PdF_026-027 : Les Psaumes commentés par les Pères
PL 9, 667-673. Traduction et notes d'A.-G. Hamman

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L'ascension du psalmiste
1. L'inscription du psaume (Chant des degrés) se réalisé dans les faits : le chant fait monter par degrés, des humbles départs jusqu'aux hauteurs. Le premier psaume des degrés est un cri de détresse vers le Seigneur. Puis le psalmiste lève les yeux, scrute la montagne, pour voir d'où lui viendra le secours. Celui qui lève ainsi les yeux et cherche d'où vient le secours connaît la doctrine des prophètes ; ces paroles le mettent donc en joie.
II prend maintenant connaissance des principes de la doctrine ; et le chant du prophète rythme sa montée :
« Vers toi j'ai levé mes yeux,
vers toi qui trônes dans les cieux. »
La vision progressive de Dieu qui se découvre à ceux qui le cherchent ressemble à une lumière discrète et mesurée, qui par intervalles met fin à une longue cecité et nous prépare à voir la lumière dans tout son éclat. Invoqué dans l'épreuve, cherché par les prophètes, Dieu, par les paroles des prophètes, nous apporte la joie. Il nous faut à présent contempler avec confiance des yeux de la foi celui qui habite les cieux.


Le Fils et le ciel visible
2. Le ciel perceptible à nos yeux de chair, cet éther affermi que nous appelons firmament, passera et cessera d'exister. Le « trône de Dieu » au contraire demeure à jamais. Il est nécessaire que la demeure soit digne de celui qui l'habite : le Dieu infini et incorruptible ne peut habiter en un lieu périssable : nous croyons que Dieu habite le Ciel.

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Mais quelle est cette demeure ? C'est celui qui a dit : « Le Père est en moi et moi je suis dans le Père » (Jn 10, 38), « le Père et moi ne faisons qu'un » (Jn 10, 30). C'est celui dont l'Apôtre a dit : « Dieu s'est réconcilié le monde dans le Christ » (2 Co 5, 19). Il s'agit ici de son fils digne et authentique en lequel le Père habite par la vertu d'une même nature. Aucune différence de nature ne sépare le Fils du Père dont il est né. Mais nous ne parlons pas aujourd'hui de l'indissoluble puissance du Père et du fils. Nous confessons que le Dieu né de Dieu n'est pas par nature séparable de celui qui lui donne naissance. Et le Dieu inengendré qui engendre le Dieu qui est son Fils unique, demeure en ce dernier par l'acte même de son engendrement. Sur lui repose toute notre espérance de connaître Dieu dans son Fils unique. Quant au Dieu incréé, il n'est pas d'être assez sot pour regarder le ciel sans reconnaître que Dieu existe. Oui, Dieu habite le ciel qui est la digne demeure de sa divine majesté.


Par le Christ, Dieu demeure parmi nous
3. Il existe une autre demeure choisie par Dieu et qui lui est agréable ; d'elle il est écrit : « J'habiterai en eux et je m'y proménerai. Vous êtes le temple de Dieu et l'Esprit de Dieu habite en vous » (2 Co 6, 16). Le même Apôtre encore : « Tel le terrestre, tels aussi les terrestres, tel le céleste, tels aussi les célestes » (1 Co 15, 48). Le céleste désigne le second Adam. Il est céleste parce que le Verbe s'est fait chair et son humanité est née de l'Esprit et de Dieu. Il est Verbe, non pas simple et vaine parole, mais Dieu Verbe. Sa substance n'est pas dissemblable ni différente. Dans le Verbe de Dieu même, il est Dieu. Le ciel que Dieu habite est celui qui est de lui et à lui. Par lui il habite dans les êtres célestes, comme lui-même le dit à son Père : « Que tous soient un, moi en eux et toi en moi » (Jn 17, 21, 23). Si nous avons été « limon » en Adam, nous sommes maintenant « ciel » dans le Christ, et le Christ habite en nous. Par la présence du Christ en nous, Dieu habite également en nous, le Christ fait habiter Dieu en nous.

