte des bêtes sauvages, tout cela, examiné rigoureusement, ne révèle-t-il pas une prodigieuse sagesse, une prodigieuse sollicitude, une bonté prodigieuse ? Ah ! puissions-nous en avoir le bénéfice dans la vie sans fin, à la gloire du Dieu qui a opéré en tout cela ; à lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

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<-Quatrième homélie

Le dessein de Dieu sur l'homme, couronné avant même d'être créé

1. Vous avez appris hier comment Dieu a donné à l'homme la royauté et la domination sur les animaux, comment aussi il n'a pas tardé à l'en déchoir. Disons plus exactement que c'est l'homme lui-même qui s'est exclu de ce privilège par désobéissance. Car cette royauté il ne la tenait que de la seule bonté de Dieu ; elle n'était pas une récompense accordée à ses mérites, puisque, avant même que l'homme existe, Dieu l'avait paré de ce privilège. N'allez pas soutenir que c'est postérieurement à leur apparition, et comme conséquence de ses nombreux mérites, que l'homme s'est attiré le privilège de commander aux animaux, car c'est en s'apprêtant à façonner l'homme que Dieu s'exprime, en même temps, sur l'empire qu'il va lui confier : « Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance et qu'il domine sur les animaux de la terre » (Gn 1,26). Avant même de recevoir la vie, l'homme reçoit un privilège, avant même d'être créé, il est couronné, avant de voir le jour il est invité à monter sur un trône de roi ! Dans les relations entre les hommes, il faut attendre d'être bien avancé en âge, de s'être donné bien du mal, d'avoir affronté mille épreuves, en temps de paix comme en temps de guerre, pour qu'un supérieur vous décerne une marque d'honneur. Mais Dieu n'agit pas ainsi : à peine l'homme voit-il le jour qu'il lui confère cette dignité, signifiant par là qu'elle n'est pas la réponse à ses mérites, qu'elle n'est pas une dette dont il s'acquitterait, mais pur don gratuit. [PAGE 59] Recevoir cet empire, c'est l'effet de la seule bonté de Dieu ; en être dépossédé, c'est l'effet de la seule démission humaine. Un roi démet de leurs pouvoirs ceux qui n'obéissent pas à ses ordres, et Dieu agit de même avec l'homme, lui retirant cet empire.

Les rapports de l'homme et de la femme avant la chute

2. Voyons aujourd'hui à quel autre privilège la faute, de sa nature même, a mis fin, quelle sorte de servitude elle a engendrée, étendant sur la créature humaine un réseau de rapports de domination, comme un prince qui forge tout un système de chaînes.

Premier type de domination, de soumission : le pouvoir que l'homme exerce sur la femme. C'est seulement après la faute, en effet, que la femme a fait l'expérience de la dépendance. Avant de désobéir, elle partageait exactement les privilèges de l'homme : lorsque Dieu la façonna, les mots qu'il utilisa furent exactement les mêmes qu'il avait employés lors de la création de l'homme. Il avait dit : « Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance » (Gn 1,26), et non : « Que l'homme soit. » De même il ne dit pas : « Que la femme soit », mais ici aussi il dit : « Faisons-lui une aide » (Gn 2,18). Et il ne se contente pas de parler d'« aide », il ajoute : « qu'il lui soit assortie » ; ce qui montre bien qu'il y avait égalité.

Or, quand Dieu associe étroitement les bêtes à l'homme pour lui apporter leur aide dans les besoins de notre vie, voyez comment, pour éviter qu'on ne mette la femme au rang d'esclave, il fait une distinction de langage très nette : « Il amena les bêtes à l'homme, et l'homme ne trouva pas d'aide qui lui fût assortie, qui ait un rapport de similitude avec lui » (Gn 2,19-20). Quoi ? Le cheval n'apporte pas de l'aide quand il est engagé dans la bataille aux côtés de l'homme ? Le bœuf n'apporte pas de l'aide quand il tire sur la charrue et partage notre labeur au moment des semailles ? Et l'âne et le mulet [PAGE 60] n'apportent pas une aide quand ils collaborent au transport des marchandises ? Pour vous dispenser de ce genre de propos, Dieu a soigneusement établi une distinction : car il ne dit pas simplement que l'homme ne trouva pas une aide, il dit qu'il ne trouva pas une aide « qui ait un rapport de similitude avec lui ». Et Dieu lui-même n'avait pas dit : « Faisons-lui une aide », mais : « Faisons-lui une aide qui lui soit assortie. » Voilà la réalité qui a précédé la faute.

Le dessein d'amour de Dieu s'exerce encore après la faute, dans ses conséquences mêmes

3. Après la faute, ce fut cette parole : « Tu te tourneras vers ton mari, et lui dominera sur toi » (Gn 3,16). « Je t'ai créée, dit Dieu, avec les mêmes privilèges, mais tu as mésusé de ton pouvoir ; connais désormais la sujétion. Tu n'as pas supporté ta liberté, subis la servitude. Tu n'as pas su commander, comme l'épreuve des faits l'a montré, à ton tour d'être commandée et de faire l'expérience de la domination de l'homme. » D'où le « Tu te tourneras vers ton mari et lui dominera sur toi ».

Voyez ici encore la bonté de Dieu. En entendant parler de domination sur elle, la femme aurait pu ne voir là qu'un fardeau ; mais Dieu exprime les choses dans un esprit de sollicitude en disant : « Tu te tourneras vers ton mari », ce qui revient à dire : « Il sera pour toi le refuge, le port, la sécurité ; dans tous les périls qui peuvent se présenter, c'est vers lui que tu te tourneras pour trouver un abri. » Ce n'est pas le seul lien qu'il ait mis entre eux ; il les a enfermés aussi dans les liens du désir, chaîne infrangible.

Ainsi, vous le voyez, la faute a engendré la dépendance, mais, vous le voyez aussi, Dieu, dans sa sagesse, dans sa sagacité, en a tiré parti pour notre bien. Ecbutez donc Paul vous parler de cette soumission, et vous comprendrez l'harmonie qui règne, une fois de plus, entre l'Ancien et le Nouveau Tes[PAGE 61]tament : « Que la femme, pendant l'instruction, garde le silence en toute soumission » (1 Tm 2,11). Paul aussi, vous le voyez, soumet la femme à l'homme. Mais soyez patients, vous allez en connaître la raison.

Pourquoi, en effet, « en toute soumission » ? « Je ne permets pas à la femme d'enseigner » (1 Tm 2,12). Pourquoi donc ? C'est qu'elle a été une fois un piètre maître pour Adam. « Ni de faire la loi à l'homme » (ibid.). Pourquoi donc ? C'est qu'elle lui fit la loi, une fois, de piètre façon. « Mais qu'elle garde le silence » (ibid.). Et pourquoi ? « Ce n'est pas Adam, en effet, qui fut séduit, mais c'est la femme, qui, séduite, se rendit capable de transgression » (1 Tm 2,14). Voilà pourquoi elle a été exclue de la chaire d'enseignement. « Celui, nous dit au fond saint Paul, qui ne sait pas enseigner, qu'il s'instruise, et s'il prétend instruire au lieu de s'instruire, c'est lui-même et les autres avec lui qu'il perdra. Et c'est ce qui est arrivé à la femme. » Voilà donc la femme soumise à l'homme, et cette soumission est due à la faute, c'est clair désormais.

Comment, maintenant, comprendre la phrase : « Tu te tourneras vers ton mari et lui dominera sur toi » (Gn 3,16) ? Quelle est donc la pensée de Paul là-dessus, à propos de la sollicitude qui s'exprime dans cette phrase, comment concilie-t-il la domination et l'affection ? C'est dans la lettre aux Corinthiens [15] qu'il déclare : « Maris, aimez vos femmes » (Ep 5,25). Vous retrouvez là le « Tu te tourneras vers ton mari ». « Que les femmes révèrent leurs maris » (Ep 5,33). Vous retrouvez là le « Lui dominera sur toi ». La domination, ne le voyez-vous pas, est bien peu pesante, du moment que le maître aime ardemment celle qui lui est soumise, du moment que la révérence se marie à l'amour. La soumission se trouve ainsi purifiée de ce qu'elle aurait de pénible.

Voilà donc un premier type de domination introduit par la désobéissance. Et il serait faux de penser que si Dieu l'a tem[PAGE 62]péré, c'est qu'il ne pouvait faire autrement. En revanche, la faute, elle, ne pouvait faire autrement que d'ouvrir les voies à l'esclavage. Il représente le deuxième type d'assujetissement, plus pesant que le premier, et lui aussi a son origine, son fondement dans la faute.

L'esclavage conséquence de la faute de Cham

4. Après le cataclysme, au temps de Noé, après l'inondation de toute la terre et l'anéantissement général, Cham se rendit coupable à l'égard de son père : il avait vu l'homme qui l'avait engendré tout nu, mais en le dénonçant auprès de ses frères, il aggrava cette nudité, et c'est ainsi qu'il devint l'esclave de ses frères (Gn 9,20-25). Plein de malignité, il avait sali la noblesse de sa lignée. Oui, l'Écriture, en effet, accumule les excuses en faveur de Noé le juste, mais un seul mot, un seul suffit pour lui accorder le pardon : « Noé le cultivateur commença… » (Gn 9,20) ; ce verbe « commencer » porte avec lui la raison d'excuser Noé. Il ignorait, en effet, combien on devait boire de vin, comment on devait le boire (pur ? coupé d'eau ?), quand on devait le boire (tiré juste après la vendange ? ou en attendant quelque temps ?). Cette ignorance plaide donc pour Noé. En revanche, l'homme né de lui, le fils qui avait été sauvé grâce à lui (c'est bien, en effet, au privilège accordé à Noé qu'il devait de n'avoir pas été emporté par le déluge, comme toute la création) n'eut pas égard aux liens naturels, il oublia ensuite qu'il avait été sauvé, et la peur ne l'avait pas rendu plus sage, il avait beau voir les vestiges de la colère de Dieu, les traces bien apparentes du cataclysme, l'effroi causé par l'événement et encore à son comble, il n'en commit pas moins cet outrage envers l'auteur de ses jours. C'est ainsi qu'un sage exhortait les hommes : « Ne te glorifie pas du déshonneur de ton père : il n'y a pour toi aucune gloire au déshonneur de ton père » (Si 3,10). « Mais, direz-vous, lui aussi était dans l'ignorance, il ne [PAGE 63] connaissait pas ce précepte. » Sans doute, mais il a commis une faute qui excède toute justification, tout pardon. Et ainsi, pour son châtiment, il devint esclave, serviteur de ses frères, et le rang où la nature l'avait placé, il dut y renoncer. Voilà quel est le deuxième type de servitude.

Voulez-vous apprendre quel est le troisième type ? Ah ! celui-ci est plus dur que les deux premiers, bien plus redoutable.

L'origine du pouvoir et de ses contraintes : la bienveillance de Dieu

5. Les deux premiers types de liens ne nous avaient pas rendus plus sages. Dieu les compléta et accrut la sujétion. Quelle est donc cette troisième sorte d'assujetissement ? C'est la puissance, l'autorité de ceux qui nous gouvernent, et cela n'a rien à voir avec la sujétion où est la femme, ou avec celle des esclaves, elle est bien plus redoutable. Partout vous verrez des épées au tranchant bien affuté, des bourreaux, des instruments pour châtier, des salles de tortures, des moyens de punir, partout un pouvoir de vie et de mort, même. Mais s'il est devenu inévitable que l'autorité s'exerce ainsi, c'est bien à cause du péché, comme Paul, encore une fois, vient nous le dire, quand il réfléchit à ce sujet : « Veux-tu n'avoir pas à craindre l'autorité ? Fais le bien, et tu recevras d'elle des éloges. Mais crains, si tu fais le mal, car ce n'est pas pour rien qu'elle porte le glaive » (Rm 13,3-4). Vous le voyez, c'est à cause des scélérats qu'existe une autorité, avec son glaive. Et voici qui va encore dans ce sens : « Elle est un instrument pour faire justice contre ceux qui agissent mal » (ibid.). Et notez bien qu'il n'a pas dit : « Ce n'est pas pour rien que l'autorité existe. » Non, il a dit : « Ce n'est pas pour rien qu'elle porte le glaive. » C'est donc un juge armé du glaive que nous avons au-dessus de nous.

Que fait un père qui aime ses enfants, mais qui les voit [PAGE 64] négliger ce qu'ils devraient accomplir à son égard et perdre toute considération pour lui précisément parce qu'il les aime ? Ce père est bon, et c'est pour cela qu'il les met entre les mains de maîtres qu'ils craindront. Dieu agit de même : voyant la créature perdre toute considération pour lui, parce qu'il est bon, il l'a mise entre les mains de l'autorité, qui remplit l'office des maîtres auprès des enfants, et qui doit corriger tant de négligence.

Mais l'Ancien Testament lui-même nous fait comprendre que le besoin d'une telle autorité ne s'est fait sentir qu'en raison de notre dépravation. Un des prophètes, enflammé de colère contre les fauteurs d'iniquité, s'écrie : « Tu gardes le silence quand l'impie engloutit le juste, tu traites les humains comme les poissons de la mer, comme la gent qui frétille, sans maître ! » (Ha 1,13-14). Ainsi est justifiée l'existence du maître : elle nous évite d'être comme « la gent qui frétille » ; ainsi est justifiée l'existence d'une autorité : elle nous évite d'être comme des poissons qui s'avalent les uns les autres. Il n'y a de remèdes que parce qu'il y a des maladies et il n'y a de châtiments que parce qu'il y a des manquements. Paul nous le dit, l'homme qui a pour compagne de vie la rectitude, celui-là n'a nul besoin de ce genre de tutelle : « Veux-tu n'avoir pas à craindre l'autorité ? Fais le bien, et tu recevras d'elle des éloges. » Cela revient à nous dire : « Le juge est simplement spectateur de ta vie : si elle est droite, il ne se contente pas d'être spectateur, il se fait approbateur. »

Mais faut-il parler de contrainte inévitable à propos de l'autorité ? Car enfin il existe une autorité encore plus puissante, au-dessus de laquelle, pourtant, les justes ont établi leur vie ; ce pouvoir, qui s'impose à tous les pouvoirs, ce sont les lois, et vivre comme un juste, c'est se passer de toute loi, Paul nous le dit bien : « La loi n'a pas été instituée pour le juste » (1 Tm 1,9). Donc, à plus forte raison, l'autorité.

Voilà donc le troisième type de sujétion, qui trouve son origine dans notre péché, dans notre dépravation. Mais alors, pourquoi Paul affirme-t-il : « Il n'y a point d'autorité qui ne [PAGE 65] vienne de Dieu » (Rm 13,1) ? C'est que si Dieu l'a établie, c'est dans la mesure où elle peut constituer une source d'avantages pour nous. Sans doute est-ce le péché qui a rendu l'autorité nécessaire, mais Dieu, lui, en a tiré parti dans le sens de notre intérêt. S'il existe des médicaments, c'est une nécessité due à nos plaies, mais l'application, elle, dépend de la sagacité du médecin. De même ici : l'assujetissement n'a pas d'autre origine que le péché ; quant à en maîtriser la portée selon la nécessité, c'est là l'office de la sagesse divine.

Le prédicateur et le préposé aux lampes

6. Mais je m'arrête. Allez-vous vous reprendre et cesser de papillonner ? Oui, je commente pour vous les Écritures, et voilà que vous portez le regard ailleurs, vous vous tournez du côté des lampes et du préposé aux lampes ! Quelle marque de négligence, vous nous donnez congé et vous avez les yeux rivés sur lui ! Mais j'allume, moi aussi, une flamme, et je prends du feu dans les Écritures pour faire brûler une petite lampe, sur mes lèvres, c'est la prédication. Et cette lumière, comme elle est plus forte, plus chaude que l'autre ! Ce n'est pas d'une mèche imbibée d'huile que j'approche la flamme, c'est dans vos âmes que je la porte, toutes imprégnées de l'attention à Dieu, et je le fais grâce à votre désir d'écouter.

Un jour, Paul discutait dans la salle haute d'une maison (Ac 20,7-12). Et que personne n'aille imaginer que je me compare à lui ! Je ne suis pas assez fou pour cela ; je veux seulement vous faire voir toute l'attention qu'il faut manifester quand on écoute. Donc Paul discutait, le soir tomba, comme aujourd'hui, et on alluma des lampes, à l'étage. Et puis voilà qu'Eutychos tomba du rebord de la fenêtre, mais cette chute n'avait pas pour autant interrompu l'entretien, et le cercle ne se dispersa pas pour autant, mais Eutychos venait de mourir ; les gens étaient tellement rivés aux propos divins qu'ils écoutaient qu'ils ne firent même pas attention à cette chute. Mais [PAGE 66] vous !… Il n'y a rien d'étrange à voir, ici, rien d'inattendu qu'un homme se livrant à une besogne banale et vous voilà laissant dériver votre regard dans cette direction ! Quel genre d'indulgence cette attitude peut-elle bien mériter ? Oh ! mes bien-aimés, n'allez pas voir dans mes reproches quelque désir de vous accabler : « Loyales sont les bourrades d'un ami, menaçants les embrassements d'un ennemi » (Pr 27,6). Allons, je vous en prie, laissez tomber ces lumières-là et intéressez-vous plutôt à celles des Saintes Écritures.

Les rapports entre parents et enfants sous le regard de Dieu

7. Je voudrais vous entretenir d'un autre type d'autorité, qui ne trouve pas, lui, son origine dans le péché, mais dans notre nature même. De quoi s'agit-il ? Du pouvoir qu'exercent les parents sur leurs enfants. Et c'est bien la contrepartie des douleurs que coûte leur mise au monde. Un sage le dit : « Sers tes parents comme tes maîtres » (Si 3,7). Et il nous en donne plus loin la raison : « Que leur donneras-tu en échange de ce qu'ils t'ont donné ? » (Si 7,28). Qu'est-ce donc ce que le fils ne saurait rendre à son père ? Le sage dit au fond : « Ils t'ont donné le jour, mais toi tu ne saurais faire la réciproque. » Dès lors que, sur ce plan-là, nous sommes condamnés à demeurer en reste, c'est sur un autre plan que nous devons triompher, par tous les actes qui peuvent les honorer, et pas seulement sous l'impulsion d'une loi de la nature, mais d'abord par crainte de Dieu. Car Dieu tient tellement à voir les parents honorés de leur descendance ! Et aux marques d'honneur qu'on donne à ses parents, il répond par ses bienfaits, ses largesses, et il ne les mesure pas, tandis qu'il répand, et il ne les mesure pas, de terribles châtiments sur ceux qui enfreignent le commandement : « Qui dit du mal de son père ou de sa mère, qu'il soit mis à mort » (Ex 21,17). A ceux qui les honorent, il s'adresse ainsi : « Honore ton père et ta mère, et tu t'en trouveras bien : tu auras longue vie sur la terre » [PAGE 67] (Ex 20,12). C'est donc le plus grand des biens, aux yeux de Dieu, qu'une vieillesse florissante, c'est cela qui vient récompenser les égards qu'on a pour eux. Et c'est le plus grand des malheurs, aux yeux de Dieu, qu'une mort prématurée, qui s'abat sur quiconque a bafoué ses parents. D'un côté, il dispose à des sentiments de bienveillance par l'attrait de la récompense qu'il promet, de l'autre il cherche à détourner les hommes, contre leur inclination, de faire injure à leurs parents, par la crainte du châtiment.

En cas d'injure faite à son père, Dieu n'ordonne pas simplement la mort du coupable, ou que les bourreaux se saisissent de lui, au sortir du prétoire, pour le conduire au milieu de la place publique, il n'ordonne pas qu'on lui tranche la tête hors les murs. Non, c'est le père lui-même qui le conduit au beau milieu de la cité, et il est dispensé de fournir la moindre preuve, on lui fait confiance, et c'est tout à fait normal, car seule une offense très grave peut expliquer qu'un père, qui a volontiers dépensé ses biens, ses forces, tout ce qu'il est possible de donner pour son fils, s'en fasse l'accusateur. Donc, le père l'amène au beau milieu de la cité, puis il convoque tout le peuple, et il formule son grief : alors, chacun, dans l'assistance, saisit une pierre et il frappe le fils qui a bafoué son père. Le législateur, vous le voyez, ne se borne pas à ordonner la publicité du châtiment, il veut que chacun en soit l'exécutant même : car, en regardant sa main droite, qui tenait la pierre qu'il a lui-même jetée sur la tête de cet homme, chacun aura de quoi se rappeler, de façon très parlante, qu'il doit lui- même veiller sur sa propre conduite.

Mais c'est autre chose, aussi, que laisse entendre le législateur dans cette procédure : l'offense n'a pas atteint les parents seulement, elle a fait du tort à toute personne humaine. Et c'est bien pourquoi il appelle chacun à exercer le châtiment, comme si tout le monde avait subi l'offense ; il fait entourer le coupable par toute la population, toute la cité est là, pour faire comprendre à chacun, même dépourvu de tout lien avec les victimes de l'offense, qu'il doit éprouver de la colère du [PAGE 68] moment que des parents ont été bafoués ; c'est la nature humaine, en tant qu'elle est commune aux uns et aux autres qui a été outragée, et c'est pour cela qu'un tel homme doit être rayé de la cité, bien sûr, mais exclu de la lumière même du jour, car c'est une souillure, une plaie qui affecte tout le monde. Il est un ennemi pour tous, il est un ennemi pour Dieu, pour la nature, il est un ennemi pour les lois, pour la communauté des vivants. Chacun doit donc procéder à l'exécution aux côtés des autres, comme s'il accomplissait un rite purificatoire pour la cité.

