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Evénement le lundi 14 juin 2010

2010 a été l’année du numéro 100 des Pères dans la foi, mais c'est aussi celle du 100e anniversaire de la naissance du Père A.-G. Hamman, notre fondateur né le 14 juin 1910 à Rahling (Moselle). De plus, le 20 juillet a marqué aussi les 10 ans de son rappel à Dieu. L’Association se devait de célébrer l’événement.

À l’occasion de cette manifestation a été remis le Prix Hamman 2009-2010, exceptionnellement décerné à deux lauréates, leur donnant les moyens de publier plus facilement leurs travaux sur les Pères de l’Église : Hélène Grelier et Fabienne Jourdan.


 

ADALBERT G. HAMMAN
‘L'ABBÉ MIGNE DU XXE SIÈCLE’

Colloque international organisé à l'occasion du centenaire de sa naissance
et de la parution des Hommes illustres de Jérôme, centième volume des «Pères dans la foi»

et remise conjointe du Prix Hamman 2009-2010
à Hélène Grelier et à Fabienne Jourdan

Une journée organisée par l’Association J.-P. Migne en partenariat avec la Fondation Singer-Polignac

À LA FONDATION SINGER-POLIGNAC, 43, AVENUE GEORGES-MANDEL, 75116 PARIS

 

En voici le déroulement :

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RÉSUMÉ

Le P. Jean-Robert Armogathe (directeur d'études à l'EPHE et Président de l'Association Migne) a ouvert le Colloque devant plus de 70 personnes, en présentant notamment les regrets de Mgr Claude Dagens, qui n'a pu venir parler comme il le souhaitait. De même, le P. Angelo di Berardino a été empêché.

Quelques réflexions sur la vie d’A. Hamman
par José KOHLER, franciscain, vicaire provincial, ayant vécu plus de 30 avec A. Hamman à Besançon
Même si son couvent, c’était le monde, A. Hamman a passé une grande partie de sa vie dans la communauté franciscaine de Notre-Dame-des-Buis, à Besançon, qu’il a contribué à fonder. Au-delà des anecdotes sur ses traits de caractère ou sa vie de tous les jours, A. Hamman a marqué ses frères notamment par son ouverture au monde, son goût du travail, sa vie dans les pas de François d’Assise.

Dans le sillage de l’abbé Migne
par Marie-Hélène CONGOURDEAU, chargée de recherches au CNRS, directrice littéraire des Éditions Migne
L’œuvre du P. Hamman se situe dans le sillage de celle de l’abbé Migne (1800-1875), éditeur infatigable des Pères de l’Église. L’exposé présentera tout d’abord l’itinéraire de ce colosse de l’édition qui voulait mettre les œuvres des Pères à la disposition des prêtres de campagne, et dont les Patrologies (grecque et latine) sont toujours utilisées; puis il détaillera la vie éditoriale du P. Hamman, en montrant comment, par son entreprise de traduction des Pères, dans les collections qu’il a fondées successivement, il souhaitait adapter l’œuvre de Migne aux conditions de notre époque, en mettant les œuvres des Pères à la disposition du peuple chrétien.

L’homme illustre pour Jérôme dans le De viris illustribus
par Delphine VIELLARD, chargée d'enseignement à l'Université de Strasbourg
Au printemps 393, Jérôme, alors installé à Bethléem, publie un De uiris illustribus, qui énumère les auteurs ecclésiastiques, de l’apôtre Pierre jusqu’à Jérôme lui-même. Le Stridonien utilise pour ce faire un cadre existant, celui du catalogue d’hommes illustres comme dans le Brutus de Cicéron et, ainsi qu’il l’écrit dans sa préface, la tradition de la biographie antique. Il veut ainsi montrer aux païens que l’Église renferme en son sein des savants qui sont les égaux des hommes de lettres consacrés par la postérité. Ces hommes illustres sont pour la plupart des chrétiens, mais on y rencontre aussi un païen, deux juifs et seize dissidents de la religion catholique. Pour Jérôme, l’homme illustre est un homme de culture, un héros, mais aussi un homme en rapport avec l’Église – mais avant tout un écrivain, et quelqu’un qui a l’heur de plaire à l’ermite de Bethléem. Même si la liste des hommes illustres qu’on pourrait dresser aujourd’hui risque d’être assez différente de celle de Jérôme, son œuvre riche de 135 notices est fondatrice et originale, fournissant des renseignements de première main sur des auteurs autrement inconnus, et méritait d’être le numéro 100 des « Pères dans la foi ».