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Nous n'excluons pas les représentations communes
4. Le sens commun se représente le ciel où habite Dieu au-delà du firmarnent. Nous n'excluons pas cette opinion commune concernant la demeure de Dieu, qui imagine le ciel comme le trône de Dieu. Mais nous croyons que le ciel signifie également la demeure digne de Dieu établie dans le Christ, l'Adam céleste. Sachons que Dieu habite ce ciel et que l'Adam céleste, il habite aussi en tous ceux qu'en lui, il a rendus célestes.


Il ne faut pas distraire l'esprit de la recherche de Dieu
5. Il importe donc que ceux qui ont levé les yeux vers Dieu ne les abaissent et ne les détournent plus, car il est écrit dans l'Évangile : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au royaume de Dieu » (Lc 9, 62).
Il nous faut quitter les temples, les autels, repousser l'amour de fargent, les séductions de la chair et les vices les plus secrets, pour contempler inlassablement et sans répit le Seigneur. Les païens, aveuglés par leurs égarements avec une persistance obstinée ont été prisonniers de leurs fausses religions, au point de ne pouvoir s'arracher à leurs superstitions par la seule lumière de la vérité, et de servir une foule d'idoles qu'ils ont osé appeler dieux. Et si l'âme des pécheurs, enlisés dans la boue des vices, sert avec ce zèle aveugle le corps, en qui elle reconnaît son maître, avec combien plus de raison, nous qui connaissons le Dieu créateur du ciel et de la terre, et savons qu'il a le pouvoir de tirer l'homme, vivant, de la boue inerte et le pouvoir, au-delà de la mort, de lui faire partager son éternité, ne devons-nous pas l'honorer, sans jamais en détourner nos yeux, sans aucune défaillance de notre foi, mais en veillant avec acharnement à ne jamais dévier de cette foi !


Que signifient « les yeux de la servante ?
6. Le prophète nous apprend à fixer sans cesse les yeux de notre esprit sur Dieu, lorsqu'il dit :
« Voici que tels les yeux des serviteurs,
vers la main de leurs maitres,
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tels les yeux de la servante
vers la main de sa dame,
ainsi nos yeux vers le Seigneur, notre Dieu,
jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous. »
Le prophète recourt à une comparaison. Les yeux de la foi sont fixés sur Dieu comme ceux des esclaves sur la main de leurs maîtres. Le serviteur fidèle est préoccupé d'accomplir en tout la volonté de son Maître. Il a sans cesse les yeux fixés sur lui. S'il s'agissait ici de serviteurs et de maîtres humains, on aurait dit que les yeux des serviteurs sont fixés sur le regard, la parole, la présence des maîtres, qui, d'un signe, commandent, ou d'un mot.
Mais les « mains » expriment souvent les œuvres dans l'Ecriture. Il en est qui en sont les serviteurs ni des hommes ni de Dieu, mais les serviteurs du péché, selon la parole du Seigneur : « Tous ceux qui commettent le péché sont esclaves du péché » (Jn 8, 34). Ceux-là sont aussi esclaves de forfaits spirituels, insultes aux êtres célestes : leurs yeux sont fixés sur les délices et les mirages des vices, qui sont comme les mains de leurs maîtres. Les mains désignent ici les œuvres diaboliques des dieux païens : goinfrerie, oisiveté, luxe, sensualité, orgueil, avarice, ambition. Ceux-là ont les yeux fixés sur des œuvres qui asservissent leur volonté. Les diverses divinités sont autant de maîtres ; chacun cherche la religion à son niveau et à son goût.