Soyez comblés de biens, vous tous qui avez accueilli avec une telle satisfaction ce développement sur le fils coupable, jetant non plus des pierres, mais des cris contre lui. Voilà, en effet, qui témoigne des égards très grands que vous avez l'habitude de manifester envers votre père. Jamais, après tout, notre approbation pour les lois destinées à punir les fautes n'est aussi totale que lorsque nous n'avons nous-mêmes aucune faute à nous reprocher. Autant de raisons de rendre grâce pour cet amour de Dieu, qui prend soin de toute notre vie, plein de sollicitude pour les parents, de prévenance pour les enfants, et qui dispose toutes choses pour notre salut. A Lui, au Père qui vit de toute éternité, et au Saint-Esprit, gloire et honneur, dans l'adoration, maintenant et toujours, et pour les siècles des siècles. Amen.

[PAGE 69]

<-Cinquième homélie

1. Vous, vous pensez peut-être que nous avons tout dit de la domination de l'homme sur la femme mais, moi, je trouve que la réflexion peut encore produire, à ce sujet, des fruits nombreux. Allez, ne perdez pas courage, je vous en prie, avant que nous n'ayions fait toute la récolte. En effet, quand les paysans consciencieux voient la vigne se parer de feuilles et se charger de fruits, ils ne coupent pas seulement les grappes extérieures mais, s'avançant à l'intérieur de la vigne, ils brisent les sarments pour arrêter l'élan des feuilles inutiles : aucun grain de raisin ne restera, à leur insu, caché par le feuillage. Ne vous montrez donc pas moins actifs qu'eux et ne vous éloignez pas avant d'avoir tout pris. C'est moi seul qui œuvrerai tandis que les fruits seront pour vous.

Thème général : le péché d'Ève a entraîné l'esclavage de l'humanité, et objections

2. Hier, nous accusions les femmes – non pas les femmes mais Ève plutôt – d'avoir, par le péché, fait paraître l'esclavage. Les femmes pourraient nous dire : si c'est celle-ci qui a péché, pourquoi avons-nous été condamnées, nous ? Et si la transgression a été le fait d'une seule, pourquoi en ferait-on grief à tout notre sexe ?

Les esclaves à leur tour pourraient dire : si c'est Canaan qui a outragé son père (cf. Gn 9,20-27), pourquoi donc le châtiment est-il passé à toute sa descendance ?

Et ceux qui ont peur de l'autorité pourraient objecter : si [PAGE 70] d'autres vivent de façon criminelle, pourquoi donc seraient- ils, eux, livrés au joug de l'autorité ?

lre réponse : le péché n'est pas héréditaire mais tous sont pécheurs

3. Que pouvons-nous leur répondre à tous ?

Il n'y a qu'une seule solution à toutes ces questions : nos ancêtres ont péché et par leur propre désobéissance ils ont ouvert la porte à l'esclavage ; mais par leurs péchés leurs descendants ont ratifié cet état de choses. Car s'ils pouvaient se montrer exempts de tout péché, peut-être pourraient-ils alors contester avec raison ; mais puisqu'ils méritent eux aussi de nombreuses peines, c'est en vain qu'ils se défendent ainsi.

En effet moi je n'ai pas dit que le péché n'ouvrait plus la porte à l'esclavage, mais j'ai dit que tout péché était inséparable de l'esclavage, et ce qui est en cause à mes yeux, c'est la nature du péché et non sa seule diversité. Ainsi, de même que toutes les maladies incurables conduisent à la mort mais que toutes ne sont pas de la même nature, de même toutes les fautes engendrent l'esclavage mais toutes ne sont pas de la même nature. Ève a péché en touchant l'arbre et pour cela elle a été condamnée. Alors toi, ne commets pas à ton tour un autre péché qui sera peut-être plus grave que le sien. Je pourrais dire la même chose, et de façon appropriée, au sujet des esclaves et de ceux qui sont soumis à l'autorité : les anciens ont ouvert la porte au péché mais leurs descendants ont, par leurs fautes, entretenu l'emprise de la domination.

2e réponse : la vertu peut libérer de l'esclavage

4. Je peux encore alléguer que beaucoup sont parvenus à la vertu et se sont ainsi affranchis de la domination.

[PAGE 71]

1er exemple : les femmes et leur émancipation dans l'enseignement paulinien.

Discutons d'abord, si vous le voulez bien, du cas des femmes, afin que vous compreniez comment le bienheureux Paul, qui a enserré les femmes dans des chaînes, les en a par ailleurs lui-même délivrées. « Si une femme, dit-il, a un mari non croyant et qu'il consente à vivre avec elle, qu'elle ne le répudie pas » (1 Co 7,17). Pourquoi? « Comment sais-tu en effet, femme, si tu sauveras ton mari ? » (1 Co 7,16a) Et comment une femme peut-elle, dit-il, sauver son mari ? En enseignant, en instruisant, en tenant des propos pieux. Pourtant, le bienheureux Paul, tu disais hier : « Je ne permets pas à la femme d'enseigner » (1 Tm 2,13). Comment donc en fais-tu maintenant celle qui enseigne à son mari ? Je le fais sans me contredire, en plein accord avec moi-même.

Apprenez donc pourquoi Paul a écarté la femme et pourquoi maintenant il l'élève à la chaire de l'enseignement, afin de connaître sa sagesse.

Que l'homme enseigne, dit-il. Pourquoi ? Parce qu'il n'a pas été séduit. « Adam en effet, dit-il, n'a pas été séduit » (1 Tm 2,14). Que la femme apprenne, dit-il. Pourquoi ? Parce qu'elle a été séduite. « En effet la femme, dit-il, ayant été séduite, tomba dans la transgression » (1 Tm 2,14).

Mais voici le contraire. En effet, dit-il, quand le mari n'est pas croyant mais que la femme l'est, que ce soit la femme qui enseigne. Pourquoi ? Parce qu'elle n'a pas été séduite : elle est croyante. Que l'homme, lui, apprenne. En effet il a été séduit : il n'est pas croyant. La charge de l'enseignement, dit-il, a été intervertie, que la charge de commander le soit aussi désormais !

Comprenez-vous comment il démontre que l'esclavage est la conséquence inévitable, non de l'ordre naturel, mais de la séduction et du péché ? Au commencement donc la séduction vint vers la femme et la soumission fut la conséquence de la séduction. Puis la séduction se déplaça vers l«homme et la soumission se déplaça aussi. Et de même qu'au commence[PAGE 72]ment il a confié le salut de la femme à l'homme parce qu'il n'avait pas été séduit, en disant : « Ton élan te portera vers ton mari et lui il te dominera » (Gn 3,16), de même, dans le cas de la croyante qui a un mari non croyant, il confie à la femme le salut de son mari, en disant : « Comment sais-tu en effet, femme, si tu sauveras ton mari ? » (1 Co 7,16a).

Comment pourrait-on démontrer de façon plus claire que l'esclavage découle, non de l'ordre naturel, mais du péché ?

2e exemple : les esclaves. Leur liberté n'est pas dans leur affranchissement, mais dans leur Seigneur.

5. Ceci, on pourrait le dire aussi au sujet des esclaves : « Étais-tu esclave quand tu as été appelé ? Ne t'en soucie pas » (1 Co 7,21a). Comprenez-vous comment il démontre maintenant que l'esclavage n'est qu'un mot, toutes les fois où la vertu est présente ? « Au contraire, alors que tu pourrais devenir libre, mets plutôt à profit ta condition d'esclave » (1 Co 7,2 lb), c'est-à-dire : reste plutôt dans l'esclavage. Pourquoi ? « L'esclave en effet qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur » (1 Co 7,22a).

Comprenez-vous que l'esclavage ne s'étend pas plus loin que le mot et que la liberté au contraire est du domaine de la réalité ? Pourquoi t'a-t-il permis de rester esclave ? afin que tu apprennes la supériorité de la liberté. En effet, de même que ce fut un plus grand miracle de conserver intact dans la fournaise le corps des trois jeunes gens (cf. Dn 3), que d'éteindre le feu ; de même, il est beaucoup plus grand et plus merveilleux de montrer sa liberté en restant esclave que de s'affranchir. C'est pourquoi il dit : « Alors même que tu pourrais devenir libre, mets plutôt à profit ta condition d'esclave » (1 Co 7,21a), c'est-à-dire : reste esclave. En effet tu jouis ainsi de la liberté la plus vraie.

3e exemple : la soumission aux autorités. La véritable royauté n'appartient pas aux rois mais au témoin.

6. Veux-tu encore regarder ce qu'il en est pour les autorités ? Nabuchodonosor, qui était roi, fit allumer un feu très [PAGE 73] violent et il y jeta les trois jeunes gens qui étaient donc, jeunes, seuls, sans protection, esclaves, prisonniers, sans patrie. Et que dit-il ? « Est-il vrai, Sedrach, Misak et Abdenago, que vous ne servez pas mes dieux et que la statue d'or que j'ai dressée, vous ne l'adorez pas ? » (Dn 3,14). Que leur arriva-t-il donc ?

Considérez de quelle façon la vertu a rendu ces prisonniers plus dignes d'être rois que le roi lui-même et a mis en valeur leur grandeur d'âme. En effet ils lui répondirent très librement, comme s'ils s'adressaient non à un roi mais à un sujet. « Nous n'avons pas besoin », disent-ils, « de répondre au roi sur ce point » (Dn 3,16) ; ce n'est pas par des paroles mais par des faits que nous apporterons une preuve. « Dieu, qui est dans le ciel, peut nous sauver » (Dn 3,17). En citant les paroles mêmes du prophète, ils lui rappelèrent le service rendu alors par Daniel. En effet, que dit ce dernier ? « L'explication que le roi demande, ce ne sont pas les mages, les augures et les astrologues qui peuvent la donner, mais il y a un dieu dans les cieux qui révèle les mystères » (Dn 2,27-28). Ils lui rappellent donc cette parole afin de le rendre plus mesuré. Il dit ensuite : « Et s'il ne le fait pas, sache pour toi, roi, que nous ne servons pas tes dieux et que, la statue d'or que tu as dressée, nous ne l'adorons pas » (Dn 3,18).

Voyez la sagesse de ces jeunes gens. En effet, afin que ceux qui étaient alors présents n'accusent pas Dieu d'impuissance s'il leur arrivait de mourir en tombant dans le feu, ils prirent les devants et ils confessèrent sa toute-puissance, en disant : « Dieu, qui est dans le ciel, peut nous sauver » (Dn 3,17). Mais afin qu'on ne pense pas, s'ils échappaient à la flamme, qu'ils ont servi Dieu pour un salaire et pour une récompense, ils ajoutèrent : « Et s'il ne le fait pas, sache pour toi, roi, que nous ne servons pas tes dieux et que la statue d'or que tu as dressée, nous ne l'adorons pas » (Dn 3,18). En même temps qu'ils proclamèrent la toute-puissance de Dieu, ils montrèrent l'intégrité de leur âme, afin que l'on ne dise pas à leur sujet ce que le diable dit de Job en le calomniant. Que dit le [PAGE 74] diable au sujet de Job ? « Ce n'est pas pour rien que Job te vénère : tu as en effet enfermé par une haie tout ce qui est à lui » (Jb 1,9b-10a). Afin que l'on ne puisse pas dire la même chose à leur sujet, ils prirent donc les devants et fermèrent une bouche impudente.

Mais, comme je le disais, celui qui possède la vertu, même s'il est prisonnier, esclave ou étranger, même s'il vit en exil, celui-là sera plus digne d'être roi que tous les rois. Comprenez-vous que l'esclavage a été aboli pour les femmes, pour les serviteurs, et que la soumission à l'autorité n'est plus un esclavage ?

4e exemple : la peur des bêtes sauvages. Daniel et Paul, libres de tout péché leur ont échappé.

7. Je vais maintenant vous montrer ici que la peur que l'on a des bêtes sauvages a, elle aussi, été dissipée. Un jour, dans cette même Babylone, ils jetèrent Daniel dans la fosse ; mais les lions n'osaient pas le toucher (cf. Dn 6,17-25). Car ils virent resplendir en lui l'image ancienne, l'image royale, ils reconnurent l'empreinte qu'ils avaient vue sur Adam avant le péché. Ils allèrent en effet vers Adam et reçurent alors leurs noms avec la même soumission (cf. Gn 2,20). Ce prodige n'arriva pas seulement à ce moment-là, il arriva aussi au bienheureux Paul. En effet, sur l'île des Barbares où il avait échoué, Paul était assis, se chauffant à un bûcher ; or une vipère surgit du menu bois mort et toucha sa main (cf. Ac 28,1-6). Qu'arriva-t-il donc alors ? La bête tomba aussitôt.

Ainsi, parce qu'elle l'avait trouvé sans péché, elle ne fut pas capable de mordre ; de même que nous, si nous essayons d'escalader un rocher élevé et sans aspérité, nous ne trouvons de prise en aucun endroit et nous tombons aussitôt, qu'il y ait en dessous la mer ou un trou profond, de même les bêtes sauvages qui étaient logées sous le feu en dessous ne trouvèrent pas la prise du péché, la vipère ne trouve pas où planter les dents, elle tomba dans le feu et elle fut détruite.

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3e réponse : le Christ nous promet bien plus que ce que nous avons perdu en Adam et Ève

8. Voulez-vous que je vous donne un troisième argument ?

Le premier, c'est que le péché a été commis non seulement par nos ancêtres mais aussi par leurs descendants. Le second, c'est que l'expérience de l'esclavage a été plus légère pour ceux qui ont marché droit tout au long de leur vie ; ou plutôt, qu'ils ont été délivrés de cet esclavage dans sa totalité, comme nous l'avons montré dans le cas des femmes, de la soumission à l'autorité et dans le rapport avec les bêtes sauvages.

Le troisième argument, c'est que le Christ, par sa venue, nous promet des biens plus grands que les biens dont nous avons été dépouillés par ceux qui ont péché au commencement.

Un 1er don : le Ciel

Pourquoi en effet te lamentes-tu, dis-moi ? Parce qu'Adam, en péchant t'a banni du paradis ? Marche droit, toi, et recherche la perfection. Et j'ouvrirai pour toi, non le paradis, mais le Ciel lui-même et je ne permettrai pas que tu subisses le moindre tourment du fait de la désobéissance de la première créature.

Un 2e don : le pouvoir sur les démons

Te lamentes-tu parce qu'il t'a destitué de ton commandement sur les bêtes sauvages ? Voici, je te soumets même les démons, si tu obéis. « Foulez aux pieds », dit-il en effet, « serpents et scorpions et toute la puissance de l'ennemi » (Lc 10,19). Il n'a pas dit : « dominez » comme pour les bêtes sauvages, mais, aggravant la domination : « Foulez aux pieds. »

C'est pourquoi aussi Paul ne dit pas : « Dieu placera Satan sous vos pieds », mais : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds » [PAGE 76] (Rm 16,20) et non plus comme auparavant : « Lui, il guettera ta tête et toi tu guetteras son talon » (Gn 3,15). Mais la victoire est totale, le triomphe sans mélange, la destruction, l'extermination et la perte de l'ennemi achevées.

Un 3e don : l'égalité avec les anges et la vie éternelle

Ève t'a rendue dépendante de son mari ; mais moi je te fais non seulement son égale, mais encore l'égale des anges eux- mêmes, si tu le veux. Elle a hypothéqué ta vie présente ; mais moi je te fais la grâce de la vie future, impérissable et immortelle, et débordante de biens innombrables.

Que personne donc n'estime avoir été lésé par nos deux ancêtres ! Car si nous voulons rechercher tout ce qu'il va nous offrir, nous trouverons ce qui a été donné beaucoup plus important que ce qui a été perdu.

Dans cette promesse, une implication : l'attention aux pauvres

9. Après ce qui vient d'être dit, le reste est évident. C'est avec Adam que les tourments ont fait irruption dans notre vie, le Christ a promis la vie, une vie exempte de douleur, de tristesse et de gémissement et il annonce la grâce du royaume des cieux. Il dit en effet : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli ; j'étais nu et vous m'avez vêtu ; j'étais en prison et vous êtes venu vers moi » (Mt 25,3436).

Entendrons-nous donc, nous aussi, cette voix bienheureuse ? Moi, je ne l'affirmerais pas tellement, car le mépris des pauvres est grand chez nous.

Temps de jeûne, exhortations faisant suite à des exhortations, enseignement des moyens du salut, prières continuel[PAGE 77]les, rassemblements quotidiens... quelle est l'utilité d'une telle application ? Aucune.

En effet, en partant d'ici nous voyons bien les files de pauvres qui se tiennent en rang venus des deux côtés ; et, sans pitié nous passons notre chemin à côté d'eux, comme si nous regardions des colonnes et non des êtres humains. Oui, nous nous hâtons de rentrer chez nous, comme si nous regardions des statues sans âme et non des hommes comme nous qui ont en eux un souffle de vie.

La faim des pauvres et notre insensibilité

10. La faim me presse, direz-vous. Eh bien, que la faim te presse de rester ! Selon le proverbe en effet, les ventres pleins ignorent les ventres affamés ; mais les ventres affamés comprennent le besoin des autres à partir du leur. Non, pour être plus exact, ce n'est pas ainsi non plus, que l'on se rend compte de l'étendue de ce besoin…

En effet, tu cours toi, vers une table qui a été dressée et tu ne peux pas supporter d'attendre un peu ; le pauvre lui, reste debout jusqu'au soir s'il le faut, s'escrimant et s'évertuant à trouver la nourriture quotidienne.

Et lorsqu'il voit que [a fin du jour est atteinte mais que la somme d'argent nécessaire à la nourriture quotidienne, ne l'est pas, il s'afflige, il prend feu et il est forcé d'oser ce qui excède ses propres forces. C'est pourquoi le soir, ils se jettent devant nous, faisant des promesses et des serments, se lamentant et se plaignant, tendant la main et forcés de ne pas avoir honte de mille et mille autres procédés. En effet ils craignent de devoir errer à travers la ville comme dans un désert, alors que tous se sont retirés chez eux.

Ainsi ceux qui ont fait naufrage pendant la journée s'évertuent, dès qu'ils peuvent saisir une planche, à regagner le port avant le soir, afin que le naufrage ne soit pas plus pénible si l'on doit rester dehors pendant la nuit ; de même les pauvres, [PAGE 78] qui craignent la faim comme un naufrage, s'escriment à rassembler avant le soir l'argent qui est nécessaire à leur nourriture, afin de ne pas rester en dehors du port... alors que tous sont arrivés chez eux. Car pour eux, les mains de ceux qui les secourent sont un port.

Leur détresse et notre quiétude

11. Mais nous, nous ne nous laissons pas fléchir par leurs malheurs, ni en public ni de retour chez nous. Mais alors que notre table est servie, souvent même qu'elle regorge de mille bonnes choses (s'il faut appeler « bonnes choses » ce que nous mangeons pour la condamnation de notre inhumanité), bref, alors que notre table est servie et que nous les entendons s'avancer en bas dans les venelles, pousser de grands cris dans les rues de la ville, s'affliger dans une obscurité totale, dans un désert immense, pas même ainsi nous ne nous laissons fléchir.

Bien plus, si nous les entendons à nouveau geindre lamentablement en bas, alors que nous sommes rassasiés et que nous allons dormir, nous poursuivons notre chemin, comme si nous entendions, non pas une voix humaine, mais un chien enragé. Et nous ne sommes ébranlés ni par l'heure – lui, il geint tout seul au milieu de la nuit, alors que tous dorment –, ni par la légèreté de sa demande – lui, il ne nous demande rien d'autre qu'un peu de pain ou d'argent –, ni par l'immensité de son malheur – lui, il lutte contre une faim tenace –, ni par l'humanité du suppliant qui n'ose, bien qu'un si grand besoin l'assaille, ni frapper aux portes ni se tenir tout près, mais qui supplie d'en bas, de très loin.

Et s'il reçoit quelque chose, il se répand en remerciements. Mais s'il ne reçoit rien, même dans ce cas-là, il ne laisse pas échapper une parole amère, il n'injurie ni n'insulte ceux qui ont les moyens de donner mais ne le font pas. De même que le condamné conduit par un bourreau vers un châtiment [PAGE 79] intolérable, appelle à son secours tous ceux qui sont présents, supplie et ne rencontre aucun soutien, mais est conduit vers le châtiment avec une grande inhumanité, de même le pauvre tiré par la faim comme par un bourreau vers la nuit et vers une insomnie intolérable tend la main, et d'un cri perçant appelle au secours ceux qui sont assis en haut dans les maisons, mais ne rencontre aucune sympathie et il est, avec une grande cruauté, chassé sans pitié.

Il est urgent pour nous de vivre notre foi dans l'amour actif du prochain

12. Rien de tout cela pourtant ne nous fait fléchir et, malgré une si grande inhumanité, nous osons tendre les mains vers le ciel, parler à Dieu de la pitié et demander le pardon de nos péchés. Et nous ne craignons pas de voir tomber la foudre, après une telle prière, après une telle cruauté et une telle inhumanité !

Comment nous avançons-nous, dites-moi, vers le sommeil et le repos, sans craindre que ce pauvre lui-même ne se place en songe auprès de nous, poussiéreux, sale, couvert de haillons, et qu'il ne gémisse, ne se lamente et n'accuse notre cruauté ? J'en ai souvent entendu d'aucuns, qui pendant le jour avaient négligé de soutenir les indigents, dire qu'ils s'étaient vus eux-mêmes pendant la nuit ligotés et tirés par la main des pauvres, torturés et souffrant de mille et mille maux. Mais cela c'est pour le temps du sommeil et des songes, et le supplice n'est que momentané.

Ne nous arrive-t-il pas d'imaginer le jugement dernier et le sort du riche face à Lazare ?