Les débuts de la revue Connaissance des Pères de l’Église
par Lin DONNAT, moine bénédictin de l’Abbaye de Fleury
Le P. Hamman a fondé et dirigé la revue Connaissance des Pères de l’Eglise en 1981. Cet épisode de sa vie est peu connu, car il omet d’en parler dans son autobiographie. La revue a été créée à l'initiative de François-Xavier de Guibert, chez DDB, pour la plus grande surprise d'A. Hamman lui-même, qui, avec Lin Donnat et d'autres collaborateurs, a su relever le défi, puis, marqué un peu plus tard par son départ à la retraite de l'Augustinianum, a préféré se retirer. Cet épisode offre une vue intéressante sur l’activité pastorale, si l’on peut dire, du Père et son souci de faire connaître les Pères de l’Eglise à tous les publics. On peut aussi y voir de manière vivante le P. Hamman dans ses relations, son activité débordante et inventive, toujours en recherche de mieux pour le bien de tous. Sa joie de vivre aussi.

France Quéré et Adalbert Hamman
par Guillaume BADY, chargé de recherches au CNRS, Secrétaire général adjoint de l’Association Migne
Parmi les dizaines de collaborateurs d’A.-G. Hamman – auxquels l’Association voudrait rendre hommage, France Quéré (1936-1995) tient une place plus que symbolique : collaboratrice et principale ouvrière de 8 volumes de la collection « Ichtus-Lettres chrétiennes », de 1962 à 1969, à elle seule elle a traduit plus de 110 textes sur plus de 1000 pages – une véritable œuvre patrologique. Par son art de la traduction, ou plutôt de la transposition, la théologienne d’origine cévenole a prêté sa voix et ainsi redonné vie aux Pères de l’Église avec une liberté aussi savoureuse qu’inimitable. Des bribes de sa correspondance illustrent également ce ton familier, et volontiers « drôle », qu’elle savait avoir avec les auteurs chrétiens aussi bien qu’avec le P. Hamman.

A. Hamman et la prière des chrétiens
par Jean-Robert ARMOGATHE, Directeur d’études à l’EPH, Président de l’Association Migne
En 1952, A. Hamman a fait paraître, avec Patrice de La Tour du Pin, le recueil intitulé Prières des premiers chrétiens, éclair dans le ciel des catholiques français, mettant à la disposition d’un large lectorat des centaines de pages des Pères de l’Église, et connaissant un très large succès. En 1959 et 1963, il a publié une étude en 2 tomes sur la prière aux trois premiers siècles (l’article « Prayer » de l’Encyclopedia Britannica donne les linéaments de la suite), étude très nouvelle par les synthèses qu’elle propose (en particulier sur la prière johannique), par le lien qu’elle fait entre la prière et la confession de foi, et entre la prière et la liturgie. Grâce à la diffusion que le patrologue savait donner aux textes antiques (il a été l’auteur d’innombrables ouvrages sur la prière – monographies, articles, traductions), et malgré les critiques venues des milieux académiques, le théologien et l’homme de prière, collaborateur de la refonte de la Liturgie des heures dans la foulée du concile Vatican II, a œuvré de façon exceptionnelle à l’intégration de la prière à la foi chrétienne. C’est donc tout naturellement que le titre des mélanges qui ont été offerts en 1980 a été Ecclesia orans.

La contribution d’A. Hamman à la dimension sociale de la théologie
par Hector SCERRI, Professeur à l’Université de Malte
La contribution d’A. Hamman à la dimension sociale de la théologie tient pour commencer à l’influence de l’ouvrage d’H. de Lubac paru en 1938 : Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme, en particulier en ce qui concerne l'importance des sacrements pour la vie de tous les jours. Dès lors A. Hamman s’intéresse aux implications sociales de la foi et de la théologie, et à ce qu’en quelque sorte on peut appeler une fides quaerens intellectum practico-socialem. Son œuvre la plus parlante à cet égard est Vie liturgique et vie sociale, parue en 1968, qui fait un lien entre la lex orandi et la lex credendi d'une part, et la lex vivendi d'autre part, ou en d’autres termes entre la liturgie et la vie quotidienne.