Dieu est un
7. Quant à nous, nous n'avons qu'un seul Dieu, sans pour autant nier son unité avec notre Seigneur Jésus-Christ, qui est Dieu. Nous suivons la loi et les prophètes, les évangiles et les apôtres et nous confessions dans la foi et la vérité l'unité du Dieu inengendré et du Dieu engendré. De fait, jamais les prophètes ne parlent de Dieu ou du Seigneur au pluriel mais de chacun bien distinctement.
La Genèse écrit : « Et le Seigneur par son Seigneur fit pleuvoir du soufre et du feu » (Gn 19, 24). Et le Prophète : « Le Seigneur, ton Seigneur t'a donné l'onction » (Ps 44,8) et « le [PAGE 289] Seigneur a dit à mon Seigneur » (Ps 109, 1). Et l'évangile : « Et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1). L'Apôtre : « II n'y a qu'un seul Dieu de qui tout vient et un seul Seigneur Jésus-Christ par qui tout existe » (1 Co 8, 6). Et ailleurs : « Le Christ en est issu lequel est Dieu au-dessus de tout » (Rm 4, 5).
Ces paroles concernent le Seigneur. Nous devons comprendre qu'il n'est qu'un Dieu inengendré et qu'il n'est pas possible de nier que son Fils unique est également Dieu. L'un et l'autre sont Dieu unique, mais pas un Dieu partagé en deux, comme l'a prétendu Hiérax [NOTE 1]. Père et Fils ne sont pas que des titres, comme l'a affirmé Sabellius [NOTE 2], mais expriment le lien de l'engendrement. Dieu est unique, il n'existe pas deux inengendrés ou deux engendrés, mais un seul Dieu, né de l'unique Dieu, qui ensemble ne font qu'un, sans qu'il y ait entre eux différence ou partage de la nature divine.

Pourquoi est-il question de plusieurs serviteurs et maîtres ?

8. Le texte continue:
« Et comme les yeux de la servante
vers les mains de sa dame. »
Le prophète prolonge son développement. Il affirme que les yeux de la servante sont fixés sur la main de sa dame. Il veut exprimer par là que les serviteurs sont avant tout préoccupés d'agir et d'accomplir leur travail.
Il avait été question de plusieurs serviterls et de plusieurs maîtres, pourquoi n'est-il question ici que d'une seule servante et d'une seule dame ? Les serviteurs divers, avons-nous expliqué plus haut, adoraient des divinités de toute sorte. A présent, il est question d'une seule servante et d'une seule dame, parce que la nature de l'âme est une comme une la nature de la chair. Il est question ici des pécheurs qui sont [PAGE 290] esclaves du péché. Cette servante est asservie à la chair de la chair, qui subit la séduction de la chair et des vices. Elle supporte leur domination dans l'attrait des voluptés et contemple les produits de leurs œuvres.
Si les vices absorbent invariablement l'attention de ces serviteurs et de cette servante, au point de les assujettir en une idolâtrie stupide, notre foi à nous ne doit-elle pas fuir les caprices et l'instabilité ? Elle ne doit pas se laisser abattre par l'assaut des tentations, mais garder les yeux fixés, ferme et inébranlable, sur le Seigneur jusqu'à la consommation de sa miséricorde.


L'espérance du prophète ne chancelle pas
9. Le prophète montre que son espérance demeure entière jusqu'à ce que le Seigneur le prenne en pitié.
« Nos yeux sur le Seigneur, notre Dieu,
jusqu'à ce qu'il nous prenne en pitié. »
Il ne se lasse pas, il ne défaille pas, même si pour exercer sa foi, le Seigneur retarde l'effet de sa miséricorde. La foi doit être une attente ferme et intense, tout désespoir serait l'aveu de la défiance. Le prophète est pleinement convaincu de la miséricorde de Dieu, ses yeux restent attachés sur lui, jusqu'à ce qu'il le prenne en pitié. Son regard est si assuré, si insistant, qu'à deux reprises il s'écrie :
« Pitié pour nous, Seigneur, pitié. »
Il est tendu, et tendue sa prière. Cette constance qui emmure les esclaves du péché dans la prison du péché, cette constance le fortifie dans la ferme espérance des biens éternels et dans l'intime conviction de sa grâce.

NOTES

1. Hiérax, ascète égyptien, né dans la deuxième rnoitié du IIe siècle. Hérésiarque auquel Arius se réfère. De lui vient la comparaison des rapports du Père et du Fils semblable aux deux becs d'une lampe. Traité de la Trinité d'Hilaire, I, 25 ; IV, 12 ; V, 10. Et les notes dans Pères dans la foi 19-21.
2. Sabellius défendait une hérésie qui niait toute distinction entre les trois personnes de la Trinité. Le Fils et le Saint-Esprit étaient de simples manifestations du Père.