13. Mais nous, dites-moi, ne craignons-nous pas de voir un jour dans le sein d'Abraham, ce pauvre qui gémit, crie et se [PAGE 80] plaint comme un jour un certain riche vit Lazare ? (cf. Lc 16,19-31). Je vous laisse imaginer ce qui se passa alors, son châtiment amer et inexorable, comment il demanda de l'eau, comment il ne trouva même pas une goutte, comment sa langue brûla de sécheresse, comment il ne jouit d'aucun pardon alors qu'il était venu supplier avec insistance, et comment il fut châtié pour l'éternité.

Ah ! puissions-nous éviter de l'apprendre par expérience ! Puissions-nous, après avoir entendu ces paroles, fuir la menace par nos actes et, jugés dignes de la bienveillance de notre aïeul Abraham, nous approcher de lui, en ce même lieu, par la grâce et l'amour de notre Seigneur Jésus-Christ !

A lui, à son Père et au Saint-Esprit, honneur, gloire et force maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.

[PAGE 81]

<-Sixième homélie

Les bienfaits du jeûne

1. J'aime le jeûne : il est père de la sagesse, source pour toute recherche de la vérité ; je l'aime aussi â cause de vous et de l'amour que je vous porte, parce qu'il m'a uni à vous en cette assemblée sainte et vénérable, qu'il me donne de voir de nouveau vos visages, comme je le désirais, et me permets de me réjouir sans arrière-pensée [16] de cette belle panégyrie [17] et fête.

L'assemblée ecclésiale n'est pas un simple rassemblement, mais une « panégyrie »…

2. On ne ferait pas fausse route assurément en appelant votre assemblée fête et panégyrie, et de mille autres beaux qualificatifs.

En effet, passe-t-on par hasard sur une place publique, y rencontre-t-on un ami, aussitôt toute mauvaise humeur est oubliée. Nous, qui revenons non sur une place publique mais [PAGE 82] à l'église, et qui ne rencontrons pas un ami seulement mais qui frayons avec autant de frères et de pères tels que vous, comment pourrions-nous ne pas oublier toute mauvaise humeur ? Comment pourrions-nous ne pas profiter de toute joie ?

On y parle, non du quotidien, mais de l'essentiel

En effet cette réunion vaut bien mieux que les rassemblements sur la place publique, tant par le nombre des personnes que par la nature même de l'entretien. Car ceux qui se rassemblent assis sur la place publique s'entretiennent souvent de futilités, engagent une discussion stérile et parlent pour ne rien dire de vital.

En effet nous avons l'habitude, le plus souvent, de nous ingérer avec trop de curiosité et de nous immiscer indûment dans les affaires des autres. Je n'insisterai pas ici sur le danger de laisser échapper et d'entendre de tels propos, et d'être ainsi entraîné : bien des tempêtes au sein des familles ont été provoquées par de tels rassemblements. Personne ne niera qu'aucune parole spirituelle ne peut être prononcée dans ce genre d'entretien vain, stérile et terrestre.

Mais ici, au contraire : tout entretien qui n'est pas salutaire est exclu et tout l'enseignement qui est donné est spirituel.

Ainsi, nous sommes là pour parler de notre âme et des biens qui concernent l'âme ou bien des couronnes qui sont préparées dans les cieux et de la vie des saints, ou de la bienveillance de Dieu et de la providence de l'univers ou de tous les autres sujets qui nous concernent de façon vitale : pourquoi nous sommes nés, quel sort nous reviendra après notre départ d'ici-bas et dans quel état seront alors nos affaires.

On y vit la « communion des saints » et la présence du Christ

Bien plus, nous ne sommes pas seuls à participer à cette réunion, mais aussi les prophètes et les apôtres. Et mieux [PAGE 83] encore, assurément, le Seigneur de tous les hommes lui- même se tient au milieu de nous, Jésus. En effet c'est lui- même qui dit : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt 18,20). Si donc, là où deux ou trois sont rassemblés il est au milieu d'eux, combien plus là où sont présents tant d'hommes, tant de femmes, tant de pères, avec au milieu d'eux les apôtres et les prophètes !

La connaissance du bien et du mal est antérieure à la transgression d'Adam

3. C'est pourquoi nous aussi nous vous parlons avec plus de ferveur comptant sur le poids de sa présence, et nous allons tenir notre promesse envers vous.

Nous avions en effet promis de vous dire tout d'abord si c'est de l'arbre qu'est venue à Adam la connaissance du bien et du mal, ou s'il avait déjà ce discernement avant d'en avoir mangé. Avec fermeté nous dirons maintenant qu'il avait ce discernement avant même d'en avoir mangé.

ler argument : c'est par ce discernement que l'homme est supérieur aux animaux.

4. Car s'il n'avait pas su en quoi consistaient le bien et le mal, il aurait eu encore moins de raison que les animaux eux- mêmes, qui en sont privés, et il aurait été un maître plus borné que ses esclaves.

Comment en effet ne serait-il pas absurde que les chèvres et les brebis sachent distinguer les herbes comestibles des vénéneuses, et qu'elles ne se précipitent pas vers tout ce qu'elles voient, alors que l'homme serait, lui, privé d'une telle protection ?

En effet, s'il n'avait pas ce discernement, il n'aurait aucune valeur, il serait la plus démunie des créatures. Et certes il vaudrait beaucoup mieux pour lui passer son temps dans l'obscurité, avoir les yeux crevés et privés de lumière, que de ne pas savoir en quoi consistent le bien et le mal.

[PAGE 84]

En effet, si tu avais fait disparaître cette faculté de notre vie, tu aurais fait disparaître toute notre vie et tu aurais tout rempli de beaucoup de confusion. Car notre spécificité et notre supériorité par rapport aux bêtes sauvages privées de raison, c'est notre connaissance du vice et de la vertu, et notre conscience du bien et du mal. Et, si nous maintenant nous avons cette connaissance, non seulement nous, mais aussi les Scythes et les Barbares [18] , combien plus cet homme d'autrefois était-il conscient avant le péché ! Lui qui a été chargé de bénédictions et de dignités telles que d'être, par exemple, à l'image, à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26), n'aurait pas pu rester privé du bien suprême. En effet ceux-là seuls ignorent le bien et le mal qui sont dépourvus d'intelligence selon la nature ; mais Adam avait été rempli de beaucoup de sagesse et il était capable de plus de discernement que chacun d'eux.

2e argument : c'est par sa sagesse que l'homme a nommé les animaux et salué sa femme.

5. Et voici la preuve de sa sagesse spirituelle : « Dieu amena vers lui, dit-il, les bêtes sauvages pour voir comment il les appellerait ; et comme Adam les appela, ainsi furent leurs noms » (Gn 2,19b).

Comprends donc de quelle sagesse il avait été rempli, lui qui eut le pouvoir d'attribuer à tant d'espèces, si variées et de toutes sortes, aux bestiaux, aux reptiles et aux oiseaux, une dénomination qui a pleine autorité. En effet Dieu approuva [PAGE 85] l'attribution des noms, de telle sorte que ceux-ci ne changèrent plus et qu'il ne souhaita pas, après le péché de l'homme, les annuler. Il est dit en effet : « Tous les noms dont Adam les appela, furent le leur » (Gn 2,19b). Celui-ci ignorait-il donc ce qui est bien et ce qui est mal ? Comment cela pourrait-il avoir un sens ?

Dieu amena la femme à son tour vers l'homme et, dès qu'Adam l'eut vue, il eut conscience de la communauté de leur nature. Et que dit-il ? « Celle que voici maintenant est os de mes os, et chair de ma chair » (Gn 2,23a). En effet après que Dieu a conduit vers lui tous les êtres vivants, Adam, qui voulait indiquer que cet être vivant là était différent des autres, dit : « Celle que voici maintenant est os de mes os, et chair de ma chair. »

Certains disent qu'il ne suggère pas seulement cela, mais encore le mode de fabrication et qu'il dit, parce que la femme n'aura plus jamais ce mode de génération : « Celle que voici maintenant. » Ce qu'un autre traducteur [19] traduit de façon plus exacte en disant : « Celle que voici pour une fois », comme s'il disait : maintenant seulement la femme est née de l'homme seul ; mais ensuite il n'en sera plus ainsi, mais des deux.

« Os de mes os et chair de ma chair. » En effet Dieu, ayant pris un morceau de la masse qu'il avait pétrie pour former un tout, façonna ainsi la femme, pour qu'elle ait, en tout, une constitution commune avec l'homme. « Celle-ci, dit-il, sera appelée femme parce qu'elle a été prise de l'homme » [20] (Gn 2,23b).

[PAGE 86]

Comprenez-vous pour quelle raison il attribue à la femme cette dénomination ? pour que ce nom révèle leur nature et fabrication communes et devienne le fondement d'un amour durable et le ciment de leur union.

Que dit-il ensuite ? « C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme » (Gn 2,24a). Il n'a pas dit simplement : « il s'unira », mais : « il s'attachera », mettant en évidence l'exacte fusion : « et eux deux deviendront une seule chair » (Gn 2,24b). Celui qui savait de telles choses, ne savait-il donc pas, dites-moi, ce qu'était le bien, ce qu'était le mal ? Comment cela pourrait-il avoir un sens ?

3e argument : ce n'est pas le serpent mais Dieu qui nous a dotés d'une conscience morale

6. En effet s'il n'avait pas su ce qu'était le bien ni ce qu'était le mal avant de s'être nourri de l'arbre, s'il l'avait appris après avoir mangé, c'est le péché qui lui aurait enseigné la sagesse et le serpent ne se serait plus présenté comme séducteur mais plutôt comme notre initiateur, ayant fait d'une bête un homme même.

Bien sûr, il ne peut en être ainsi ! En effet, s'il ne savait pas ce qu'étaient le bien et le mal, comment pouvait-il recevoir le commandement ? Car personne ne donne une loi à quelqu'un qui ne sait pas que la transgresser est un mal ; or Dieu a donné une loi et il a châtié celui qui l'a transgressée ; cela n'aurait pas été s'il avait, dès le début, fait un homme qui ignorait la vertu et le vice.

Comprenez-vous comment, de tous côtés, il nous a été démontré que ce n'est pas après avoir mangé qu'Adam sut ce qu'étaient le bien et le mal mais qu'il les connaissait même avant cela ?

[PAGE 87]

Le chef de famille doit transmettre aux siens l'enseignement reçu à l'Église

7. Bien-aimés, retenons donc tout cela et, de retour chez nous, installons-nous à table pour prendre notre nourriture et recevoir l'enseignement ; que l'homme répète ce qui a été dit et que la femme l'apprenne, que les enfants écoutent aussi et que les serviteurs ne soient pas privés, eux non plus, de cet enseignement. Fais de ta maison une église.

En effet, tu es responsable aussi du salut et de tes enfants et de tes serviteurs ; et de même que nous avons à rendre raison à votre sujet, de même chacun d'entre vous a à rendre des comptes pour un serviteur, une femme ou un enfant.

Le sommeil et l'enseignement en seront facilités

Certes, après de telles récitations, les songes nous apparaîtront très agréables et délivrés de tous phantasmes. Car ce qui à l'ordinaire préoccupe l'âme pendant le jour, on l'imagine pendant le sommeil.

Et, si nous gardons en mémoire ce qui nous est dit chaque jour, nous n'aurons pas besoin de faire de gros efforts : en effet la prochaine homélie sera pour vous plus claire et pour nous l'enseignement sera plus fervent. Afin donc qu'il y ait à gagner et pour vous auditeurs et pour nous enseignants, dressez aussi avec la table des nourritures terrestres celle des nourritures spirituelles.

Cherchez donc d'abord le Royaume des cieux…

En effet, cette pratique sera votre sauvegarde et votre honneur, Dieu réglera les affaires de la vie présente à votre intérêt, et tout sera pour vous facile et aisé. « En effet cherchez d'abord, dit-il, le royaume des cieux et tout cela vous sera [PAGE 88] donné par surcroît » (Mt 6,33). Cherchons donc le royaume, bien-aimés, afin d'obtenir les biens de ce monde et de l'autre, par la grâce et la bienveillance de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire est au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et pour les siècles des siècles. Amen.

[PAGE 89]

<- Septième homélie

Que chacun fasse de sa maison une église !

1. Hier je vous ai longuement exhortés à vous souvenir, dans votre amour, de ce qui avait été dit et à dresser le soir une double table, celle des vivres et, en plus, celle des paroles qui nourrissent. Eh quoi ? L'avez-vous fait ? et avez-vous dressé la double table ? je sais que vous l'avez fait et que vous avez partagé non seulement la première mais la seconde aussi.

Certes, vous n'étiez pas gens à vous occuper de la première pour aller ensuite négliger la plus estimable. En effet la seconde est plus estimable que la première, car l'une ce sont les mains des cuisiniers qui l'ont arrangée mais l'autre ce sont les dires des prophètes qui l'ont préparée ; l'une porte les germes de la terre, l'autre le fruit de l'Esprit ; les aliments de cette première table sont entraînés sans délai vers la corruption, ceux de la seconde vers l'incorruptibilité ; car l'une entretient notre vie présente, tandis que l'autre nous conduit vers la vie à venir.

Donc, que vous ayez dressé ces deux tables ensemble, sans avoir interrogé l'un de vos serviteurs ou l'un de vos esclaves, je le sais, par un messager plus fidèle qu'eux. Par qui donc ? par les applaudissements de ce qui vous a été dit, par l'approbation de ce qui vous a été enseigné. En effet, lorsque j'ai dit hier : « Que chacun d'entre vous fasse de sa maison une église », vous avez fait entendre une grande acclamation, montrant par là la joie que vous procurait ce qui était dit. Or celui qui écoute avec joie ce qu'on lui dit, celui-là est égale[PAGE 90]ment prêt à passer aux actes. C'est aussi pourquoi j'ai pris aujourd'hui, avec plus d'ardeur, les armes de l'enseignement.

Et maintenant : veillez !

2. Mais veillez, vous aussi, maintenant. Car ce n'est pas seulement celui qui parle qui doit veiller mais ceux qui écoutent doivent aussi participer au combat, et plus même que celui qui parle. En effet nous, nous avons une seule préoccupation, placer les biens du Seigneur ; mais pour vous la peine est plus grande, vous qui devez recevoir ces biens et les garder en toute sécurité.

Gardez-vous des tentations !

Posez donc, pendant que vous écoutez, des serrures aux portes, des verrous ; et de tous côtés entourez l'âme de réflexions redoutables, comme certaines sentinelles.

En effet le voleur est impudent, il est sans cesse éveillé, il passe à l'attaque fréquemment et même s'il ne réussit pas souvent, souvent il entreprend.

C'est pourquoi les sentinelles sont là, redoutables ; si elles voient le diable venir et tenter de s'emparer de l'un des biens qui ont été placés, qu'elles le chassent à grands cris ! si des préoccupations quoditiennes surgissent, qu'elles leur barrent le passage ! et si un oubli venant de la nature cause de grands troubles, qu'elles réveillent la mémoire par l'inquiétude ! Car c'est un danger qui n'est pas minime que de perdre les biens du Seigneur !

En effet si ceux qui reçoivent de l'argent en dépôt sont souvent châtiés de mort quand ils dissipent ce qui leur a été confié, quel châtiment ne supporteront pas ceux qui ont reçu des enseignements beaucoup plus précieux que ces biens-là et qui les ont ensuite laissés dépérir ?

[PAGE 91]

Ne laissez pas dormir la parole de Dieu, faites-la fructifier !

Ceux qui reçoivent de l'argent en dépôt doivent rendre compte pour la garde de ces biens exclusivement ; il est en effet de toute nécessité qu'ils rendent autant qu'ils ont reçu, mais personne ne leur demande quoi que ce soit d'autre ; nous, ce n'est pas seulement de la garde des paroles de Dieu dont nous devons rendre compte, mais encore d'une plus-value importante.

En effet, on nous ordonne non seulement de rendre ce que nous avons reçu, mais encore de rapporter le double au Seigneur. Pourtant, même pour une simple garde, le combat, le zèle sont grandement nécessaires ! mais, puisque le Seigneur nous fixe aussi de mettre ces biens en valeur, songez de quelle peine, de quelle réflexion nous avons besoin pour accomplir cette tâche.

Comme l'enseigne la parabole des talents

3. C'est ainsi que celui à qui l'on a confié cinq talents (cf. Mt 25,14-30) n'a pas rapporté autant qu'il lui avait été confié, mais le double. Car si le dépôt montrait la bienveillance du maître, il fallait que le serviteur, lui, montre son zèle.

De même celui à-qui l'on a confié les deux talents en a tiré deux autres et pour cette raison son maître l'a jugé digne du même honneur.

Mais le troisième qui, de son côté, n'avait reçu qu'un seul talent et qui a rapporté ce qui lui avait été confié, sans l'amoindrir, sans réduire le dépôt, sans le rendre diminué de moitié, celui-là, parce qu'il n'a pas montré d'application ni doublé ce qui lui a été confié, a été puni de la peine dernière ; et tout à fait à bon droit. En effet si je voulais, dit le maître, que mes biens soient seulement gardés, sans en faire un objet d'échanges, je ne les aurais pas mis aux mains des esclaves.

[PAGE 92]

Quant à vous, admirez la bienveillance du maître. Celui à qui l'on avait confié cinq talents en a rapporté cinq autres et celui à qui l'on en avait confié deux, en a rapporté le double ; et chacun d'eux a été récompensé. En effet, de même qu'il a dit au premier : « C'est bien, bon et fidèle esclave, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai » (Mt 25,21), de même il dit à celui qui a rapporté les deux talents : « C'est bien, bon et fidèle esclave, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai » (Mt 25,23). Le surplus n'est pas le même mais le salaire est le même ; ainsi il a jugé le second digne du même honneur.

Pourquoi donc ? parce que Dieu était attentif non au montant de ce qui a été rapporté, mais à la capacité de ceux qui ont produit. En effet chacun d'eux a fait les choses selon ses capacités ; ce n'est pas la paresse de l'un ni le zèle de l'autre qui permettent de comprendre l'écart qui s'est creusé, mais la différence du dépôt initial. L'un a reçu cinq talents et en a rapporté cinq autres ; l'autre en a reçu deux et en a rapporté deux autres et son zèle n'a pas été jugé inférieur. En effet il a doublé ce qui lui avait été confié, comme le premier. Mais celui qui n'a reçu qu'un seul talent, n'en a rapporté qu'un et c'est pourquoi il a été châtié.

Vous venez d'entendre quel châtiment attend ceux qui ne se donnent pas de la peine pour les biens du Seigneur. Gardons donc ces biens, donnons-nous de la peine et faisons-en un grand commerce ! Que personne ne dise : je suis un simple particulier, je suis un écolier, je n'ai pas le don de l'enseignement car je suis ignorant et je ne vaux rien. En effet, même si tu es un simple particulier, même si tu es ignorant, même si on ne t'a confié qu'un seul talent, fais produire ce qui a été placé entre tes mains et tu recevras le même salaire que celui qui enseigne.

Je suis certain que vous gardez et retenez avec un soin minutieux ce qui vous a été dit ; aussi nous reprendrons devant vous la réflexion d'hier sans plus nous dépenser en exhortations. Considérez ceci comme un salaire de votre [PAGE 93] garde, car celui à qui l'on a confié les premiers biens et qui les a conservés est digne, semble-t-il, d'en recevoir encore d'autres.

Rappel des principaux thèmes de l'homélie de la veille

4. Quel était donc le sujet qui vous a été exposé hier ? Nous avons parlé de l'arbre et nous avons montré que l'homme savait ce qu'étaient le bien et le mal avant d'avoir mangé de l'arbre, et qu'il avait été rempli d'une grande sagesse. Nous l'avons vu quand il a attribué des noms aux bêtes sauvages, quand il a reconnu sa femme et dit : « Celle que voici maintenant est os de mes os » (Gn 2,23), quand il a parlé du mariage, de la procréation des enfants et de l'union du père et de la mère, quand il a reçu le commandement. En effet personne ne donne un commandement ni une loi définissant ce qu'il faut et ce qu'il ne faut pas faire à quelqu'un qui ignore le bien et le mal.

Pourquoi l'arbre est-il nommé arbre de la connaissance du bien et du mal ?

5. Aujourd'hui il est nécessaire de dire pourquoi l'arbre est appelé arbre de la.connaissance du bien et du mal, alors que l'homme n'a pas reçu de cet arbre sa connaissance ; car apprendre pourquoi l'arbre est ainsi dénommé n'est pas sans importance !

Le témoignage du diable n'est pas fiable

En effet, n'est-ce pas le diable qui a dit : « Le jour où vous mangerez du fruit de cet arbre, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » [PAGE 94] (Gn 3,5). Comment donc, me dira-t-on, peux-tu prétendre, toi, que le diable n'a pas mis dans l'homme la connaissance du bien et du mal ? Car, dites-moi, qui l'a mise ? est-ce le diable ? certains l'affirment, en citant : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gn 3,5). M'apporterez- vous un témoignage probant en faveur de l'ennemi et du félon ? Certes il a dit : « Et vous serez des dieux » ; mais sont- ils, pour cela, devenus des dieux ? De même donc qu'ils ne sont pas devenus des dieux, de même ils n'ont pas reçu à ce moment-là la connaissance du bien et du mal. Car celui-ci est un menteur qui ne dit rien de vrai. En effet « dans la vérité, dit-il, il ne s'est pas maintenu » (Jn 8,44).

Interrogeons plutôt l'Écriture pour définir le bien et le mal

6. Alors, ne produisons pas le témoignage de l'ennemi mais voyons à partir des événements eux-mêmes pourquoi l'arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal.