La contribution d'Hector Scerri a été suivie, en guise d'illustration, d'une lecture par G. Bady de documents conservés dans le fonds Hamman de la Bibliothèque municipale de Besançon: un texte d'A. Hamman intitulé «Ma confession intellectuelle», et des extraits des lettres de Henri de Lubac à A. Hamman

L’autobiographie dans les actes de martyrs africains
par Marek STAROWIEYSKI, Professeur à l’Université de Varsovie et à l’Augustinianum (Rome)
Dans les trois passions africaines du IIIe s., c'est-à-dire dans celle de Perpétue et de Félicité, celle de Montanus, de Lucius et de leurs compagnons et, enfin, celle de Jacques et de Marien, on trouve des parties autobiographiques (descriptions du martyre et des visions) – ce qu'on ne trouve pas dans les autres ouvrages sur les martyrs.

Quelques aspects des rapports du Père Hamman avec le monde universitaire français
par Benoît GAIN, Professeur à l'Université Stendhal-Grenoble III
Ayant bien connu le Père Hamman à partir de la décennie 80, l’auteur expose d’une part, l’aide qu’il a personnellement trouvée auprès de lui dans ses recherches en patristique, d’autre part, comment l’appel aux dons de livres lancé par l’Association Internationale d’Etudes Patristiques en faveur des universités d’Afrique francophone ont reçu, de la part de cet authentique disciple du Poverello, des réponses généreuses. Un tel témoignage serait-il isolé parmi les Français ? La question doit être posée, puisque les rapports du Père Hamman avec les universitaires français ont été assez mauvais, parfois même conflictuels. Il s’agira d’en analyser les diverses raisons : maladresses avérées du P. Hamman, mépris de « mandarins » pour des publications qualifiées de vulgarisation, recensions acerbes de ceux-ci visant surtout les traductions dirigées par lui, préoccupations pastorales et économiques du Père Hamman prioritaires par rapport à des investigations érudites minutieuses. Dix ans après sa disparition, son œuvre reste, semble-t-il, sous le coup d’une sorte de condamnation, qui atteint, hélas, parfois même ses continuateurs ou les traducteurs qui leur sont associés.

La bibliographie d’A. Hamman et ses archives à la Bibliothèque municipale de Besançon
par Germaine MATHIEU, Conservateur en chef honoraire à la Bibliothèque municipale de Besançon
A. Hamman a lui-même fait don à la Bibliothèque municipale de Besançon de ses archives, formant aujourd’hui le Fonds Hamman, riche de 50 boîtes contenant des documents originaux et très divers : carnets personnels, manuscrits d’ouvrages, correspondance, souvenirs de voyage, dossiers d’éditeur. Une bibliographie complète d’Adalbert-Gauthier Hamman a également été établie à partir de documents de première main, témoignant aussi de l’activité de critique littéraire et de musical du Bisontin.

Parmi les éléments de discussion, J.-R. Armogathe a fait remarquer que l'absence de la Patrologie de Migne dans le bureau de John Henry Newman à Birmingham, et les éditions trop rares que le cardinal devait se procurer à défaut, témoignent a contrario de son importance. Le P. M. Starowieyski a souligné, lui, l'importance du Supplément à la Patrologie latine qu'A. Hamman a réussi à faire paraître en quelques années seulement. Cependant la difficulté qu'il y a à se procurer certains ouvrages d'A. Hamman, épuisés depuis longtemps, ne peut être que décevante. Yves Quéré, quant à lui, a justement évoqué l'amour de la musique qui allait chez A. Hamman jusqu'à un certaine façon d'être. Une question sur l'origine de l'expression "Pères de l'Église", attestée en un sens collectif dès le IVe siècle à propos des "saints pères" du concile de Nicée, a permis de signaler la façon dont on parle du "Père" Hamman. M. Charles Chauvin, auteur de L'abbé Migne et ses collaborateurs (DDB, 2010), et éditeur lui-même chez DDB au moment où cette maison a renoncé à continuer de publier "Les Pères dans la foi", a précisé qu'A. Hamman avait gardé de bons rapports avec lui. M.-H. Congourdeau pour sa part a donné l'assurance, si besoin était, que les relations actuelles avec les Sources chrétiennes étaient pleinement harmonieuses.

En conclusion de cette journée, soulignant comment la vie du franciscain et l'œuvre du théologien – deux aspects peu connus des patristiciens français - sont liées au travail du patrologue, G. Bady a interrogé la figure d'A. Hamman comme "homme illustre", ou plutôt comme homme de religion ou homme de relation(s). Loin de l'hagiographie, l'interrogation sur la vie et l'œuvre d'A. Hamman révèle ce qu'elles ont d'original, de décalé et de fécond. Véritable émule de l'abbé Migne au XXe siècle, A. Hamman partage sa gloire en même temps que son "don des contrastes".


J.-R. Armogathe et Lin Donnat


M.-H. Congourdeau et G. Mathieu

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Télécharger l'affiche du colloque et l'affiche-programme

Plus de renseignements (notamment vidéo des interventions, photos, biographies et bibliographies des participants) sur

www.singer-polignac.org


Lauréate avec Fabienne Jourdan du Prix Hamman 2009-2010

Le Prix Hamman 2009-2010 a été exceptionnellement décerné à deux lauréates : Hélène Grelier, pour « L’argumentation de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée : Étude littéraire et doctrinale de l’Antirrheticus adversus Apolinarium et de l’Ad Theophilum adversus apolinaristas » (prévu dans la collection des Études augustiniennes), et Fabienne Jourdan, pour « La réception du mythe d’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles » (paru en 2 tomes aux Belles Lettres).

Le Prix 2009-2010 leur a été remis à l’occasion de la manifestation du 14 juin 2010.

Présentation d'Hélène GRELIER et de sa thèse

Née le 11 juillet 1979 à Aix-en-Provence.

Le travail doctoral récompensé, dont la publication est en préparation, est le fruit d’expériences de recherche à l’Université Lyon 2, dans le cadre de l’Institut des Sources Chrétiennes, parallèlement à une charge d’enseignement en langue et littérature latines à l’Université Lyon 2 (2004-2007) et en classes préparatoires au lycée Henri IV (2003-2008). Il est aussi l’aboutissement des échanges scientifiques au sein des universités de Tübingen et de Göttingen où Hélène Grelier a étudié grâce à une bourse du DAAD (2006), puis dans le cadre de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem grâce à une bourse Lavoisier – Académie des Inscriptions et Belles Lettres (2007-2008). Quant à l’auteur qui retient l’attention principale de cette monographie, Grégoire de Nysse, il fait l’objet de plusieurs autres projets de publication dans lesquels Hélène Grelier est engagée actuellement, dont les homélies liturgiques et les discours conciliaires pour la Collection des Sources Chrétiennes.

Bibliographie :

- Coéditrice avec M. Cassin du volume Grégoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours. Actes du Colloque de Paris, 9-10 février 2007, Institut des Études Augustiniennes, Paris, 2008.
- Article « Qui est l'arbitre du débat dans le Contre Apolinaire ?» qui prend place dans ce même recueil, p. 115-131.
- « Connaissances naturalistes chez Grégoire de Nysse dans ses traités théologiques : fonctions et dynamisme argumentatifs », La cultura scientifico-naturalistica nei padri della chiesa (I-Vè s) Actes du colloque 'XXXV incontro di studiosi dell' antichita christiana', 4-6 mai 2006, in Studia Ephemeridis Augustinianum 101, Rome, 2007, p. 179-196.
- Contribution à la publication collective de la Catena Aurea de Thomas d'Aquin sur l'Évangile de Marc, chapitre 8, sous la direction de G. Bonnet et G. de Menthière, Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr, 2008.

Travaux en cours

- « L’Écriture comme ressort de la polémique dans les controverses doctrinales », dans Polémiques(s) : Modalités et formes rhétoriques de la parole agonale de l’Antiquité à nos jours, éd. Luce Marchal-Albert et Loïc Nicolas, Presses de l’Université de Bruxelles, collection Philosophie et Société, 2010.
- « Comment décrire l’humanité du Christ sans introduire une quaternité en Dieu ? Le débat dans l’Antirrheticus adversus Apolinarium », Actes du colloque de septembre 2008, La théologie trinitaire de Grégoire de Nysse dans ses Opera minora (Université E. Karl, Tübingen), collection Supplements to Vigiliae Christianae, 2010.
- La controverse de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée, Étude de l’argumentation, Collection des Études Augustiniennes, publication envisagée en 2011.
- Traduction annotée des Homélies liturgiques de Grégoire de Nysse, en collaboration avec J. Paramelle et J. Reynard, collection des Sources Chrétiennes.
- Traduction annotée des Discours conciliaires de Grégoire de Nysse, collection des Sources Chrétiennes.