Et d'abord, si vous le voulez bien, examinons ce que sont le bien et le mal. Le bien, qu'est-ce donc ? l'obéissance. Et le mal ? la désobéissance. Cependant, afin de ne pas nous fourvoyer au sujet de la nature du bien et du mal, scrutons cette question dans les Écritures. En effet, le prophète confirme notre hypothèse : « Qu'est-ce qui est le bien et qu'est-ce que le Seigneur réclame de toi ? Dis ce qu'est le bien : aimer le Seigneur ton Dieu » (cf. Mi 6,8). Comprenez-vous que l'obéissance c'est le bien ? car l'obéissance vient de l'amour.

Et à nouveau : « Ce peuple, qui est mien, dit-il, a commis deux actions mauvaises : ils m'ont abandonné, moi la source d'eau vive, et ils ont creusé pour eux des citernes fendues qui ne pourront pas retenir l'eau » (Jr 2,13). Comprenez- vous que la désobéissance et l'oubli, c'est cela le mal ?

[PAGE 95]

…pour préciser la fonction tenue par l'arbre dans l'acquisition de la conscience morale

7. Maintenant donc tenons pour acquis que l'obéissance est le bien et la désobéissance le mal et ainsi nous saurons le reste aussi. Car c'est le commandement qui permet l'obéissance ou la désobéissance et fait de l'arbre un arbre de la connaissance du bien et du mal.

En effet, si Adam savait dès le début que l'obéissance est le bien et que la désobéissance est le mal, il l'apprit plus tard de façon plus claire par l'expérience même. Caïn aussi savait, avant d'égorger son frère, que le fratricide est un mal – écoutez en effet ce qu'il dit, parce qu'il savait que cette action était mauvaise : « Maintenant, allons aux champs » (Gn 4,8). Et certes pourquoi appelles-tu ton frère, l'entraînant et l'arrachant à la maison paternelle ? Pourquoi vas-tu dans un lieu désert ? pourquoi le dépouilles-tu de tout secours ? pourquoi l'emmènes-tu loin de la présence paternelle ? pourquoi dissimules-tu ton audacieux forfait si tu n'as pas peur de ton péché ? et pourquoi, lorsqu'on t'interroge à ton tour, une fois le meurtre accompli, te fâches-tu et mens-tu ? En effet, alors que Dieu t'a dit : « Où est Abel ton frère ? » (Gn 4,9) tu réponds : « Suis-je le gardien de mon frère, moi ? » (Gn 4,9).

…pour montrer l'utilité du châtiment dans le développement de cette conscience morale

8. Il ressort de cela qu'il commit son crime en toute connaissance de cause. De même donc que Caïn savait, avant même d'en avoir fait l'expérience que le meurtre est un mal, il l'apprit aussi après, de façon plus claire, quand il reçut son châtiment et entendit : « Tu seras gémissant et tremblant de peur sur la terre » (Gn 4,12) ; de même son père avait la connaissance du bien et du mal avant même d'avoir mangé [PAGE 96] de l'arbre, même s'il ne le savait pas encore de façon aussi claire qu'après en avoir mangé.

Pourquoi dis-je cela ? Parce que tous nous savons ce qui est mal avant même d'agir, mais que nous l'apprenons de façon plus claire quand nous agissons, et de façon encore plus claire quand nous sommes châtiés.

De même Caïn savait que le fratricide est un mal avant même de le commettre, mais il l'apprit plus tard de façon plus claire par le châtiment. Et, bien que nous sachions que la santé est un bien et que la maladie est insupportable avant d'en avoir fait l'expérience, combien plus faisons-nous la différence entre les deux quand nous tombons malades ! De la même façon Adam savait que l'obéissance est un bien et que la désobéissance est un mal ; mais plus tard il l'apprit de façon plus claire quand il fut chassé du paradis après avoir goûté de l'arbre, et banni de ce lieu de félicités.

Donc, parce qu'il fut frappé d'un châtiment pour avoir goûté du fruit de l'arbre malgré l'interdiction de Dieu, il apprit, de façon plus claire, par l'expérience du châtiment, quel mal c'est de désobéir à Dieu et quel bien c'est de lui obéir ; c'est pourquoi l'arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal.

… pour justifier l'explication donnée au surnom de l'arbre

9. Et si l'arbre n'avait pas, par sa nature même, la connaissance du bien et du mal, et si l'homme l'a acquise par le châtiment qu'il a reçu en désobéissant au sujet de l'arbre, pourquoi l'arbre est-il appelé arbre de la connaissance du bien et du mal ? Parce que c'est l'habitude de l'Écriture d'appeler les lieux et les temps par les événements, qui les ont marqués.

Voici des exemples pour éclairer et illustrer ma thèse

Isaac creusa un jour des puits ; ses voisins s'en emparèrent pour les boucher ; de là survint une certaine détestation et il [PAGE 97] appela le puits Haine (cf. Gn 26,19-22) ; non pas que le puits lui-même éprouvait de la haine mais parce que la haine survint à son sujet. De même l'arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal, non pas qu'il ait lui-même la connaissance, mais parce que le moyen de mettre à l'épreuve la connaissance du bien et du mal survint à son sujet.

Abraham à son tour creusa un puits, et Abimélech complota contre lui ; ils se rencontrèrent, ils désamorcèrent la haine et après s'être fait l'un à l'autre des serments, ils appelèrent ce puits Puits du Serment (cf. Gn 21,22-33) ; non pas que le puits ait juré mais parce qu'il fut l'objet d'un serment.

Voyez-vous comment les lieux ne sont pas les auteurs des événements, même si c'est des événements qu'ils reçoivent leurs noms ? Il est tout à fait nécessaire de fournir un exemple pour appuyer ma thèse.

Jacob, à son tour, vit des anges qui venaient à sa rencontre et il vit le campement de Dieu, aussi appela-t-il ce lieu Campement (cf. Gn 32,2-3). Certes ce lieu n'était pas le campement, pourtant Jacob l'appela Campement parce qu'il vit là le campement. Comprenez-vous comment il a nommé ce lieu par l'événement qui s'était déroulé là ? De même l'arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal, non qu'il ait en lui-même la connaissance du bien et du mal, mais parce que c'est à son sujet que survint l'occasion de mettre à l'épreuve la connaissance du bien et du mal et d'exercer la désobéissance ou l'obéissance.

Jacob vit Dieu de nouveau, autant qu'il est possible à un homme de le voir et il appelé ce lieu : Vision de Dieu (cf. Gn 32,31) « parce que j'ai vu Dieu », dit-il. Assurément ce lieu n'était pas une vision de Dieu, mais la dénomination vint de l'événement qui s'était déroulé là. Comprenez-vous, par tous ces exemples, que l'Écriture a l'habitude d'appeler les lieux par les événements qui se déroulent dans ces lieux mêmes ?

Et elle a l'habitude de faire la même chose pour les temps. [PAGE 98] Mais afin de ne pas vous infliger une trop grande tension, passons, dans notre homélie, du plus sombre au plus lumineux. Car votre pensée s'est fatiguée â manier des réflexions trop subtiles ; c'est pourquoi il est bon de lui donner quelque repos, en lui soumettant des réflexions plus simples et plus lumineuses.

L'arbre de la croix et ses bienfaits

10. Tournons-nous donc vers l'arbre qui sauve, vers l'arbre de la croix. C'est lui en effet, lui qui a aboli toutes les calamités que le premier avait introduites. Non, pour être plus exact, ce n'est pas le premier arbre mais l'homme qui a introduit toutes les calamités que le Christ plus tard a abolies, introduisant profusion de biens infiniment supérieurs à ces maux.

A cause de cela même, Paul dit : « Là où le péché a proliféré, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). C'est-à-dire : le don est plus grand que la faute. A cause de cela il dit de nouveau : « Il n'en va pas du don de la grâce comme de la violation » (Rm 5,15). Bien plus grand que le péché de l'homme fut la grâce de Dieu, bien plus grand que la perte fut le gain, bien plus grand que le naufrage fut le trafic maritime : les biens certes furent plus nombreux que les maux.

Et avec raison. Car c'est un esclave qui a introduit les maux et ils étaient en nombre moindre, mais c'est le Seigneur qui a, par grâce, donné les biens et c'est pourquoi ils furent plus nombreux. A cause de cela il dit : « Il n'en va pas du don de la grâce comme de la violation » (Rm 5,15). Et il précise ensuite la différence : « En effet à partir d'un seul le jugement a abouti à la condamnation, tandis qu'à partir de nombreuses violations le don de grâce a abouti à la justification » (Rm 5,16).

Cette parole est trop obscure, il est donc nécessaire d'en donner l'interprétation. « Le jugement », c'est-à-dire la puni[PAGE 99]tion, le châtiment, la mort. « A partir d'un seul », c'est-à-dire d'un seul péché ; en effet, un seul péché, dit-il, a introduit un tel mal ; mais le don de grâce n'a pas aboli ce seul péché mais encore beaucoup d'autres. C'est pourquoi il dit : « A partir de nombreuses violations le don de grâce a abouti à la justification » (Rm 5,16). A cause de cela aussi Jean le Baptiste criait : « Voici l'agneau de Dieu » – non pas : celui qui enlève le péché d'Adam, mais : « Celui qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29).

Comprenez-vous comment il n'en va pas du don de grâce comme de la violation et comment cet arbre a introduit des biens plus nombreux que les maux qui avaient été apportés au commencement ?

… en particulier la grâce du voleur

11. Je vous ai dit cela afin que vous ne vous croyiez pas lésés par le premier couple. Le diable a chassé Adam du paradis, le Christ y a introduit le voleur. Examinez la différence. Le premier a chassé l'homme qui ne portait pas un péché mais une seule souillure de désobéissance, le Christ a introduit, comme cela, dans le paradis, un voleur qui traînait de lourdes fautes. La chose étonnante, est-ce donc seulement le fait qu'il ait introduit un voleur dans le paradis, et rien d'autre ?

Il faut ajouter quelque chose d'encore plus grand. En effet, il n'a pas seulement introduit un voleur mais encore il l'a fait devant toute la terre et devant les apôtres, afin que personne, par la suite, ne désespère de sa possibilité d'entrer au paradis et ne perde l'espérance de son salut, en voyant séjourner dans les demeures royales un homme chargé de maux innombrables.

Le voleur a-t-il mis en avant ses efforts et ses bonnes actions et leurs fruits ? Non, mais, par une simple parole, par la foi seule, il a fait, devant les apôtres, irruption dans le para[PAGE 100]dis – et cela afin que tu apprennes que ce n'est pas tant la noblesse de ses sentiments qui a prévalu que la bienveillance du Seigneur qui a tout fait.

En effet, qu'a dit le voleur ? qu'a-t-il fait ? a-t-il jeûné ? pleuré ? déchiré ses vêtements ? a-t-il mis en avant une longue pénitence ? nullement ; mais c'est sur la croix elle-même qu'il a obtenu le salut, avec sa déclaration. Voyez la rapidité : de la croix au ciel, de la condamnation au salut.

Quelles sont donc ces paroles ? quel pouvoir ont-elles qu'elles lui aient apporté de tels biens ? « Souviens-toi de moi, dit-il, dans ton royaume » (Lc 23,42). Qu'est-ce que cela signifie ? il demanda à recevoir des biens, il ne mit absolument pas en avant ses propres actes, mais, connaissant son cœur, il ne se préoccupa pas de ses actions, mais de ses dispositions intérieures.

En effet, ceux qui avaient profité de l'enseignement des prophètes, vu les signes et contemplé les miracles, disaient du Christ : « Il est possédé d'un démon », et : « Il égare la foule » (Mt 11,18). Mais le voleur, qui n'avait pas écouté les prophètes ni vu les miracles, en le voyant cloué sur la croix, ne se préoccupa pas du mépris, et ne regarda pas le déshonneur mais regardant vers la nature divine elle-même, il dit : « Souviens-toi de moi dans ton royaume » (Lc 23,42). C'est ceci qui est inattendu et extraordinaire. Tu vois une croix : te souviens-tu du royaume ? Qu'as-tu vu qui ait la valeur du royaume ? un homme mis en croix, giflé, tourné en dérision, décrié, couvert de crachats, fouetté ; tout cela a-t-il la valeur du royaume, dis-moi ?

Comprenez-vous qu'il regardait par les yeux de la foi et qu'il ne s'attachait pas aux apparences ? C'est pourquoi Dieu non plus ne s'attacha pas à ses actions seules mais, comme cet homme avait regardé à la nature divine, de même Dieu regarda au cœur du voleur et dit : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43).

[PAGE 101]

Contre les manichéens qui nient la résurrection de la chair

12. Faites attention à ce point car ce n'est pas une question de peu d'importance qui est ici soulevée. En effet les Manichéens, ces chiens, ces imbéciles et ces enragés, donnent l'impression de la raison mais au-dedans d'eux ils ont la folie malveillante des chiens et ils cachent le loup sous la peau d'une brebis. Ne regardez pas l'apparence, mais suivez la piste de la bête sauvage cachée en eux.

Ceux-ci donc, ayant saisi ce passage, disent : le Christ a dit : « En vérité, en vérité je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43) ; la rétribution des biens a donc désormais eu lieu, et la résurrection est superflue.

En effet, si le voleur a reçu en ce jour-là les biens derniers mais s'il n'est toujours pas ressuscité dans son corps, la résurrection des corps n'aura pas lieu à l'avenir. Avez-vous compris ce qui vient d'être dit ou bien faut-il le dire à nouveau ?

« En vérité, en vérité je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43). Le voleur est donc entré, disent les Manichéens, dans le paradis, mais sans corps ; en effet, comment pourrait-il en être autrement puisque son corps n'a pas été enseveli, qu'il ne s'est pas désagrégé et qu'il n'est pas devenu poussière ? et il n'a été dit nulle part que le Christ l'avait ressuscité. Mais, s'il a introduit le voleur dans le paradis et s'il a, sans son corps, profité des biens derniers, il est évident que la résurrection du corps n'existe pas. Car si la résurrection du corps existait, il n'aurait pas dit : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43), mais : à la fin des temps, lorsqu'aura lieu la résurrection des corps. Et, s'il a déjà introduit le voleur dans le paradis et que son corps est resté à l'extérieur, corrompu, il est évident que la résurrection des corps n'existe pas.

Voilà ce que disent ces gens-là ; mais recevez maintenant notre enseignement – non pas notre enseignement mais plus exactement celui de l'Écriture divine ; car ce ne sont pas nos [PAGE 102] propres paroles que nous prononçons, mais celles de l'Esprit saint.

Réfutation. 1er argument : le corps a droit à son salaire

13. Que dites-vous ? que la chair ne prend pas part au couronnement ? mais si elle a pris part aux efforts, sera-t-elle privée de son salaire ? Quand il fallait combattre, c'est elle surtout qui était en sueur ; mais quand vient l'heure des couronnes, l'âme seule serait couronnée ?

2e argument : le témoignage de Paul

N'entendez-vous pas Paul qui dit : « Il faut que nous comparaissions devant le tribunal du Christ, afin que chacun remporte ce qui convient à son corps, selon ce qu'il a fait, soit en bien, soit en mal » (2 Co 5,10) [21] . N'entendez-vous pas qu'il dit de nouveau : « Il faut que ce qui est mortel revête l'immortalité et que ce qui est corruptible revête l'incorruptibilité » (1 Co 15,53). Ce qui est mortel, qu'est-ce ? l'âme ou le corps ? le corps, évidemment, car par nature, l'âme est immortelle et le corps mortel. Mais ces gens-là retranchent beaucoup de cet enseignement.

Contre les manichéens pour qui la rétribution finale a déjà eu lieu. 1er argument : Dieu ne nous promet pas le paradis mais quelque chose de nouveau : le ciel

14. Et ce n'est qu'à partir de ce qu'ils ont laissé derrière eux que nous convaincrons d'erreur ces hérétiques. [PAGE 103] Le voleur entra dans le paradis, disent les manichéens. Qu'est-ce que cela veut dire ? Les récompenses en effet ne sont-elles pas celles que Dieu nous annonce ? N'entendez- vous pas ce qu'en dit Paul ? « Ce que l'œil n'a pas vu et ce que l'oreille n'a pas entendu et ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme » (1 Co 2,9) ; mais le paradis, l'œil d'Adam l'a vu, son oreille l'a entendu et le cœur de l'homme l'a reçu ; c'est à son sujet en effet que nous nous entretenons depuis longtemps. Comment donc le voleur, lui, a-t-il pu recevoir ces biens ?

Or, ce n'est pas l'entrée au paradis que Dieu nous annonce, mais l'entrée dans le ciel lui-même ; et il a proclamé non pas le royaume du paradis mais le royaume des cieux. « Il se mit en effet, dit-il, à dire et à proclamer : Convertissez-vous, car il s'est approché », non pas : le royaume du paradis mais : « le royaume des cieux » (Mt 4,17). Tu as en effet perdu le paradis mais Dieu t'a donné le ciel afin de montrer sa bienveillance et d'attaquer le diable, montrant que ce dernier, même s'il a formé des complots innombrables contre l'espèce humaine, n'y gagnera rien, car Dieu nous conduit vers une gloire toujours plus grande. Tu as perdu donc le paradis et Dieu a ouvert pour toi le ciel ; tu as été condamné à une peine temporaire et tu as été honoré de la vie éternelle. Il a ordonné à la terre de produire des épines et des chardons et l'âme a fait germer pour toi le fruit de l'Esprit. Comprenez-vous comment les avantages sont plus importants que les préjudices ? comment les richesses sont plus considérables ?

Un exemple : Dieu a façonné l'homme de terre et d'eau et il l'a placé dans le paradis. Celui qui avait été ainsi façonné n'a finalement rien produit de bon et a mal tourné. Maintenant il ne le modèle plus de terre et d'eau mais d'eau et d'Esprit ; et il n'annonce plus pour lui le paradis mais le royaume des cieux.

Écoutez comment. Voyez en effet, quand le notable juif Nicodème se trompa dans sa quête d'une nouvelle naissance ici-bas, disant qu'il est impossible à un vieillard de naître à [PAGE 104] nouveau, voyez comment le Christ lui révèle plus clairement la façon de naître : « Si quelqu'un ne naît pas d'eau et d'esprit, il ne peut pas entrer dans le royaume des cieux » (Jn 3,4-5). Donc s'il a annoncé le royaume des cieux mais s'il a fait entrer le voleur dans le paradis, c'est qu'il ne lui a pas encore donné les biens derniers.

2e argument : il n'est pas possible d'identifier le paradis au ciel. Si le jugement est déjà réalisé, il n'est pas accompli

15. Mais ils disent encore quelque chose d'autre à ce sujet. En parlant ici de paradis, disent-ils, il n'a pas désigné le paradis mais il a nommé du nom de paradis le royaume des cieux. En effet lorsqu'il parla au voleur, à cet homme qui n'avait rien entendu des doctrines les plus hautes, qui ne savait rien de la prophétie mais qui passait tout son temps à se cacher et à commettre des meurtres, ne regardait jamais vers l'Église et ne participait pas à l'enseignement de la lecture divine, à cet homme donc qui ne savait pas ce qu'est le royaume des cieux, il dit : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43). Il désigne par le nom le plus accessible et plus courant de paradis le royaume des cieux et c'est du royaume que le Christ lui parle.

Je comprends. Il entre donc, disent les manichéens, dans le royaume des cieux. D'où cela vient-il ? De cette parole : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43). Que cette solution soit abusive, nous allons le faire comprendre plus clairement.

Comment donc ? Le Christ a dit : « Celui qui ne croit pas au Fils est déjà jugé » (Jn 3,18). Qu'est-ce que cela veut dire ? est- il déjà jugé alors qu'il n'y a pas encore eu la résurrection ni le châtiment ni la punition ? Comment donc est-il déjà jugé ? Du fait du péché. Et il dit aussi : « Celui qui croit au Fils est passé de la mort à la vie » (Jn 5,24). Il n'a pas dit : il passera, mais : il est déjà passé. L'un est déjà sauvé du fait de sa bonne [PAGE 105] action, l'autre au contraire est déjà jugé du fait de sa faute. Donc, comme l'un a été jugé avant même le jugement et que l'autre est passé à la vie avant même le passage, l'un par sa bonne action et l'autre par sa faute, et qu'il s'entretient d'événements futurs comme si c'étaient des événements passés, ainsi parlait-il au voleur.

Et en effet, lorsque les médecins voient quelqu'un dans un état désespéré, ils disent que c'est désormais un mort et un cadavre – pourtant ils le voient respirer encore. Et comme ce malade est tenu pour mort par les médecins lorsqu'il n'y a pas d'espoir de salut, ainsi le voleur est entré au ciel quand il n'y a plus eu pour lui le risque de rebrousser chemin vers la perdition.

De même aussi Adam entendit : « Le jour où vous mangerez de l'arbre, vous mourrez de mort » (Gn 2,17). Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-il mort le jour même ? Nullement, mais il a vécu neuf cents ans et plus après ce jour. Comment donc Dieu a-t-il dit : « En ce jour même vous mourrez » (Gn 2,17) ? Le châtiment est effectif, même s'il n'est pas encore exécuté. De même aussi le voleur est entré au ciel.

Écoutez du moins ce que dit Paul, qui précise que personne n'a encore reçu la rétribution des biens. En effet, parlant des prophètes et des justes, il poursuit : « Tous ceux-ci moururent dans la foi sans avoir obtenu la réalisation des promesses mais après les avoir vues et saluées de loin » (He 11,13). « Dieu avait prévu pour nous mieux encore, afin qu'ils n'arrivent pas à l'accomplissement sans nous » (He 11,40).

Exhortations finales

16. Retenez cela et souvenez-vous en et enseignez ceux qui n'ont pas entendu. Que chacun s'en préoccupe, à l'église, sur la place publique et à la maison. En effet rien n'est plus agréable que d'obéir à Dieu. Certes, écoutez ce que dit le Prophète à ce sujet : « Qu'elles sont douces à mon palais tes paro[PAGE 106]les, plus que le gâteau ou le rayon de miel à ma bouche » (Ps 118,103).