Résumé de la thèse (version brève)

soutenue en novembre 2008 à l’Université Lumière Lyon 2, sous la direction d’Olivier Munnich (Lyon 2-Paris IV)
Titre : L’argumentation de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée. Étude littéraire et doctrinale de l’Antirrheticus adversus Apolinarium et de l’Ad Theophilum adversus apolinaristas

Vers les années 380-385 ap. J.-c., en Orient, à une période où les intellectuels chrétiens cherchaient à préciser le contenu de leur doctrine, Grégoire de Nysse (vers 335-394) rédige une Lettre à Théophile, évêque d’Alexandrie, et l’Antirrheticus adversus Apolinarium, un traité de controverse contre un évêque qui était devenu de plus en plus influent dans l’Église d’Orient, tant par son œuvre que par son action ecclésiale, Apolinaire de Laodicée (vers 310-392). Alors que les théologiens s’étaient engagés jusqu’alors dans la polémique contre l’arianisme sur la doctrine trinitaire, Apolinaire déclencha une nouvelle crise dans la seconde moitié du IVe s. : elle ouvrait un nouveau champ de débat, christologique, d’où sont nées les luttes successives et croissantes jusqu’aux grands conciles d’Éphèse et Chalcédoine au Ve siècle.
La présente monographie fait une analyse littéraire et doctrinale de l'argumentation de Grégoire contre Apolinaire, dont le support est le matériau biblique, sa tradition interprétative, et les outils conceptuels de la tradition philosophique. L'objectif du travail est triple : il s’agit d’une part de mieux connaître l’histoire et les enjeux de la controverse apolinariste, resituée dans l’histoire des débats doctrinaux de la fin du IVe s, d’autre part de mieux comprendre et dégager les principes d'écriture de la controverse théologique telle que Grégoire la pratique et de voir si on peut la définir comme un genre littéraire. Enfin, il s’agit d’examiner la pensée dans sa lettre en regardant la façon dont Grégoire se réapproprie l’héritage de la paideia grecque, à laquelle il a été formé, pour formuler le contenu de sa doctrine christologique et la synthèse argumentative qu’il opère entre sa culture biblique et le patrimoine philosophique pour réfuter Apolinaire. En outre, je mesure l’impact des deux œuvres de Grégoire dans la postérité patristique.

Résumé de la thèse (version développée)

Vers les années 380-385 ap. J.-C., en Orient, à une période où les intellectuels chrétiens cherchaient à préciser le contenu de leur doctrine, Grégoire de Nysse (vers 335-394) rédige une Lettre à Théophile, évêque d’Alexandrie, et l’Antirrheticus adversus Apolinarium, un traité de controverse contre un évêque qui était devenu de plus en plus influent dans l’Église d’Orient, tant par son œuvre que par son action ecclésiale, Apolinaire de Laodicée (vers 310-392). Alors que les théologiens s’étaient engagés jusqu’alors dans la polémique contre l’arianisme sur la doctrine trinitaire, Apolinaire déclencha une nouvelle crise dans la seconde moitié du IVe s. : elle ouvrait un nouveau champ de débat, christologique, d’où sont nées les luttes successives et croissantes qui ont suscité les grands conciles d’Éphèse et Chalcédoine au Ve siècle.

La présente monographie fait une analyse littéraire et doctrinale de l'argumentation de Grégoire contre Apolinaire, dont le support est le matériau biblique, sa tradition interprétative, et les outils conceptuels de la tradition philosophique. L'objectif du travail est triple : il s’agit d’une part de mieux connaître l’histoire et les enjeux de la controverse apolinariste, resituée dans l’histoire des débats doctrinaux de la fin du IVe s, d’autre part de mieux comprendre et dégager les principes d'écriture de la controverse théologique telle que Grégoire la pratique et de voir si on peut la définir comme un genre littéraire. Enfin, il s’agit d’examiner la pensée dans sa lettre en regardant la façon dont Grégoire se réapproprie l’héritage de la paideia grecque, à laquelle il a été formé, pour formuler le contenu de sa doctrine christologique et la synthèse argumentative qu’il opère entre sa culture biblique et le patrimoine philosophique pour réfuter Apolinaire. En outre, le travail mesure l’impact des deux œuvres de Grégoire dans la postérité patristique.

D’un point de vue littéraire, le discours de polémique de Grégoire est construit selon un rapport de force entre quatre agents : l’auteur, son adversaire, la Bible, le lecteur. La rhétorique de polémique utilisée par le Cappadocien consiste non pas à attaquer l’adversaire selon un rapport binaire, mais plutôt à se rapporter sans cesse à une troisième instance, l’Écriture, source de discours normative dont l’autorité est reconnue par le destinataire de ce type de production littéraire, à l’époque où elle a été rédigée, et dont Grégoire cherche à emporter l’adhésion.

En définissant la stratégie du discours de controverse, en cherchant l’origine des griefs de Grégoire imputés à Apolinaire ou lancés contre lui, en montrant comment les auteurs s’attaquent plus souvent sur les conséquences logiques de leur pensée, sur des termes dont le contenu peut être glissant, et examinant comment ils formalisent la théorie de leurs adversaires par assimilation hérésiologique, on voit comment se construit le phénomène de déformation polémique, qui va jusqu’à la caricature, et qui dénature le cœur de la doctrine attaquée. Selon un jeu de prismes déformants, Grégoire attaque la théorie du noûs ensarkos d’Apolinaire qui lui-même la déploie en réaction aux tenants d’une christologie de la pleine humanité du Verbe incarné, qui aboutit logiquement selon lui à une dualité de personne et rejoint les formes de christologie adoptianiste. L’argumentation de Grégoire est construite à partir d’une alternance où l’accent est mis tantôt sur l’unité des deux natures contre une dualité de sujet, tantôt sur la distinction, contre une union où l’humanité du Verbe incarné est réduite. Le genre de la réfutation linéaire incite l’auteur à exposer sa position doctrinale non pas de façon systématique et homogène, mais selon des inflexions théologiques différentes, qui pourraient paraître contradictoires à première vue, mais qui en réalité dépendent des attaques d’Apolinaire, ou des accusations de Grégoire portée contre lui. Il faut donc prendre en compte la globalité de la démonstration du Cappadocien pour comprendre sa réflexion, toujours articulée autour d’une tension entre unité et distinction des natures dans le Verbe incarné.

L’Antirrheticus adversus Apolinarium est un témoin littéraire précieux qui révèle comment les outils argumentatifs utilisés jusqu’alors dans des polémiques majoritairement trinitaires, dont celle de Grégoire contre Eunome, sont réadaptés à la question christologique sans que soit encore formulée explicitement la notion d’union hypostatique. Les procédés méthodologiques de la réflexion sur les rapports intra-trinitaires entre le Père et le Fils, pour décrire la tension entre l’unicité de substance et la dualité de personnes sont réadaptés dans la polémique christologique contre Apolinaire pour formuler la tension entre unité de personne et dualité de nature, avec une certaine fluctuation lexicale pour caractériser le mélange humano-divin. Paradoxalement, l’expression de « deux natures » est rare et pourtant sous-jacente à toute la démonstration.

La confrontation des textes opérée entre les deux controverses contre Eunome et contre Apolinaire met en évidence un phénomène récurrent : c’est la réflexion exégétique qui sert de pivot d’une polémique à l’autre. Un même verset est utilisé dans une perspective nouvelle, parce qu’il est mis en consonance avec des versets différents d’où découle une problématique théologique innovante. Mais les arguments scripturaires anti-eunomiens repris contre Apolinaire ont montré aussi la proximité des attaques de ce dernier avec celles d’Eunome contre les tenants de la pleine humanité et de la pleine divinité du Verbe incarné.

Toutefois il existe bien un matériau scripturaire propre à la controverse apolinarienne. En mettant en regard l’interprétation de Grégoire avec celle d’Apolinaire sur le matériau scripturaire essentiel de la polémique, le travail présente les versets structurants pour chacune des deux christologies et lorsqu’il s’agit de versets communs, le contraste d’interprétation qui les rend opérants de façon totalement différente, parce que dépendant de traditions herméneutiques divergentes.