Place donc ce miel-là sur ta table le soir de façon à la remplir tout entière de joie spirituelle. Ne voyez-vous pas comment les riches font venir après le dîner des joueurs de cithare et de flûte et font de leur propre maison un théâtre ? Toi, fais de ta maison le ciel. Tu le feras, non en changeant les murs ni en transformant les fondations, mais en invitant à la table le Seigneur des cieux lui-même. Dieu n'a pas honte de tels repas.

En effet, là où existe un enseignement spirituel, là existe aussi la sagesse, la sainteté et l'équité. Là où l'homme, la femme et les enfants sont liés par les liens de la vertu, et là où règnent la concorde et l'amour, là, au milieu, le Christ est présent. En effet il ne recherche ni un toit en or ni l'éclat des colonnes ni les beaux objets de marbre mais la fleur de l'âme et l'élévation de la pensée, et une table où abonde la justice et qui porte des fruits de miséricorde. Et s'il voit une telle table, vite il participe à la réunion et il est présent.

En effet, c'est lui-même qui a dit : « Vous m'avez vu affamé et vous m'avez nourri » (Mt 25,35). Donc, toutes les fois où vous entendez un indigent crier fortement d'en bas et qu'ensuite vous donnez à celui qui est dans le besoin quelque chose de ce qui se trouve sur votre table, c'est le Seigneur que vous avez invité à votre table, par l'intermédiaire de l'esclave, vous avez chargé votre table tout entière de bénédictions et par cette offrande vous avez saisi une très grande occasion de voir vos greniers emplis de beaucoup de biens.

Que le Dieu de la paix, qui donne le pain pour nourriture et la semence au semeur, multiplie vos semailles et augmente en vous tous les fruits de la justice, vous donnant la grâce qui vient de lui, et qu'il vous juge dignes du royaume des cieux !

Puisse-t-il arriver que nous tous nous l'obtenions, par la grâce et la bienveillance de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire est au Père et à l'Esprit Saint, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.

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<- Huitième homélie

Préliminaires : la présence de nombreux pasteurs fait la joie du troupeau

1. L'affluence des nnuages a rendu pour nous ce jour plus sombre, mais la venue du théologien l'a fait plus radieux. En effet il n'en est pas de même du soleil qui éclaire les corps par ses rayons depuis le zénith, que de voir la tendresse paternelle illuminer nos âmes par ses rayons venant de son trône au milieu des cieux. Aussi, lorsque le soleil vit la situation, ce n'est pas seul qu'il nous assista, mais il vint avec le chœur des étoiles, de façon à accroître sa lumière.

C'est pourquoi l'Église se réjouit à notre sujet et les fidèles tressaillent de joie et nous, nous entreprenons de parler avec une ardeur plus grande. En effet là où il y a affluence de pasteurs, là aussi se trouve la sécurité des brebis. De même aussi les matelots se félicitent lorsqu'ils ont auprès d'eux beaucoup de timoniers [22] , car leur nombre et leur habileté à la manœuvre soulagent les rameurs par temps calme et permettent de résister aux assauts de la tempête. A cause de cela aussi nous, nous exposons avec confiance la parole en vue de l'enseignement, ayant livré le tout à leurs prières.

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Rappel des principaux thèmes de l'homélie de la veille

2. Pour que l'écoute soit pour vous plus facile et plus claire, rappelons brièvement ce qui vous a été dit hier. J'ai dit que l'homme savait avant d'avoir mangé de l'arbre ce qu'étaient le bien et le mal et qu'il n'a pas reçu cette connaissance après en avoir goûté. J'ai dit pourquoi l'arbre était appelé arbre de la connaissance du bien et du mal et comment l'Écriture avait l'habitude de nommer les lieux et les temps par les événements qui s'y sont déroulés.

L'homélie du jour : une réflexion sur la loi de Dieu

3. Aujourd'hui, il est nécessaire de lire le commandement par lequel il est interdit de manger de l'arbre. Quel est-il donc ? « Et le Seigneur Dieu donna un ordre à Adam en disant : De tout arbre qui est dans le paradis tu peux manger » (Gn 2,16). Voilà la loi divine, mais faisons attention. En effet, si des hommes, en lisant les textes royaux, font se lever l'ensemble des auditeurs, combien plus faut-il que nous, qui allons lire les lois non des hommes mais de Dieu, nous nous élevions par la pensée et que nous fassions attention à ce qui est dit !

Le don de la loi est un acte d'amour

4. Je sais que certains accusent le législateur et disent que la loi est cause de là violation. Devant une telle affirmation, il est nécessaire tout d'abord d'établir et de montrer par les événements eux-mêmes qu'il a donné la loi, non par haine de l'homme ni par désir de faire violence à notre nature, mais par amour et par sollicitude.

En effet, écoutez ce que dit Ésaïe : « Il a donné la loi comme secours » (1s 8,20) : elle nous a été donnée comme alliée. Or [PAGE 109] celui qui hait ne secourt pas. Le Prophète à son tour crie : « Ta loi est une lampe pour mes pieds et une lumière sur mes sentiers » (Ps 118,105). Or celui qui hait ne dissipe pas l'obscurité par sa lampe et il ne guide pas celui qui erre avec une lumière. A son tour Salomon dit : « Le commandement de la loi est une lampe et une lumière et un chemin de vie et une mise à l'épreuve et une discipline » (Pr 6,23). Vois, ce n'est pas seulement un secours ni même une lampe mais aussi une lumière et un chemin de vie. Ce n'est pas là le comportement de quelqu'un qui agit par haine ou par désir de perdre, mais de quelqu'un qui tend la main et qui relève.

C'est pourquoi Paul aussi dit, lorsqu'il s'explique sur le compte des Juifs et qu'il montre quel avantage la loi a apporté et que c'est le repos et non la charge de notre nature : « Vois, toi tu es appelé Juif et tu te reposes sur la loi » (Rm 2,17). Comprenez-vous que Dieu a donné la loi non en chargeant notre nature mais pour l'aider ?

Le don de la loi est un acte d'élection

5. Voulez-vous apprendre qu'il l'a fait aussi pour nous honorer ? Ce que je viens de dire a pu tout à fait vous montrer cet honneur et cette sollicitude, cependant je le rendrai évident par d'autres témoignages.

« Jérusalem, dit-il, loue le Seigneur ! Loue ton Dieu, Sion, car il a renforcé les verrous de tes portes, il a béni tes fils en toi, lui qui met tes frontières en paix et te rassasie de la graisse du froment » (Ps 147,12-14). Après avoir dit les bienfaits procurés par Dieu à travers le reste de la création, il expose ensuite le bienfait remarquable et plus grand, en disant ainsi : « Lui qui révèle sa parole à Jacob, ses prescriptions et ses jugements à Israël. Il n'a pas agi ainsi pour tous les peuples et il ne leur a pas fait connaître ses jugements » (Ps 147,19-20).

Voyez que de biens il a énumérés ! La sécurité de la cité, [PAGE 110] car, dit-il, « il a renforcé les verrous de tes portes ». La délivrance des ennemis, car, dit-il, « lui qui met tes frontières en paix ». L'abondance des biens nécessaires à la vie : « et qui te rassasie de la graisse du froment ». Cependant il a fait voir que le don de la loi était de plus grand prix que tout cela :

En effet, après avoir énuméré tous ces biens et posé comme leur achèvement et leur lien le fait que recevoir la loi et apprendre les prescriptions de Dieu sont un présent beaucoup plus grand que la sécurité et la paix, que la délivrance des ennemis, que le bonheur d'avoir des enfants beaux et nombreux et que l'abondance des biens nécessaires à la vie, il poursuit en disant : « il n'a pas agi ainsi pour tous les peuples ». De quoi s'agit-il ? Assurément beaucoup ont souvent joui de l'abondance et des autres biens énumérés, mais je ne parle pas, dit-il, de cela mais de la loi : « il n'a pas agi ainsi pour tous les peuples ». C'est pourquoi il poursuit : « et il ne leur a pas fait connaître ses jugements ». Comprenez-vous comment la loi est un bien plus grand que tous les biens qui ont été énumérés ?

Cela, Jérémie aussi l'a rendu visible. En effet, lorsqu'il se lamente sur ceux qui sont en captivité, il dit : « Pourquoi es-tu dans le pays de tes ennemis ?… Tu as abandonné la source de la sagesse » (Ba 3,10a.12), nommant ainsi la loi. De même que la source donne naissance de tous côtés à de nombreux torrents, de même la loi donne naissance de tous côtés à de nombreux commandements et irrigue notre âme. Pour expliquer le caractère remarquable de l'honneur qui nous est fait par la loi, il dit ensuite : « Cette sagesse n'a pas été entendue en Canaan ni vue à Théman ; les fils d'Agar, les marchands et les chercheurs n'ont pas connu ses voies et ne se sont pas souvenus de ses sentiers » (Ba 3,22-23). Et pour montrer qu'elle est spirituelle et divine, il dit : « Qui est monté jusqu'au ciel et l'a fait descendre ? » (Ba 3,29). Ensuite il poursuit : « C'est lui notre Dieu, aucun autre ne peut lui être comparé. Il a trouvé toutes les routes de la science et il l'a donnée à Jacob son serviteur et à Israël son bien-aimé » (Ba 3,33-34).

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C'est pourquoi David aussi dit : « Il n'a pas agi ainsi pour tous les peuples et il ne leur a pas fait connaître ses jugements » (Ps 147,20). Assurément Paul aussi écrivit en laissant entendre la même chose : « Quelle est donc la supériorité du Juif ? Quelle est l'utilité de la circoncision ? » (Rm 3,1). Beaucoup, de toute façon. D'abord parce qu'ils ont reçu le dépôt des paroles de Dieu. Comprenez-vous comment Paul interprète : « Il n'a pas agi ainsi pour tous les peuples et il ne leur a pas fait connaître ses jugements » (Ps 147,20) ?

En effet, si la supériorité des Juifs est que eux seuls parmi les hommes ont été honorés du don de la loi écrite, c'est que Dieu a donné la loi, non pour charger notre nature mais pour l'honorer.

Le don de la loi est un privilège d'autant plus grand qu'il s'est fait de Dieu à l'homme, sans médiateur

6. Et il nous a honorés non seulement en donnant la loi mais encore en la donnant lui-même, car c'est cette forme d'honneur qui est la plus grande, qui consiste à donner directement et non à fournir par procuration.

Écoutez encore Paul démontrer que ce présent est grand. En effet, voulant abaisser l'orgueil des Juifs qui se vantent de leurs prophètes, il montre que nous avons joui d'un honneur plus grand parce que nous avons été enseignés non par un esclave mais par le maître, il dit à peu près ceci en écrivant aux Hébreux : « Le Dieu qui a parlé autrefois à nos pères sous des formes multiples et variées, nous a parlé en ces jours derniers par le Fils » (He 1,1-2). Et de nouveau ailleurs : « Et pas seulement cela, mais encore nous glorifiant en Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ par qui nous avons aussi reçu la réconciliation » (Rm 5,11).

Comprenez-vous que lui se glorifie non seulement de la réconciliation mais encore de ce qu'il a reçu cette réconciliation par le Christ ? Et célébrant cette fois la résurrection, il [PAGE 112] dit : « Le Seigneur lui-même descendra du ciel » (1 Th 4,15). Voyez qu'ici aussi tout est le fait du Seigneur. Or, là-bas, il a donné, de lui-même et sans intermédiaire, serviteur ange ou archange, un ordre à Adam, l'honorant doublement, par le don de la loi et par un don sans intermédiaire.

Comment donc ce dernier a-t-il failli ? A cause de son insouciance. Et ils expliquent combien d'hommes ont reçu la loi et n'ont pas failli, voire ont fait plus encore que ce qui leur avait été ordonné. Mais puisque je vois que c'est le moment de nous restreindre, je différerai ce développement à un autre entretien.

Exhortations finales

7. Quant à vous, gardez jusqu'à ce moment-là ce qui vous a été dit, souvenez-vous-en et enseignez ceux qui n'ont pas entendu. Que chacun s'en préoccupe, à l'église, sur la place publique et à la maison. En effet rien n'est plus agréable que d'obéir à Dieu. Certes, écoutez ce que dit le prophète à ce sujet : « Qu'elles sont douces à mon palais tes paroles, plus que le gâteau ou le rayon de miel à ma bouche » (Ps 118,103).

Place donc ce miel-là sur la table le soir de façon à la remplir tout entière de joie spirituelle. Ne voyez-vous pas comment les riches font venir après le dîner des joueurs de cithare et de flûte et font de leur propre maison un théâtre ? Toi, fais de ta maison le ciel. Tu le feras, non en changeant les murs ni en transformant les fondations, mais en invitant à ta table le Seigneur des cieux lui-même. Dieu n'a pas honte de tels repas.

En effet, là où existe un enseignement spirituel, là existe aussi la sagesse, la sainteté et l'équité. Là où l'homme, la femme et les enfants qui sont liés par les liens de la vertu, et là où règnent la concorde et l'amour, là, au milieu, le Christ est présent. En effet il ne recherche ni un toit en or ni l'éclat des colonnes ni les beaux objets de marbre mais la fleur de [PAGE 113] l'âme et l'élévation de la pensée, et une table où abonde la justice et qui porte des fruits de miséricorde. Et s'il voit une telle table, vite il participe à la réunion et il est présent.

En effet, c'est lui-même qui a dit : « Vous m'avez vu affamé et vous m'avez nourri » (Mt 25,35). Donc, toutes les fois où vous entendez un indigent crier fortement d'en bas et qu'ensuite vous donnez à celui qui est dans le besoin quelque chose de ce qui se trouve sur votre table, c'est le Seigneur que vous avez invité à votre table, par l'intermédiaire de l'esclave, vous avez chargé votre table tout entière de bénédictions et par cette offrande vous avez saisi une très grande occasion de voir vos greniers emplis de beaucoup de biens.

Que le Dieu de la paix et de l'amour, qui donne le pain pour nourriture et la semence au semeur, multiplie vos semailles et augmente en vous tous les fruits de la justice, vous donnant la grâce qui vient de lui et qu'il vous juge dignes du royaume des cieux !

Puisse-t-il arriver que nous tous nous l'obtenions, par la grâce et la bienveillance de notre Seigneur Jésus-Christ, qui partage avec le Père et le Saint-Esprit la gloire, l'honneur et la force, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.

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<-[LA GENÈSE ET CÉSAIRE D'ARLES]

Histoire des patriarches

Treize siècles avant Jésus-Christ, plusieurs clans sémites semi-nomades parcourent la terre de Palestine, à la recherche de pâturages pour leurs troupeaux. Les uns viennent du nord, les autres du sud; un autre groupe a fui l'esclavage de l'Égypte pour retrouver la liberté.

Histoire de l'ancêtre

Chaque clan raconte son histoire et se réfère à l'ancêtre auquel il fait appel. On raconte les péripéties et les aventures, où se mêlent l'histoire et la légende et où se retrouvent des légendes locales. Imbroglio difficile à démêler!
L'ancêtre n'est pas le même pour tous. Pour les uns c'est Abraham, pour d'autres Isaac ou Jacob. D'autres enfin l'appellent Israël. A travers tous ces récits s'exprime une recherche. Chacun est accompagné sur la route par une divinité qui le guide. Les tribus, venues d'Égypte l'appellent Yahvé.
Pour ces sémites, Yahvé leur a demandé de quitter le pays de l'esclavage pour reconquérir la liberté, en leur promettant de donner à ceux qui se réclament de lui une terre, celle de Canaan. Ainsi l'histoire des patriarches est le point de départ du peuple de Dieu. La Bible qui en rapporte les péripéties réunit les archives de cette histoire.
Ce mouvement des hommes, guidés par le ciel, en route vers la terre de Dieu, s'achève dans le Christ. Jusqu'au Sauveur le peuple se réfère sans cesse au Dieu d'Abraham, [PAGE 118] d'Isaac et de Jacob. Inversement, le Christ peut dire dans l'évangile de saint Jean: «Abraham, votre père, exulta à la pensée qu'il verrait mon Jour. Il l'a vu et fut dans la joie» (Jn 8,56).
Le Christ, c'est-à-dire l'Oint de Dieu est l'accomplissement de toutes les promesses qui jalonnent l'histoire juive, il est le Révélateur de Dieu, son Père. C'est lui qui donne à toute l'histoire sa signification. L'Épître aux Hébreux, en se référant à l'histoire des patriarches a pu écrire: «Voilà pourquoi, nous aussi, enveloppés que nous sommes d'une telle nuée de témoins, nous devons rejeter tout fardeau et le péché qui nous assiège et courir avec constance l'épreuve qui nous est proposée, fixant nos yeux sur le chef de notre foi, qui la mène à la perfection, Jésus…» (He 12,1). Irénée, à son tour, développe une histoire du salut, axée sur le Christ.

La foi d'Abraham, d'Isaac et de Jacob

Ancêtres de Jésus, les patriarches sont également les ancêtres des chrétiens. Ils demeurent une référence permanente pour les croyants. L'Église «qui pérégrine», selon l'expression des premières générations, continue la migration, inaugurée par les pères dans la foi. La démarche d'Abraham est paradigme pour tout baptisé, comme le remarque Césaire d'Arles.
La catéchèse des Pères développe une typologie de l'histoire patriarcale, qui se retrouve sans cesse de l'Orient à l'Occident, de Grégoire de Nysse à Ambroise, d'Augustin à Césaire d'Arles. Les grands thèmes développés sont habituellement: la foi et l'exode d'Abraham, le sacrifice d'Isaac, figure du Christ, la manifestation des trois hommes qui figurent les trois personnes trinitaires, l'échelle de Jacob, à laquelle se réfère déjà saint Jean 1,51, qui relie ciel et terre.Qu'il suffise d'évoquer le thème d'Abraham, recevant les trois visiteurs. Les Pères grecs l'ont toujours interprété [PAGE 119] comme une visite trinitaire. Pour eux le Dieu d'Abraham n'est pas autre que le Dieu de Jésus-Christ, en qui s'accomplissent les promesses et les prophéties de l'Ancien Testament.
Dès le IVe siècle, la mosaïque de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, reproduit l'épisode. André Roublev à son tour, au xve siècle, reprend le même thème, souvent utilisé par la peinture russe, dans l'icône sans doute la plus célèbre du monde, peinte pour l'église de la Trinité, à Zagorsk, en 1411.
Mieux que de volumineux traités, le peintre russe veut conduire le chercheur de Dieu vers le Dieu trine. Les détails sont réduits à l'essentiel. Trois personnes se tiennent dans un tête-à-tête silencieux. La table devient l'autel qui porte la coupe eucharistique. Le rocher, le chêne, la demeure évoquent la route d'Abraham, vers la cité de Dieu.
Le croyant y trouve le mystère trinitaire, à la fois dans son mouvement de salut vers les hommes et dans la pérennité de son mystère immuable. Synthèse d'action de grâce et de la contemplation.

Césaire d'Arles et la Bible

Césaire, évêque d'Arles (470-542), est un des plus prestigieux pasteurs, à l'âge des invasions barbares. Pendant quarante ans, il a été un homme d'action, réunissant des conciles, veillant à la discipline, forgeant l'âme chrétienne de la Gaule. Il fut un prédicateur infatigable.
Sa prédication populaire, proche de l'Écriture et proche de la vie quotidienne a beaucoup utilisé ses devanciers, en particulier saint Augustin. Césaire compose ses sermons avec les ciseaux. Les éditeurs ont pu retrouver à la fois ses sources et ses procédés. Le souffle et la théologie biblique de l'évêque d'Hippone, se retrouvent dans les homélies que nous publions. Transmise par les homéliaires, les sermons de Césaire se sont répandus dans toute l'Europe.
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Césaire est l'héritier de la typologie patristique, celle que nous trouvons dans la catéchèse d'Orient et d'Occident. Il s'évertue à faire déboucher la parole de Dieu dans la vie journalière des fidèles de Provence.

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<-Sermons de saint Césaire d'Arles

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<-1. La vocation du bienheureux Abraham

Homélie 81, édition G. Morin, S. Caesarii opera omnia I, Maredsous, 1937, p. 333-336.
Traduction de Marie-Hélène Stébé

1. Nous venons d'écouter une lecture du Livre Saint, et nous avons entendu le Seigneur s'adresser à Abraham en ces termes: «Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père» (Gn 12,1). Il est certain, mes très chers frères, que tout ce qui est écrit dans l'Ancien Testament préfigure sous forme d'exemple et d'allégorie le Nouveau Testament; cela nous est confirmé par l'Apôtre, lorsqu'il dit: «Cela leur arrivait pour servir d'exemple; or cela a été écrit pour notre instruction, à nous qui touchons à la fin des temps» (1 Co 10,11). Par conséquent, si ces écrits nous sont destinés, il faut nous attendre à ce que s'accomplissent spirituellement en nous les événements qu'Abraham a vécus réellement, dans la mesure où nous vivons religieusement et dans le respect de la justice.

Abraham et le baptême

«Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père», dit le Seigneur. Tout cela, mes frères, se trouve réalisé en nous par le sacrement du baptême: nous le croyons et nous le ressentons ainsi. Notre pays, c'est notre chair; nous parvenons à quitter notre pays quand nous nous détournons des habitudes charnelles pour suivre les traces du Christ. D'ailleurs, cela ne vous réjouit-il pas de le voir quitter son pays, c'est-à-dire sortir de lui-même l'orgueilleux qui se fait humble, le colé[PAGE 124]reux qui se fait pacifique, le débauché qui se fait chaste, l'avare qui se fait généreux, l'envieux qui se fait bienveillant, le cruel qui se fait doux? Et précisément, mes frères, celui pour qui quitter son pays est une réussite est celui en qui une telle transformation s'apère pour l'amour de Dieu. J'ajouterai enfin que nous avons coutume de dire, entre nous, à propos de quelqu'un de mauvais qui se mettrait subitement à faire de bonnes actions: «Cet homme-là est sorti de lui-même.» L'expression «sortir de soi-même» convient tout à fait à celui qui se complaît désormais dans la vertu après s'être débarrassé de ses vices. «Quitte ton pays», dit le Seigneur. Notre pays, c'est-à-dire notre chair, qui, avant le baptême, portait la mort en elle, et qui devient terre de vie par le baptême. C'est cete même terre que le psalmiste évoque lorsqu'il dit: «Je le crois, je verrai la bonté de Yahvé sur la terre des vivants» (Ps 26,13). Par le baptême, nous sommes donc devenus terre des vivants et non des mourants, autrement dit des vertus et non des vices, à la condition toutefois que nous ne regagnions pas le bourbier du vice une fois baptisés et que, devenus terre des vivants, nous ne commetions pas d'actes funestes et coupables.
«Et viens vers le pays que je t'indiquerai», dit encore le Seigneur (Gn 12,1). Il est évident que nous nous rendrons avec joie dans le pays que Dieu nous a montré, dès lors que nous aurons chassé vices et péchés de notre terre, c'est-à-dire de notre chair, par notre propre effort.

Fruits du baptême

2. «Quitte ta famille», dit le Seigneur. Il faut interpréter cette parenté comme l'ensemble des vices et péchés qui nous sont pour ainsi dire inhérents et qui ne cessent de se cumuler et de s'entretenir depuis l'enfance. Nous quittons donc notre famille quand, par la grâce du baptême, nous faisons le vide en nous de tous nos vices et nos péchés; cela suppose néan[PAGE 125]moins qu'ensuite nous conjuguions tous nos efforts, avec l'aide de Dieu, pour nous couvrir de vertus, une fois nos vices expulsés. En effet, si nous espérons être lavés de tous les maux par le baptême tout en restant paresseux et indolents, je crains que ce qui est annoncé dans l'Évangile ne s'accomplisse en nous: «Lorsque l'esprit impur est sorti de l'homme, il erre par des lieux arides en quête de repos, et il n'en trouve pas. Si par la suite il revient dans sa demeure et qu'il la trouve vide, il prend alors avec lui sept autres esprits plus mauvais que lui, et l'état final de cet homme devient pire que le premier» (Mt 12,43-45). Il s'agit donc de quitter notre famille, c'est-à-dire nos vices et nos péchés, de telle sorte que nous n'ayons jamais plus envie de revenir à ces maux comme un chien à son vomi.
3. «Quitte la maison de ton père», dit le Seigneur. Cela aussi, nous devons le prendre au sens spirituel. Notre père était le diable avant que nous recevions la grâce du Christ: c'est ce dont le Seigneur accuse les Juifs dans l'Évangile en disant: «Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir» (Jn 8,44). Or, s'il dit que le diable est le père des hommes, ce n'est pas pour exprimer qu'ils sont nés de lui, mais qu'ils ont épousé ses défauts; l'idée n'est pas qu'ils ont pu naître de lui, mais qu'ils ont voulu l'imiter. Il est vrai que le psalmiste nous rappelle aussi que notre père a été tout d'abord le diable, lorsqu'il prête ces paroles à Dieu s'adressant à l'Église: «Écoute, ma fille, regarde et tends l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père» (Ps 44,11). «Écoute, ma fille», dit-il; celui qui prononce ces paroles ne peut être que le père, et quand il dit «oublie ton peuple et la maison de ton père», il l'engage sans aucun doute à quitter son père. Dieu le Père nous enjoint donc de quitter le diable notre père en opérant en nous un changement heureux et bénéfique. C'est bien le diable notre père que nous quittons dans la mesure où nous nous appliquons, avec l'aide de Dieu, à toujours esquiver et à fuir ses ruses et ses fourberies.
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Gardez-vous des rechutes

4. Mais toutes ces facultés que nous avons, mes frères, que ce soit de quitter notre pays, c'est-à-dire nos habitudes charnelles, de rompre avec notre famille, c'est-à-dire nos vices et nos péchés, ou de nous enfuir de la maison du diable notre père, nous ne les devons pas à nos propres forces, mais à la grâce que le Christ nous a accordée. Aussi devons-nous nous efforcer, dans la mesure de nos capacités et avec l'aide de Dieu, d'éviter tout retour à un compromis ou à des sympathies avec le diable, tout retour aux vices ou aux appétits charnels, à l'instar de ce qui est écrit: «Te voilà guéri; ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive pire encore» (Jn 5,14). D'autant plus qu'il nous est permis non seulement d'accéder à la grâce de Dieu, mais encore de pactiser ou de nous lier d'amitié avec Lui pourvu que nous nous inspirions de la foi d'Abraham et que nous persistions dans nos bonnes actions. C'est bien dans cet esprit d'ailleurs que le Seigneur adresse à Moïse ces propos qu'il nous faut considérer avec la plus grande crainte: lorsque le Seigneur vous aura livré la terre des Cananéens, «gardez-vous de faire alliance avec les habitants du pays où vous allez entrer, de peur qu'ils ne constituent un piège au milieu de vous» (Ex 34,12).
Quand bien même nous croyons que la grâce du baptême a chassé de nous nos fautes et nos péchés, il ne fait pourtant aucun doute que si, par la suite, nous renouons des liens avec ces vices et ces péchés, au point de faire corps avec eux et de sombrer dans la luxure et la cupidité, cette amitié nous entraînera à notre ruine. Aussi devons-nous conjuguer tous nos efforts, avec l'aide de Dieu, pour obtenir le salut de notre âme; faisons en sorte que la vertu s'incruste au plus profond de notre cœur, dont le mal s'était emparé, afin que s'accomplisse en nous ce que le bienheureux Isaac, prêtant ses traits au Christ, dit à son fils en le bénissant: «Oui, l'odeur de mon [PAGE 127] fils est comme l'odeur d'un champ fertile que Yahvé a béni» (Gn 27,27). Puisse-t-il daigner le réaliser, lui en qui règnent l'honneur et la gloire, avec le Père et le Fils, pour les siècles des siècles. Amen.

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<-2. Les trois hommes qui apparurent au bienheureux Abraham

Homélie 83, édition G. Morin, 340-344 (trad. légèrement modifiée).

1. Il nous est fréquemment arrivé, mes très chers frères, de faire appel à votre cœur: en effet, nous ne devons pas nous contenter de réfléchir uniquement à ce que nous livrent littéralement les textes qui nous sont lus ces jours-ci à l'église, mais nous devons rechercher sans défaillir l'esprit vivifiant derrière le voile de la lettre (cf. 2 Co 3,13). C'est dans cet esprit que l'Apôtre affirme: «La lettre tue, l'esprit vivifie» (2 Co 3,6). Après tout, si les Juifs funestes et les hérétiques plus funestes encore sont demeurés dans la mort, n'est-ce pas faute d'esprit vivifiant, parce qu'ils s'en sont tenu à l'expression formelle des mots? Quant à nous, écoutons l'Apôtre: «Tout cela leur arrivait pour servir d'exemple et a été écrit pour notre instruction» (1 Co 10,11). Revenons donc au contenu de la Lecture Sainte que nous avons entendue hier.

Dieu se manifeste

2. «Dieu apparut à Abraham au chêne de Mambré tandis qu'il étais assis à l'entrée de sa tente. Voilà qu'il vit trois hommes qui se tenaient debout au-dessus de lui; il sortit de sa tente et courut à leur rencontre…», etc. (Gn 18,1-2). Faites bien attention, mes frères, à la manière dont Dieu apparut à Abraham d'une part, et à Loth d'autre part. Trois hommes viennent trouver Abraham, et ils se tiennent debout au-dessus de lui, [PAGE 129] tandis qu'ils ne sont que deux à venir chez Loth, ils sont assis sur la place publique (cf. Gn 19, 1-3). Vous vous rendez compte, mes frères, que les événements se déroulent selon les dispositions de l'Esprit saint en fonction des mérites. Il est évident que Loth était, et de loin, inférieur à Abraham: sinon, il n'aurait pas mérité d'être séparé du bienheureux Abraham, et l'habitation de Sodome ne lui aurait pas convenu (cf. Gn 12, 7-13). Trois hommes viennent donc trouver Abraham au milieu de la journée; deux hommes se rendent chez Loth, mais ils viennent le soir, car Loth ne supportait pas la luminosité du jour à midi: or Abraham pouvait soutenir le plein éclat de la lumière.

L'accueil des hôtes

3. Voyons à présent de quelle manière Abraham et Loth accueillirent respectivement les arrivants. «Abraham courut à leur rencontre dès qu'il les vit», et aussitôt «il se hâta vers la tente et dit à sa femme: Hâte-toi, arrose trois mesures de fleur de farine et fais cuire trois galettes (ce qui, en grec, se dit «encryphias» et désigne des pains apparemment cachés et mystérieux). «Abraham lui-même courut au troupeau et prit un veau.» Quel genre de veau? Le premier qui se présenta, peut-être? Pas du tout! Un veau «bon et tendre», qu'il rapporta et «donna au serviteur, et le serviteur, est-il dit, se hâta de le préparer» (Gn 18,6-7). Remarquez bien, mes frères, avec quelle générosité vous devez recevoir vos hôtes. Voilà Abraham en personne qui court, sa femme qui se hâte, le serviteur qui se presse: il n'y a pas de paresseux dans la maison d'un sage. Telles sont les règles de l'hospitalité pour Abraham et Sarah. Loth pour sa part ne reçut que deux hommes, non pas la Trinité entière; et ce n'était pas à midi, mais le soir. Que leur présenta-t-il? «Il fit cuire des pains sans levain et ils mangèrent» (Gn 19,3). Il était bien inférieur en mérite à Abraham, aussi ne prit-il pas de veau gras et ne reconnut-il [PAGE 130] pas le mystère de la Trinité dans les trois mesures de fleur de farine. Cependant, grâce à la bonne volonté qu'il mit à offrir tout ce qu'il put, il gagna d'être épargné lors de la destruction des Sodomites. J'attire votre attention, frères, sur la raison pour laquelle Loth mérita également de recevoir les anges: c'est parce qu'il n'a pas refoulé ses hôtes. Les anges ont pénétré dans la maison de leur hôte; quant aux maisons qui n'avaient pas offert l'hospitalité, elles sont réduites en cendres sous des flammes de soufre.

La Trinité annoncée

4. Trois hommes s'approchèrent donc d'Abraham et se tinrent debout au-dessus de lui. Représentez-vous la scène: ils se présentent au-dessus de lui, non en face de lui. Abraham s'était soumis à la volonté de Dieu, ce qu'exprime le fait que Dieu est dit se tenir debout au-dessus de lui. Ils se tinrent debout près de lui, nous dit-on: non pas en face de lui pour le repousser, mais au-dessus de lui pour le protéger. Abraham accueille trois hommes, il leur sert trois mesures de pains. Pourquoi fait-il cela, frères, si ce n'est parce qu'il reconnaît le mystère de la Trinité? Il apporte aussi un veau, qui n'est pas dur, mais, dit-on, «bon et tendre». Pour être aussi bon, aussi tendre, il ne peut s'agir que de celui qui s'est humilié pour nous jusqu'à la mort (Ph 2,8). C'est bien lui, ce veau gras que le père immole pour célébrer le retour du fils repentant (cf. Lc 15,23). «Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique» (Jn 3,16).
Abraham va donc à la rencontre des trois hommes, mais celui qu'il adore est unique. Par le fait qu'il ait vu trois hommes, il a reconnu, comme je l'ai déjà dit, le mystère de la Trinité; si, par ailleurs, il s'est mis à adorer comme s'il n'y avait qu'une seule personne, c'est qu'il sait que Dieu est unique en trois personnes. Il s'adresse à une seule personne lorsqu'il dit: «Fais le détour vers ton serviteur!» (Gn 18,3). Or il ajoute, [PAGE 131] laissant à penser qu'il s'adresse à plusieurs personnes: «Qu'on apporte un peu d'eau, vous vous laverez les pieds» (Gn 18,4). Que le bienheureux Abraham vous serve d'exemple, frères, pour recevoir vos hôtes avec amabilité, leur laver les pieds avec humilité et respect. Lavez les pieds des saints qui voyagent, dis-je, afin d'éliminer sur eux toute poussière dont ils risquent de salir votre jugement en secouant leurs pieds. C'est bien ce qui est dit dans l'Évangile: «Si quelqu'un ne vous accueille pas, sortez et secouez la poussière de vos pieds. En vérité je vous le dis, au jour du jugement, il y aura moins de rigueur pour le pays de Sodome que pour cette ville-là» (Mt 10,14-15). Abraham donc pressentait cela, aussi voulait-il prendre les devants en leur lavant les pieds, de peur qu'il ne subsiste éventuellement quelque poussière susceptible d'être retenue comme preuve de son incrédulité au jour du jugement. Voilà la raison pour laquelle le sage Abraham dit: «Qu'on apporte un peu d'eau et vous vous laverez les pieds.» Ne négligez pas ces propos, frères, vous qui ne voulez pas vous montrer hospitaliers, vous qui recevez votre hôte comme un ennemi. En fait, eu égard à son hospitalité, le bienheureux Abraham méritait de recevoir Dieu en personne tandis qu'il recevait ces trois hommes. Le Christ aussi confirma mon propos en disant dans l'Évangile: «J'étais un étranger et vous m'avez accueilli» (Mt 25.35). Ne négligez donc pas les voyageurs, de peur que ce ne soit Dieu en personne que vous refusiez d'accueillir.

Abraham voit le «jour» du Christ

5. Où donc a eu lieu cette rencontre? «Au chêne de Mambré», ce qui signifie «vision» en latin, ou encore «perspicacité». Voyez-vous en quel endroit le Seigneur peut organiser une rencontre? II est vrai que les qualités de clairvoyance et de perspicacité d'Abraham lui plaisaient; il avait le cœur pur, de sorte qu'il lui était possible de voir Dieu. En [PAGE 132] un tel lieu, en un tel cœur, le Seigneur pouvait donc réunir des convives.
Dans l'Évangile, le Seigneur parla aux Juifs de cette rencontre; il leur dit: «Abraham, votre père, exulta à la pensée qu'il verrait mon jour. Il l'a vu et fut dans la joie» (Jn 8,56). «Il a vu mon jour», dit-il, parce qu'il reconnut le mystère de la Trinité. Il a vu en son jour le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et les trois personnes réunies en un seul jour, tout comme Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit ne sont tous trois qu'un seul Dieu. En effet, chaque personne en particulier est un Dieu à part entière, et simultanément toutes trois ensemble sont Dieu. Il n'est donc pas incongru de discerner le Père, le Fils et le Saint-Esprit dans ces trois mesures de farine, puisqu'il y a unité de substance. On peut néanmoins avancer une interprétation différente et voir en Sarah l'image de l'Église: les trois mesures de farine peuvent être interprétées comme étant la foi, l'espérance et la charité. Ces trois vertus rassemblent en effet les fruits de l'Église universelle; tout homme qui a mérité de réunir en lui ces trois vertus peut être assuré de recevoir la Trinité tout entière en son cœur.

Ceux qui se rendent indignes de Dieu

6. Le Seigneur dit ensuite à Abraham: «Le cri contre Sodome et Gomorrhe monte vers moi. Je suis donc descendu pour voir s'ils ont fait ou non ce qu'indique le cri, afin de savoir» (Gn 18,20-21). Voyons ce qu'il convient de comprendre derrière les mots qui composent ce texte. «Je suis descendu pour voir», dit le Seigneur. Lorsqu'il adresse sa parole à Abraham, Dieu, nous dit-on, ne descend pas, mais il se tient debout au-dessus de lui; dès lors qu'il intervient à cause de péchés, il descend. Veillez bien à ne pas prendre les termes de «montée» et de «descente» au sens propre; cette interprétation ne conviendrait pas à un être incorporel et omniprésent. [PAGE 133] On dit de Dieu qu'il descend quand il consent à se pencher sur la faiblesse humaine. Voilà plus particulièrement ce qu'il nous faut comprendre au sujet du Seigneur notre Sauveur, qui «s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave» (Ph 2,7).
7. Mais revenons à ce qu'il dit. «Je suis descendu pour voir s'ils ont fait ou non ce qu'indique le cri, de sorte que je saurai.» Les païens nous attaquent généralement sur ce point-là, de même que les manichéens, ces êtres les plus impurs qui soient, qui affirment que le Dieu de la Loi ne savait pas ce qui se passait à Sodome. Quant à nous, nous faisons preuve d'une intelligence saine pour répondre que Dieu a la réputation de reconnaître les justes d'une certaine manière, et qu'il a reconnu les pécheurs d'une autre manière. Au fait, que dit-on à propos des justes? «Le Seigneur connaît les siens» (2 Tm 2,19). Et à propos des pécheurs? «Écartez- vous tous de moi, vous qui pratiquez l'iniquité, car jamais je ne vous ai connus» (Mt 7,29). L'Apôtre Paul ajoute: «Si quelqu'un croit être inspiré par le Seigneur, qu'il reconnaisse ce que je dis; s'il l'ignore, c'est que Dieu ne le reconnaît pas pour sien» (1 Co 14,37-38).
Que signifie donc ce «Je vous ignore, je ne vous connais pas»? Je ne vous reconnais pas dans ma règle, je ne retrouve pas mon image en vous. Ma justice reconnaît en vous ce qu'elle condamne, mais ma miséricorde ne retrouve pas ce qu'elle couronne. Ce sont donc ceux dont les actes sont indignes de Dieu qui sont également indignes de la reconnaissance de Dieu. «Je suis descendu pour voir», non pas pour savoir ce qu'ils font, mais pour rendre dignes de ma reconnaissance ceux que je trouverai justes, ceux qui se repentissent, ceux, en un mot, qui méritent que je les connaisse. Et finalement, comme il ne s'est trouvé personne qui se repentisse, personne qui se convertisse à l'exception de Loth, c'est lui seul que Dieu a reconnu, lui seul que la flamme a épargné.
Quant à nous, mes frères, tâchons de nous appliquer, unis[PAGE 134]sons nos efforts à l'aide de Dieu afin d'être jugés dignes d'être connus de Dieu, de sorte qu'il daigne nous reconnaître et nous sonder; par le Christ Jésus notre Seigneur, en qui règnent l'honneur et la gloire avec le Père et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.

[PAGE 135]

<-3. Abraham et son fils Isaac

Homélie 84, édition G. Morin, p. 345-348.

1. Ce texte, mes très chers frères, qui évoque le sacrifice par lequel le bienheureux Abraham a offert son fils Isaac, n'est pas lu comme il serait normal pendant le Carême, car, vous le savez, on le réserve à la veillée pascale à cause du sacrement du dimanche de la Passion. Comme nous n'aurons pas l'occasion à ce moment-là de le commenter, nous allons dès maintenant vous le présenter brièvement, si vous le voulez bien, tel que nos pères éclairés par Dieu nous l'ont exposé, et le soumettre autant que possible à votre sensibilité.

Abraham, figure du Dieu-Père

2. «Dieu dit à Abraham: Prends ton fils Isaac que tu chéris, et offre-le moi en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai. Abraham se leva aussitôt, sella son âne et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac, et il arriva le troisième jour à l'endroit que lui avait indiqué le Seigneur» (Gn 22,2-3). Quand il offrit son fils Isaac, Abraham représentait en fait Dieu le Père, tandis qu'Isaac figurait le Seigneur notre Sauveur. Par ailleurs, le fait qu'il parvint le troisième jour à l'endroit de l'immolation fait allusion au mystère de la Trinité. En effet, l'acceptation de ce troisième jour dans le sacrement comme dans le mystère de la Trinité se trouve fréquemment dans les ouvrages sacrés; dans l'Exode par exem[PAGE 136]ple: «C'est à trois jours de marche que nous irons dans le désert» (Ex 8,23). Et à nouveau lorsque le peuple arriva près du mont Sinaï, on lui dit: «Soyez sanctifiés, et tenez-vous prêts pour le troisième jour» (Gn 19,15). Avant de franchir le Jourdain, Josué intima également l'ordre au peuple de se tenir prêt le troisième jour (cf. Jos 1,11). Et notre Seigneur ressuscita le troisième jour. Ce sont autant de raisons pour lesquelles le bienheureux Abraham arriva le troisième jour à l'endroit que le Seigneur lui avait indiqué.

Isaac, figure du Christ

3. Les deux esclaves, à qui Abraham ordonna de rester avec l'âne, symbolisent le peuple juif, lui qui ne devait pas croire au Christ; aussi ne pouvait-ils ni monter ni même accéder à l'endroit où Isaac devait être immolé. Leur âne représentait la synagogue. Quant à ce bélier retenu par les cornes entre les ronces, on voit également en lui une représentation du Seigneur: en effet, l'image du Christ fixé aux bras de la croix par des clous n'est pas sans rappeler l'animal prisonnier de ses cornes dans les ronces. Et Isaac, en portant lui-même les morceaux de bois destinés à son immolation, figure encore le Christ notre Seigneur, lui qui a porté lui- même sa croix jusqu'au lieu de sa passion. Le prophète a abondamment parlé de ce mystère dans le passé: «Le pouvoir reposera sur ses épaules», dit-il (Is 9,5). Le Christ détenait effectivement le pouvoir sur ses épaules quand il portait sa croix avec une admirable humilité. Il n'est pas du tout incongru de voir dans la croix du Christ l'expression du pouvoir: c'est bien grâce à elle que le démon est vaincu et que le monde entier est rendu à la connaissance, ou plutôt à la grâce de Dieu. L'Apôtre évoquait de la même façon la passion du Seigneur: «Il fut obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom» (Ph 2,8-9). Nous vous avons [PAGE 137] donné tous ces exemples, frères, afin que votre cœur réalise bien que le pouvoir du Christ dont il est question dans le passage mentionné («… et son pouvoir reposera sur ses épaules») n'est rien d'autre que sa croix. Cela vous explique pourquoi cette lecture est faite le jour de Pâques, quand le véritable Isaac, auquel le fils d'Abraham a prêté ses traits, est attaché au gibet de la croix pour sauver l'humanité.

La foi d'Abraham

4. Au cours de cette lecture, nous apprenons que lorsque le bienheureux Abraham vint avec son fils, il vit de loin l'endroit indiqué et qu'il dit à ses serviteurs: «Asseyez-vous ici avec l'âne; moi et l'enfant, nous irons jusque là-bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous» (Gn 22,4). «Demeurez ici avec l'âne»: pourquoi dit-il cela aux serviteurs, qui représentaient le peuple juif? Cet âne pouvait-il donc s'asseoir, mes très chers frères? S'il est écrit «asseyez-vous avec l'âne», c'est parce que le peuple juif, qui n'était pas disposé à croire en le Christ, ne pouvait pas rester debout: il était pour ainsi dire impotent, pécheur sans force qui avait dédaigné le soutien de la croix et s'était effondré à terre.
Revenons aux paroles du bienheureux Abraham. «Asseyez-vous ici avec l'âne; moi et l'enfant, nous irons jusque là-bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous.» Que veux-tu dire au juste, bienheureux Abraham? Tu t'apprêtes à immoler ton fils, et tu annonces que tu reviendras avec lui? Mais si tu l'as offert en sacrifice, il ne pourra pas revenir avec toi!
Voilà ce qu'Abraham aurait pu répondre: je dis pourtant la vérité, j'offre mon fils en sacrifice, et je reviens vers vous avec lui, car ma foi est si grande, que je crois que Celui qui a bien voulu me le donner d'une mère stérile peut aussi le ramener à la vie s'il est mort. C'est la raison pour laquelle je dis bien: «lorsque nous aurons adoré, nous reviendrons vers vous».
[PAGE 138]

La route du calvaire

5. Que ce soit le bélier, et non Isaac qui soit immolé s'explique par le fait qu'Isaac était un symbole, non une réalité. Il annonçait en effet ce qui serait parachevé plus tard dans le Christ. Voyez à quel point Dieu utilise la piété dans sa lutte avec les hommes: Abraham offrit à Dieu son fils mortel qui allait cependant échapper à la mort, alors que Dieu livra à la mort son Fils immortel pour sauver les hommes. On peut encore prêter au bienheureux Isaac et à ce bélier une signification différente, selon laquelle Isaac représenterait la divinité, tandis que le bélier incarnerait l'aspect humain du Christ. Dans la mesure où l'on croit que c'est l'humanité du Christ et non sa divinité qui est crucifiée lors de la Passion, il est normal que ce soit non pas Isaac, mais le bélier qui soit immolé. De fait, c'est le fils unique de Dieu qui est offert, le premier-né d'une vierge qui est immolé.
Écoutez encore cet autre mystère. Jérôme, le bienheureux prêtre, écrivit qu'il tenait de vieux Juifs la certitude qu'Isaac a été offert en sacrifice à l'endroit précis où plus tard le Christ notre Seigneur fut crucifié. Depuis ce lieu où le bienheureux Abraham reçut l'ordre de partir, il faut effectivement trois jours de marche pour atteindre l'endroit où le Christ notre Seigneur a été crucifié. Par ailleurs, selon un autre récit d'Anciens, nous apprenons qu'Adam déjà aurait été enterré autrefois là où fut dressée la croix. Ce lieu est appelé calvaire parce que c'est là qu'est ensevelie, à ce qu'on dit, la première tête de l'espèce humaine. A vrai dire, frères, il n'y a rien d'insolite à voir un médecin se tenir, attentif, là où gisait son malade; il convenait donc également que la miséricorde divine s'inclinât là où avait succombé l'orgueil humain. C'est ainsi que l'on croit que ce sang précieux, tout en daignant imprégner réellement, goutte après goutte la poussière du pécheur originel, le rachète.
Nous avons réuni ces informations à partir de différents [PAGE 139] documents et dans la mesure de nos possibilités, très chers frères, dans l'espoir de faire progresser votre âme; nous les soumettons donc à votre méditation profonde. A dire vrai, je pense que vous pouvez même trouver de meilleures explications par vous-mêmes, avec l'aide de Dieu, à condition que vous relisiez régulièrement et avec la plus grande attention les Saintes Écritures.
6. Frères, je vous en prie, que celui qui désire que son fils ou son esclave soit baptisé ne tarde pas à le présenter à l'église; il n'est pas raisonnable, en effet, d'être négligent ou d'attendre plus qu'il ne convient pour se mettre en quête d'une chose que l'on croit si grande et si admirable. Pourtant, je le crains, certaines femmes présentent trop tardivement leurs petits enfants parce qu'elles négligent de venir avec eux aux veillées. Nous avons l'intime conviction que ceux qui, dès le début du Carême, ont bien voulu présenter les enfants à baptiser et sont venus régulièrement avec eux aux veillées, reçoivent tout normalement pour leurs fils le sacrement du baptême et acquièrent en plus, pour eux, la rémission de leurs péchés. Par Jésus-Christ notre Seigneur, en qui règnent l'honneur et la puissance, avec le Père et le Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.

[PAGE 140]

<-4. L'échelle de Jacob

Homélie 87, édition G. Morin, 357-361.

1. Le passage de la Sainte Écriture qu'on vient de nous lire, mes très chers frères, nous relate qu'Isaac, devant les supplications de la sainte Rebecca, fit venir son fils Jacob et lui enjoignit de partir en Mésopotamie et de s'y marier; celui-ci obéit à son père avec humilité, il partit donc et parvint, en cours de route, à un endroit où il s'endormit après avoir mis une pierre sous sa tête. En songe, il vit une échelle qui allait jusqu'au ciel; des anges de Dieu y montaient et y descendaient, et le Seigneur, s'appuyant à elle, lui disait: «Jacob, Jacob, n'aie pas peur, je suis avec toi et je serai ton compagnon de voyage.» En fait, mes très chers frères, quand le bienheureux Isaac dirigeait son fils vers la Mésopotamie, il prêtait ses traits à Dieu le Père, et Jacob représentait en réalité le Christ notre Seigneur. Le bienheureux Isaac, négligeant les femmes de sa région, envoya son fils prendre femme dans une contrée lointaine: car Dieu le Père s'apprêtait à envoyer son Fils unique pour rallier à lui les païens et former une communauté avec eux puisque les Juifs avaient repoussé sa parole. Cela nous est confirmé dans ces propos que les apôtres adressèrent aux Juifs: «C'est à vous d'abord qu'il fallait annoncer la parole de Dieu; puisque vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien nous nous tournons vers les païens» (Ac 13,46).
[PAGE 141]

Le bâton de Jacob et la croix

2. Que lisons-nous à propos du bienheureux Jacob? Il n'est pas parti avec des chevaux, des ânes ou des chameaux, mais simplement muni d'un bâton. Aussi dit-il au Seigneur dans une prière: «Seigneur, je ne suis pas à la hauteur de toutes les faveurs que tu as eues pour moi. Je n'avais que mon bâton pour passer le Jourdain que voici, et maintenant je rebrousse chemin avec deux camps» (Gn 32,10). Jacob présenta donc son bâton à la femme qu'il allait épouser; le Christ, lui, présenta le bois de sa croix à l'Église qu'il allait racheter.

Jacob s'endormit après avoir placé une pierre sous sa tête; il eut la vision d'une échelle qui allait jusqu'au ciel et sur laquelle s'appuyait le Seigneur. Voyez, mes frères, combien nous trouvons de mystères ici: Jacob incarne le Seigneur notre Sauveur; quant à la pierre qu'il met sous sa tête, elle ne désigne rien moins que le Christ notre Maître. Qu'est-ce qui nous fait penser que cette pierre représente le Christ? Écoutez l'Apôtre: «… parce que la tête de tout homme, c'est le Christ» (1 Co 11,3). Le bienheureux Jacob enfin répandit de l'huile sur cette même pierre. Remarquez bien ce qui est oint, et vous reconnaissez le Christ: la présence du Christ est traduite par l'onction, autrement dit, celui qui est oint est assimilé à l'onction.

Le Christ cosmique

3. Mais si l'on admet que Jacob dormant sur terre représentait le Seigneur, comment expliquer alors que le Seigneur se penchait du haut de l'échelle, dans le ciel? Comment le Christ notre Seigneur pouvait-il apparaître à la fois au sommet de l'échelle, dans le ciel, et en Jacob, sur terre? La présence du Christ sur terre et simultanément au ciel est évoquée par le Christ lui-même: écoutez plutôt: «Nul n'est monté au [PAGE 142] ciel hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'Homme qui est au ciel» (Jn 3,13). Remarquez bien que c'est le Seigneur lui-même qui a affirmé être à la fois sur terre et au ciel. Nous reconnaissons, mes très chers frères, que le Christ notre Seigneur est la tête de l'Église; or s'il est la tête de l'Église, il se trouve la tête au ciel, le corps sur terre. D'ailleurs, au moment où le bienheureux apôtre Paul persécutait l'Église, le Christ s'exclama du ciel: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?» (Ac 9,4). Il n'a pas dit: «Pourquoi persécutes-tu mes serviteurs» ni «pourquoi persécutes-tu mes membres», mais «pourquoi me persécutes-tu?». Le pied se trouve pour ainsi dire écrasé, alors c'est la bouche qui crie «tu m'as foulé aux pieds!», puisque la bouche ne peut être piétinée. Mais grâce à l'harmonie du cœur, la tête parle au nom de tous les membres. Revenons à Jacob il dormait et il voyait le Seigneur se pencher du haut de l'échelle. Que représente cette image du Seigneur se penchant sur l'échelle sinon qu'il pend sur la croix? Rappelez-vous qui a prié pour les Juifs alors qu'il pendait sur la croix, frères, et vous reconnaîtrez celui qui, appuyé à l'échelle, a interpellé Jacob du haut du ciel. Mais pourquoi cet événement a-t-il eu lieu en cours de route, avant que Jacob ne se soit marié? Parce que le véritable Jacob, notre Seigneur, succomba sur l'échelle – entendez sur la croix – avant de rallier à lui l'Église en Lui donnant dans un premier temps le gage de son sang pour ensuite lui faire don de son règne.

Le songe de Jacob

4. Soyez bien attentifs, et vous verrez la profondeur de cette double allégorie du Christ: Jacob endormi et le Seigneur appuyé à l'échelle. Notre Sauveur désignait en effet le bienheureux Jacob lorsqu'il parlait de Nathanaël: «Voici vraiment un Israélite sans détour» (Jn 1,47), dit-il, et plus loin «Dorénavant vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu [PAGE 143] monter et descendre au-dessus du Fils de l'Homme». Ce que Jacob avait vu en songe, le Seigneur le transposait à lui-même dans les évangiles. «Vous verrez, dit-il, le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'Homme.» Si des anges de Dieu descendaient vers son Fils, c'est qu'il était sur terre; pourquoi ces mêmes anges montaient-ils alors vers le Fils de l'Homme, si ce n'est parce qu'il était également au ciel? Ainsi donc une seule et même personne dormait en Jacob et interpelait celui-ci du haut du ciel.
5. «Cela leur arrivait pour servir d'exemple; cela a été écrit pour notre instruction, à nous qui touchons à la fin des temps», disait l'Apôtre (1 Co 10,11). Pour mieux comprendre encore comment les anges de Dieu montent au ciel vers le Fils de l'Homme et descendent sur terre vers ce même Fils, il faut que vous me prêtiez toute votre attention. Quand les disciples de Dieu prononcent à propos des Saintes Écritures des paroles nobles et profondes, susceptibles de n'être comprises que par les «parfaits», ils montent vers le Fils de l'Homme. Quand ils prônent de ces valeurs qui tendent à redresser les moeurs et que tout le monde peut comprendre, ils descendent vers le Fils de l'Homme. Ainsi, lorsque l'Apôtre dit: «C'est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, non d'une sagesse de ce monde ni des princes de ce monde, mais d'une sagesse mystérieuse, demeurée cachée, celle que dès avant les siècles Dieu a par avance destinée pour notre gloire» (1 Co 2,6-7). En prononçant ces paroles, l'Apôtre montait indéniablement vers le Fils de l'Homme. Par contre, lorsqu'il disait: «Fuyez la fornication» (1 Co 6,18) ou encore: «Ne vous enivrez pas de vin: on n'y trouve que libertinage» (Eph 5,18), lorsqu'il dénonçait que «la racine de tous les maux, c'est la cupidité» (1 Tm 6,10), il suggérait à travers ces paroles que l'ange de Dieu descendait vers le Fils de l'Homme. Quand par ailleurs il disait: «Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la terre» (Col 3,2), il montait, et lorsqu'il disait encore: «Soyez sobres, et ne péchez pas» (1 Co 15,24), lorsqu'il prônait bien d'autres valeurs destinées [PAGE 144] à corriger les moeurs, distillant le lait de la doctrine tout comme une nourrice le ferait avec des tout tout-petits, il descendait, puisqu'il parlait de sujets susceptibles d'être compris par des ignorants. Alternativement donc, on monte et on descend vers le Fils de l'Homme, au fur et à mesure que l'on dispense une nourriture dense aux parfaits sans pour autant refuser le lait de la doctrine aux plus petits. Le bienheureux Jean montait, lui aussi, quand il disait: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu» (Jn 1,1). Il montait suffisamment haut avec ces propos! Mais comme les anges de Dieu ne font pas que monter, mais qu'ils descendent également, il ajoute en s'adressant aux plus petits: «Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous» (Jn 1,14).

Conclusion

6. Nous allons à présent rappeler brièvement ce qui a été dit, afin que toutes ces idées que nous vous avons exposées puissent s'imprimer dans vos cœurs pleins de grâce.
Le bienheureux Isaac, qui fit partir son fils, représentait Dieu le Père, et Jacob, qui a été envoyé au loin, incarnait le Christ notre Seigneur. La pierre qu'il plaça sous sa tête et qu'il enduisit d'huile représentait elle aussi le Christ notre Sauveur. L'échelle qui allait jusqu'au ciel figurait la croix, et le Seigneur se penchant du haut de l'échelle évoquait évidemment le Christ crucifié. Les anges qui y montaient et y descendaient n'étaient autres que les apôtres, les prédicateurs et tous les doctes de l'Église: ils montaient lorsqu'ils prêchaient les valeurs spirituelles aux parfaits, ils descendaient lorsqu'ils suggéraient des idées simples aux petits enfants dans le Christ et aux ignorants. Quant à nous, frères, qui constatons que tout ce qui est évoqué dans l'Ancien Testament trouve confirmation dans le Nouveau Testament, nous rendons grâce à Dieu de tout notre cœur d'avoir daigné répondre de [PAGE 145] tant de choses pour nous bien que nous ne lui ayons donné aucun gage au préalable. Avec son aide, conjuguons toutes nos forces pour obtenir que ces faveurs si grandes et si belles nous mettent non seulement sur la voie de la réflexion, mais sur celle du progrès.
Pourquoi donc ne pas nous efforcer de vivre spirituellement et de toujours nous adonner à de bonnes actions, de sorte que devenus vertueux, tempérants, pleins de bonté et de piété, nous ne subissions pas le châtiment des impies et des pécheurs le jour du Jugement, mais que nous méritions d'accéder à la béatitude éternelle avec ceux qui vivent dans le respect de la justice et la crainte de Dieu. Dans la gloire de notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.

[PAGE 147]
POUR MIEUX TIRER PROFIT DE CE LIVRE

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<-IDÉES-FORCES QUI SE DÉGAGENT DES TEXTES

I. Jean Chrysostome et la Bible

Il ne faut pas perdre de vue que le prédicateur est à ses débuts. Il s'agit de sermons d'un nouveau prêtre, qui affirment avec une maîtrise certaine un exposé un peu livresque, trop fleuri.

1. Interprétation littérale

Chrysostome fait un commentaire littéral continu du récit de la création, qu'il s'agisse d'Adam qui nomme les animaux, III, 2 du serpent encore plus fortement, qui vient tenter Ève, ibid. où la littéralité est même appuyée, enfin, de la localisation du paradis. VII. Même littéralité dans l'interprétation de la création de la femme, pris d'«un fragment du corps» d'Adam. VI, 2.
Dans la sixième homélie, Chrysostome fournit une variante de traduction pour Genèse, 2,23: «Voici maintenant» ou bien – version que Jean a l'air de préférer – «Voici pour cette fois».

2. Interprétation typologique et figurée

Chrysostome n'ignore pas le fondement scripturaire de la typologie. Comme toute la tradition, il voit dans l'arche de Noé la figure de l'Église. I, 2. Il faut se garder des simplifications.
«L'image et la ressemblance» ne prête pas aux spéculations théologiques comme chez les Cappadociens. Mais Chrysostome ne les ignore pas, elles semblent acquises, en VI, 1. Dans II, 2, il voit simplement dans l'image et la ressemblance «la domination» de l'homme sur la création. Le pluriel «Faisons» s'adresse au Fils.[PAGE 150]

3. Utilisation de la Bible

Jean est à l'aise dans l'Écriture. Ce qui lui permet de faire des rapprochements assez surprenants, comme la Genèse avec Paul et Jean, I, 2; plus loin, Genèse et bon larron, grâce au thème du paradis, VII, 4.

4. L'Écriture manifeste la condescendance du Dieu sauveur

Le thème de la condescendance de Dieu que B. de Margerie. Introduction…, p. 216-225, affirme caractériser Jean Chrysostome apparait déjà ici, surtout au début de la première homélie, I, 2 à propos des premières générations, Adam, Caïn, Noé, Abraham. Le mot technique revient plus loin, II, 2, à propos de la création de l'homme. Cette condescendance exprime la grande philanthropie de Dieu.

5. Bible et vie chrétienne

Jean ne se contente pas de citer abondamment l'Écriture (cf. Index biblique à la fin du volume), il l'établit comme norme et référence ici, VII, 2. Elle est l'expression de la volonté de Dieu et donc guide et éclairage pour le fidèle (VII, I). Nous trouvons un beau développement sur la Bible (III, 1), sur la lecture biblique en famille, sur les deux tables, celle de la nourriture terrestre et du pain du ciel. VII, 5, et 1, sur la manière de recevoir efficacement la parole de Dieu. VII, 5.
L'Écriture donne également réponse aux objections des adversaires, particulièrement des Manichéens, qui culpabilisent la matière et nient la résurrection des corps. I, 4; VI, 2. Nous retrouvons les mêmes manichéens toujours agissants chez Césaire, homélie 83,7.

[PAGE 151]

II. La création dans la Genèse (Gn 1,3)

1. La création, œuvre d'amour

La création est la manifestation de la bonté de Dieu, particulièrement à l'endroit de l'homme, II, 2; IV, I. Cette bonté ne lui fait jamais défaut quelles que soient les vicissitudes de l'histoire et la réponse de l'homme. III, 2. Le péché lui-même modifie l'homme mais non pas Dieu ni son attitude fondamentale de bienveillance IV, I. Dieu donne toujours par grâce, il récompense par munificence, comme le montre le récit du bon larron, VII qui n'apporte que sa foi.
Dans le même mouvement, Dieu donne son Fils, ajoute Césaire d'Arles comme le prophétise le sacrifice d'Isaac. Césaire, 84,2. Il faut souligner la tradition (légendaire) selon laquelle Isaac est immolé sur le lieu du calvaire et de la sépulture d'Adam.
Jean semble soucieux avant tout d'affirmer l'entière dépendance de Dieu de l'œuvre créée vis-à-vis du Créateur. Il affirme le fait sans s'étendre sur le comment. Sur le quand?
La création, la matière sont bonnes. Rien ne permet de les culpabiliser. Jean s'oppose ici violemment au dualisme manichéen, qui culpabilisait la matière et le corps. Ce dernier est appelé à la résurrection. I,2; VII, 4. Jean n'est visiblement pas marqué par le platonisme ici.

2. Pédagogie de Dieu

Dieu s'adapte aux conditions de l'histoire. Il est encore familier avec les premières générations, les primitifs, non seulement Adam [PAGE 152] et Ève mais encore avec Caïn et Noé. I, 2. Il s'adapte également aux idées grossières du peuple juif. I, 2.
La loi des progressions est nettement mise en relief pour l'histoire, comme pour les personnes, I, 2-3. Même progression dans la création décrite par la Genèse et celle de saint Paul I, 2. Les conséquences du péché – la perte des privilèges – elles-mêmes ont une valeur médicinale qui permettent à l'homme de se relever. III, 2.

3. La grandeur de l'homme

La vision optimiste de l'homme, au sommet de la création, est affirmée, sans jamais verser dans l'excès du surhomme. L'homme participe à l'autorité de Dieu, II, 2.
Même si le péché est un désordre, l'homme demeure capable de redressement. Il lui suffit de faire non-usage de sa liberté. Il peut soit aggraver soit redresser la situation, pour lui et pour les autres.V, 1. On notera la grande différence de conception avec Augustin.
Jean distingue la connaissance théorique de l'expérience. Même mal utilisée, «la connaissance du bien et du mal» a l'avantage d'«ouvrir les yeux». VII, 3. Et cette expérience à son tour peut devenir bénéfique. VII, 5. «L'occasion de la chute devant rend grande la science dans l'esprit de l'homme.»

4. Le Tentateur

Jean ne développe pas la scène de la tentation et le tentateur est assez estompé. Le prêtre d'Antioche est trop littéraliste pour dépasser l'image du serpent et bien cerner sa responsabilité dans la chute, III, 2. S'il parle dans un autre contexte, paulinien, de Satan, c'est surtout pour souligner la victoire du Christ, V, 3. Césaire revient sur le Démon dans le développement du baptême et en montre la menace permanente. [PAGE 153]

5. Le sens chrétien du péché

Si le péché occupe une place importante dans l'exposé, il n'envahit pas tout, il ne présente pas comme le désastre irréparable provoqué par Adam pour toute sa postérité, comme le présente Augustin. Accident de parcours, il n'entrave ni la marche ni la possibilité de redressement, V, 2.
Jean présente le péché avant tout comme une désobéissance, un refus de l'ordre de Dieu, III, 1. Le péché lui-même ne modifie en tout cas pas l'attitude de Dieu à l'endroit des hommes. Il n'est pas question de «courroux». Dieu continue à veiller sur l'homme et à le soutenir. III, 2.
Le péché est aussi servitude. Porteur du commandement, l'homme subit l'esclavage. Le désordre établi se manifeste dans les rapports de l'homme et de la femme, entre parents et enfants, entre chefs et sujets. IV, 1-2. La vertu au sens fort d'utilisation correcte des ressources au service de Dieu rend à l'homme sa royauté, le fait plus roi que les rois. V, 2.

6. Image et ressemblance (II, 2, V, 1)

L'explication de Jean diffère de celle des autres Pères surtout grecs, quant à l'image et à la ressemblance. Il suffira de comparer son explication avec celle de Grégoire de Nysse, De la création de l'homme.
Le pluriel «Faisons» ne s'adresse pas à la Trinité comme le disaient Théophile et Irénée, mais à la personne du Fils. II, 2. Le rapport image-ressemblance lui aussi est diversement interprété ici. «L'image» exprime le pouvoir de l'homme, la «ressemblance» la douceur et la bonté. III, 1. Nous ne trouvons pas de construction théologique comparable à celle des Cappadociens.

[PAGE 154]

7. L'homme et la femme

La position de Jean sur le rapport masculin-féminin, sur le mariage, est paradoxal, comme en maint autre texte de la suite. Dans cette œuvre de jeunesse se dessine déjà la pensée à la fois nuancée et parfois déroutante de Jean.
La femme est à la fois l'égale et la complémentaire de l'homme. Et pourtant sur elle semble peser plus lourdement le péché, par l'exercice de l'autorité maritale, qui l'asservit V, 1.
En revanche, l'obéissance à Dieu rend à la femme sa dignité. Ce qui est plus particulièrement visible dans le foyer chrétien dont Jean donne une description enthousiaste. VI, 2. A cette occasion il le compare à une «petite église», expression qui fera fortune au cours de l'histoire et qui a été reprise par les textes de Vatican II.

8. Les œuvres du chrétien

Le cadre liturgique explique l'insistance sur les œuvres de bienfaisance dont l'expérience diaconale a donné un sens aigu à Chrysostome. Les œuvres principales sont le jeûne, I, 1; VI, 1 et l'aumône I, 4; 11, 1; V, 3; VII, 5. Césaire de son côté parle de devoir d'hospitalité, 83,3.
Joie et bienfaits de l'assemblée liturgique sont ici évoqués (cf. notre Introduction). On notera le parallélisme entre la création de l'homme et le baptême, VII, 5. Pour restaurer l'homme, Dieu recourt à «l'eau et à l'Esprit», qui lui ouvrent le royaume. Voir aussi, Césaire, 81,1.

[PAGE 155]

III. D'Abraham à l'échelle de Jacob, Gn 12; 15; 18; 22; 28

Abraham

Le personnage d'Abraham fournit à Césaire d'Arles divers thèmes de réflexion, qui ne lui sont d'ailleurs pas propres mais communs à la tradition patristique.
- Sortie de la terre d'Ur et démarche parallèle du baptisé. Arrachement au démon et à ses sortilèges, qui continuent à menacer la vie chrétienne. 81,4.
- La visite des anges est une prophétie trinitaire. La prophétie annonce la venue du Christ. 83,5.
- Le sacrifice d'Isaac est développé dans la ligne d'Origène, comme une prophétie du Christ à venir. Abraham est la figure du Père, qui offre son Fils, comme chez Ambroise. On notera également le parallèle entre le sacrifice d'Isaac, la mort du Christ et le personnage d'Adam. 84,5. La Genèse comme nous l'avons vu s'achève dans l'économie de l'incarnation salvifique.

L'échelle de Jacob

Césaire dans la ligne de la tradition patristique nous fournit une lecture christologique de l'échelle de Jacob. Isaac est la figure du Père, Jacob celle du Fils. 87,1. Parallèle entre le bâton de Jacob et la croix du Christ, comme chez saint Augustin. L'échelle figure la médiation du Christ entre le ciel et la terre. Césaire dépend ici fortement de l'enseignement d'Augustin d'Hippone.

[PAGE 156] <-GUIDE BIBLIOGRAPHIQUE

La Genèse

Pour des débutants, l'introduction au Pentateuque de la Bible de Jérusalem [ou de la Traduction Oecuménique de la Bible], fournira l'essentiel.
[bibliographie du P. Hamman, à actualiser]:
J. BRIEND, Une lecture du Pentateuque. Cahiers «Évangile» 15.
J. DANIÉLOU, Au commencement (Genèse, 1-1 1), Paris, 1963. (Grand public.)
J. DE FRAINE, La Bible et l'origine de l'homme, Paris, 1961.
J. DE FRAINE, Adam et son lignage. Paris, 1959. (Assez technique.)
C. HAURET, Origine de l'univers et de l'homme d'après la Bible. Luçon, 1950.
G. VON RAD, La Genèse, Labor et Fides, Genève, 1968. Traduit de l'allemand. Écrit pour le grand public cultivé.

Jean Chrysostome

[En plus de l'édition de L. BROTTIER, Sources Chrétiennes 433, on consultera avec profit deux ouvrages principaux:
R. BRÄNDLE, Jean Chrysostome (349-407), «Saint Jean Bouche d'or». Christianisme et politique au IVe siècle, Cerf, Paris, 2003.
L. BROTTIER, L'appel des «demi-chrétiens» à la «vie angélique». Jean Chrysostome prédicateur: entre idéal monastique et réalité mondaine, Cerf, Paris, 2005.
Pour d'autres traductions de Jean Chrysostome dans les Pères dans la foi, voir La conversion (PdF 8), L'Eucharistie, école de vie (PdF 99)]

[Bibliographie donnée par A.-G. Hamman:]
D. ATTWATTER, Bouche d'or, voix de l'Église, Paris, 1961. (Biographie assez générale de Jean.)
L. DALOZ, Le travail selon saint Jean Chrysostome, Paris, 1959. (Thèse de théologie d'un archevêque de Besançon.)
A. J. FESTUGIÉRE, Antioche païenne et chrétienne Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie. Paris, 1959. (Œuvre minutieuse d'érudition.)
[PAGE 157]
R. LECOMTE, Saint Jean Chrysostome, exégète syrien. Paris, 1942. (Thèse de théologie de l'Institut catholique.) Polycopié.
L. MEYER, Saint Jean Chrysostome, maître de perfection chrétienne. Paris, 1934 (Jean comme maître spirituel. Très accessible.)
A. MOULARD, Jean Chrysostome. Sa vie, son œuvre, Paris, 1949. (Bonne présentation, fortement documentée.)
B. VANDERBERGHE, Saint Jean Chrysostome et la parole de Dieu. Paris, 1961. (Traite, malgré le titre, assez peu de l'Écriture.)
En collaboration, Jean Chrysostome et Augustin, Paris, 1975. (Quelques bonnes contributions sur certains aspects de Jean.)

[Pour une bibliographie sur Césaire d'Arles, voir J. Courreau, Sources Chrétiennes 447 et les autres volumes de Césaire aux Sources Chrétiennes: Sermons au peuple, Sources Chrétiennes 175, 243 et 330; Œuvres monastiques, Sources Chrétiennes 345 et 398.
Pour d'autres traductions de Césaire dans les Pères dans la foi, voir notamment L'Apocalypse (PdF 37)]

[PAGE 158]
<-INDEX SCRIPTURAIRE DE JEAN CHRYSOSTOME

Genèse (Gn)
1,1: 1,5; 1,6; 1,7; 2,1
1,2: 1,8
1,3: 2,1
1,26: 2,1; 2,2; 2,3; 3,3; 4,1; 4,2; 6,4
2,16: 8,3
2,17: 7,15
2,18: 4,2
2,19: 3,3; 4,2; 6,5
2,20: 4,2; 5,7
2,23: 6,5
2,24: 6,5
3,5: 7,5
3,9-19: 1,4
3,15: 5,8
3,16: 4,3; 5,4
3,19: 3,4
4,8: 7,7
4,9: 7,7
4,9-15: 1,4
4,12: 7,8
6,13-9,17: 1,4
9,20-25: 4,4
9,20-27: 5,2
18,1-14: 1,4
21,22-23: 7,9
26,19-22: 7,9
32,2-3: 7,9

Exode (Ex)
20,12: 4,7
21,17: 4,7

Job (Jb)
1,9-10: 5,6

Psaumes (Ps)
118,103: 7,6; 8,7
118,105: 8,4
147,12-14: 8,5
147,19-20: 8,5
147,20: 8,5
148,1.2.5: 1,5

Proverbes (Pr)
1,8: 1,2
6,23: 8,4
27,6: 4,6

Sagesse (Sg)
9,14: 1,7

Siracide (Si)
3,7: 4,7
[PAGE 159]
3,10: 4,4
7,28: 4,7

Isaïe (Is)
1,16: 1,4
1,18: 1,4
6,1-2: 2,3
8,20: 8,4
9,6: 2,3
43,26: 1,4
64,3 (1 Co 2,9): 1,9

Jérémie (Jr)
2,13: 7,6

Baruch (Ba)
3,10.12: 8,5
3,22-23: 8,5
3,29: 8,5
3,33-34: 8,5

Daniel (Da)
2,27-28: 5,6
3: 5,5
3,14: 5,6
3,16: 5,6
3,17: 5,6
3,18: 5,6
6,17-25: 5,7

Michée (Mi)
6,8: 7,6

Habaquq (Ha)
1,13-14: 4,5

Matthieu (Mt)
4,17: 7,14
5,16: 1,8
5,43-48: 3,2
6,33: 6,7
7,21: 2,5
11,18: 7,11
18,20: 6,2
25,14-30: 7,3
25,21: 7,3
25,23: 7,3
25,34-36: 5,9
25,35: 7,16; 8,7

Luc (Lc)
10,19: 5,8
16,19-37: 5,13
21,2: 1,9
23,42: 7,11
23,43: 7,11; 7,12; 7,15

Jean (Jn)
1,3: 1,5
1,29: 7,10
3,4-5: 7,14
3,18: 7,15
5,24: 7,15
5,46: 2,3
8,44: 7,5

Actes (Ac)
17,24: 1,5
17,29: 2,4
20,7-12: 4,6
28,1-6: 5,7

[PAGE 160]

Romains (Rm)
2,17: 8,4
3,1: 8,5
5,11: 8,6
5,15: 7,10
5,16: 7,10
5,20: 7,10
13,1: 4,5
13,4: 4,5
16,20: 5,8

Première aux Corinthiens (1 Co)
2,9: 1,9; 7,14
7,13: 5,4
7,16: 5,4
7,21: 5,5
7,22: 5,5
11,7.10: 2,4
15,53: 7,13

Seconde aux Corinthiens (2 Co)
5,10: 7,13

Ephésiens (Ep)
2,6: 5,2
5,25: 4,3
5,33: 4,3

Colossiens (Col)
1,16: 1,5

Première aux Thessaloniciens (1 Th)
4,15: 8,6

Première à Timothée (1 Tm)
1,9: 4,5
2,11: 4,3
2,12: 4,3; 5,4
2,14: 5,4

Hébreux (He)
1,1-2: 8,6
11,13: 7,15
11,40: 7,15

[PAGE 161]

INDEX BIBLIQUE DE CÉSAIRE D'ARLES

Les chiffres renvoient aux numéros des homélies de l'édition G. Morin, [S. Caesarii opera omnia I, Maredsous, 1937].

Genèse (Gn)
12,1: 81
18,1-2.3.4: 83
18,6-7: 83
18,20-21: 83
19,3: 81
19,15: 84
22,4: 84
27,27: 81
32,10: 87

Exode (Ex)
8,23: 84
34,12: 81

Josué (Jos)
1,11: 84

Psaumes (Ps)
26,13: 81
44,11: 81

Isaïe (Is)
9,5: 84
10,14-15: 83
12,43-45: 81
25,35: 83

Matthieu (Mt)
7,29: 83

Jean (Jn)
1,1.14: 87
1,47: 87
3,13: 87
5,14: 81
8,44: 81

Actes (Ac)
9,14: 87
13,46: 87

1 Corinthiens (1 Co)
6,18: 87
10,11: 81.87
11,13: 87
14,37-38: 83
15,24: 87

2 Corinthiens (2 Co)
3,6: 83

[PAGE 162]

Colossiens (Col)
3,2: 87

Ephésiens (Ep)
5,18: 87

Philippiens (Ph)
2,7: 83
2,8-9: 84

1 Timothée (1 Tm)
6,10: 87 2

2 Timothée (2 Tm)
2,19: 83

NOTES

[1] Les homélies 1 à 4 sont traduites par Patrice Soler. Les homélies 5 à 8 sont traduites par Danielle Ellul.

[2] [note 2 page 31] «La vie parfaite» traduit le grec philosophia, dont l'utilisation par les Pères a été étudiée par A.-M. Malingrey dans Philosophia. Étude d'un groupe de mots dans la littérature grecque, des présocratiques au IVe siècle après J.-C., Paris, 1961.

[3] [n. 3 p. 31-32] Le prédicateur joue sur les acceptions du terme grec charis, qui a désigné la grâce, chez les chrétiens, mais dans la mythologie et la poésie lyrique s'applique à trois divinités, trois soeurs, de la suite d'Apollon, qui inspirent le chant, la danse, et versent la vivante et profonde joie, l'allégresse qui dilate les forces de l'homme. Les «Grâces» sont en même temps divinités des eaux fécondantes, de la vie jaillissante de la végétation.

[4] [n. 4 p. 32-33] Les manichéens sont ainsi discrédités car le prédicateur en fait des analogues des magiciens, comme le célèbre Médée de la légende, capable d'attirer la lune sur la terre, de faire refluer les fleuves jusqu'à leur source, et de bouleverser l'ordre naturel. Cet arrière-plan ne devait pas échapper aux auditeurs.

[5][n. 5 p. 35-36] Sur le souci pédagogique très marqué de Paul devant les Athéniens, cf. le commentaire détaillé des Actes 17,22-30 par E. des Places, La religion grecque, Paris, Picard, 1969, p. 329-361. Cf. aussi A.-J. FestugiEre, Le sage et le saint, coll. «Foi vivante», n° 160, p. 7-21.

[6] [n. 6 p. 36] Il s'agit, en fait, de l'épître aux Colossiens.

[7] [n. 7 p. 39] Valentin, Marcion, hérétiques gnostiques n'admettaient pas que la création était l'œuvre de Dieu, mais d'un intermédiaire appelé démiurge.

[8] [n. 8 p. 40] Le terme grec dêmiourgos signifie à la fois «artisan» et, de façon seconde, «créateur». Par là, il pouvait amener à une représentation anthropomorphique du Dieu créateur, opérant, comme le potier ou l'orfèvre, à partir d'un matériau préexistant. On n'oubliera pas, la lecture d'Homère étant chose banale, au 4e siècle aussi bien, que ce mot pouvait renvoyer, pour la partie cultivée de l'auditoire, à un aspect plus prestigieux du démiurge aux origines, le mot s'appliquant aux devins, aux poètes-conteurs, aux hérauts qui font les proclamations, et se trouvant cette fois moins inadéquat pour représenter Dieu créant le monde par sa parole.

[9] [n. 9 p. 41] Le rapport de la citation de Matthieu à la phrase précédente n'est pas clair. Y a-t-il cu intervention intempestive d'un copiste dans la transmission du texte? Le prédicateur semble inviter les chrétiens à porter sur la Création un regard qui soit témoignage, aux yeux du monde, de la reconnaissance pour la façon dont Dieu a «meublé» la terre pour l'homme.

[10] [n. 10 p. 42] Les sycophantes vivaient traditionnellement des sommes extorquées par le chantage et la calomnie.

[11] [n. 11 p. 42] Comment ne pas songer ici au pari pascalien? A l'incrédule qui accepterait, après tout, le tableau que Pascal propose de la condition humaine, et qui est habitué à jouer dans les salons, il faut inspirer le désir de franchir le pas et d'en tirer les conséquences pratiques, et intérieures, en parlant un langage décisif, celui du gain et de la perte. Pascal, Pensées, éd. «Folio», t. II, fragment 397.

[12] [n. 1 p. 44-45] Un lecteur d'aujourd'hui peut s'étonner de cette comparaison complaisamment développée avec les compétitions du stade. C'est un fait de civilisation, et doublement: à l'époque de Jean Chrysostome le prestige des jeux sportifs et la part de l'entraînement sportif dans la formation du jeune homme restent grands, autant qu'au premier siècle, quand saint Paul se comparaît lui aussi à un athlète; d'autre part, la formation littéraire (rhétorique) du prédicateur explique l'hypertrophie des comparaisons développées dans ses homélies, qui devait répondre aussi à une demande implicite de l'auditoire, préparé de la sorte à suivre l'exégèse minutieuse formant l'essentiel de l'homélie.

[13] [n. 2 p. 47] Le terme grec désigne le trésor. N'est-ce pas ici une référence au livre scellé de sept sceaux dans l'Apocalypse (5,1-10), que seul l'Agneau immolé est capable de déchiffrer? En Jésus-Christ, qui est la clé, sont récapitulés tous les livres d'Israël.

[14] [n. 1 p. 55] Le lecteur moderne peut être surpris du caractère très didactique, parfois répétitif, de l'argumentation. Cc délayage s'explique par la mode rhétorique du temps, l'apprentissage de l'éloquence comportant des exercices de comparaison systématique, en particulier, et une habitude de l'argumentation excessivement subtile. Il s'explique aussi par la ferveur pédagogique de Jean Chrysostome, son émerveillement inentamable devant la luminosité de l'Écriture.

[15] [n. 1 p. 61] En réalité, il s'agit de l'Épître aux Ephésiens.

[16] [n. 1 p. 81] Jean Chrysostome fait sans doute ici allusion aux réprimandes formulées la veille: son jugement n'entame en rien son amour.

[17] [n. 2 p. 81] Nous transcrivons ici le terme grec qui est sans équivalent français. Les Anciens l'employaient pour désigner la réunion du peuple des diverses cités grecques pour célébrer une fète autour d'un sanctuaire commun (cf. en particulier les jeux panhelléniques d'Olympie). Jean Chrysostome veut souligner ainsi trois aspects de la communauté ecclésiale: son caractère universel, son rôle réconciliateur (les pèlerins grecs étaient, pendant les cérémonies, protégés par une trêve sacrée), et son aspect joyeux.

[18] [n. 3 p. 84] Les Scythes de l'imaginaire grec ne sont pas tout à fait ceux de l'archéologie… Ce sont des nomades qui vivent dans des lieux solitaires et sauvages, aux confins du monde, en marge de toute civilisation. Quant au second terme, il n'existe à l'origine que dans l'opposition du grec au barbare: le citoyen grec est un hoplite, c'est-à-dire un homme qui combat avec la lance et le bouclier tandis que le Barbare, qui combat avec l'arc et souvent à cheval (cf. en particulier le Perse) est considéré comme un homme «sans armes», un anti-hoplite, un non-citoyen.

Jean Chrysostome reprend ici l'opposition du citoyen grec et du barbare en lui donnant un contenu nouveau: le chrétien, membre de l'église, citoyen du Royaume, est opposé aux païens.

[19] [n. 4 p. 85] La première traduction mentionnée est celle des LXX, la seconde est celle de Symmaque ou celle de Théodotion, qui ont tous deux traduit l'A.T., en grec, à la fin du IIe siècle de notre ère. Nous ne connaissons ces deux traductions que par les allusions qu'y font certains Pères de l'Église (en particulier Irénée, Jérôme, Épiphane) et par les fragments qui nous ont été conservés par les Hexaples d'Origène, eux-mêmes très mutilés.

[20] [n. 5 p. 85-86] Cette citation n'est pas compréhensible sans un recours à l'hébreu: pour exprimer à la fois l'unité fondamentale de l'homme et de la femme et la diversité des sexes, l'hébreu nomme la femme ishshâh, nom dérivé de ish, l'homme mâle.

[21] [n. 1 p. 102] Le texte grec de 2 Co 5,10b est peu sûr et contient des tournures qui ne sont pas très claires… Jean Chrysostome cite ici une leçon qui n'est attestée qu'une fois dans les différents manuscrits grecs du Nouveau Testament, mais qui est reprise dans la traduction latine de la Vulgate.

[22] [n. 1 p. 107] Les bateaux étaient manœuvrés par un (ou plusieurs) simple aviron très long, fixé à l'arrière du bateau. Le bras de levier ainsi obtenu exigeait un effort énorme pour diriger le bateau. Si les timoniers étaient peu nombreux, ils ne pouvaient obtenir un bon résultat et le bateau, stoppé par les vagues qu'il évitait mal, nécessitait des efforts décuplés de la part des rameurs.