Les arguments que Grégoire développe avec le plus d’originalité portent sur la doctrine de la résurrection. Mais cette constatation est problématique : car dans quelle mesure l’explication de la résurrection répond-elle au défi que lance Apolinaire qui cherche, lui, à conceptualiser la modalité de l’union humano-divine dans le Verbe pendant son incarnation ? L’Antirrheticus et l’Ad Theophilum sont les témoins littéraires d’une divergence fondamentale d’approche de la christologie entre Grégoire et Apolinaire : là où Apolinaire s’intéresse à la modalité de l’unité de Dieu et de l’homme dans le Verbe incarné, à partir d’une articulation entre la doctrine trinitaire et la christologie, Grégoire ne l’aborde que par sa finalité. Il utilise systématiquement contre Apolinaire l’argument sotériologique, développé à partir d’une réflexion sur les événements finaux de l’incarnation, qu’il présente comme un acte de réconciliation de l’humanité universelle avec Dieu. C’est un parti-pris méthodologique, semble-t-il : Grégoire ne cherche pas à résoudre dans une équation formelle ce qu’il conçoit comme un mysterion, mais il veut surtout le donner à pressentir par des images, qui ont le mérite de toujours préserver un écart entre ce qu’elles décrivent et l’objet théologique dont elles cherchent à rendre compte. La façon dont Grégoire utilise la comparaison anthropologique par opposition à l’application qu’en fait Apolinaire est emblématique : face au modèle anthropologique qui permet d’expliquer l’unité du Christ chez Apolinaire, Grégoire ne propose pas de théorie à proprement parler sur l’union. Il se contente d’en décrire la visée. Ainsi Grégoire raillerait-il peut-être Apolinaire non pas seulement à cause de sa théorie du noûs ensarkos, mais aussi parce que ce dernier cherche à résoudre ce qui pour lui est insoluble.


Lauréate avec Hélène Grelier du Prix Hamman 2009-2010

Le Prix Hamman 2009-2010 a été exceptionnellement décerné à deux lauréates : Hélène Grelier, pour « L’argumentation de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée : Étude littéraire et doctrinale de l’Antirrheticus adversus Apolinarium et de l’Ad Theophilum adversus apolinaristas » (prévu dans la collection des Études augustiniennes), et Fabienne Jourdan, pour « La réception du mythe d’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles » (paru en 2 tomes aux Belles Lettres).

Le Prix 2009-2010 leur a été remis à l’occasion de la manifestation du 14 juin 2010.

Présentation de Fabienne JOURDAN et de sa thèse :

Née le 25 Janvier 1978.

Agrégée de Lettres classiques et Docteur en Histoire de la Philosophie, Fabienne Jourdan a enseigné la langue, la littérature et la philosophie grecques anciennes aux Universités Paris I — Sorbonne (2002-2005) et Paris X — Nanterre (2006-2007).
Les bourses Lavoisier (Ministère des affaires européennes) et Humboldt (Allemagne) lui ont été accordées pour mener ses recherches en patristique et philosophie grecques en Allemagne.
Elle est actuellement chargée de recherches au CNRS (Centre Lenain de Tillemont — Paris IV — Sorbonne) et passera l'année universitaire 2010-2011 à l'Université de Göttingen en tant que chercheur invité du Lichtenberg-Kolleg.
Elle est l'auteur d'une traduction commentée du Papyrus de Derveni (2003), d'articles sur l'usage des mythes d'Orphée et de Dionysos dans le platonisme et la littérature chrétienne, et d'une monographie sur le Poème judéo-hellénistique attribué à Orphée, parfois nommé Testament d'Orphée (2010).

Bibliographie :

Monographies:

- Le Papyrus de Derveni, introduction, traduction et commentaire, Paris, Les Belles Lettres (« Vérité des mythes » 23), 2003, 198 pages.
- Poème judéo-hellénistique attribué à Orphée, « Production juive et réception chrétienne », Paris, Les Belles Lettres, (« Fragments »), 2010, 308 pages.
- Orphée et les Chrétiens, « La réception du mythe d'Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles », Tome I, Orphée du repoussoir au préfigurateur du Christ. « Réécriture d'un mythe à des fins protreptiques chez Clément d'Alexandrie », Paris, Les Belles Lettres (« Anagôgê » 4), 2010, 488 pages.
- Orphée et les Chrétiens, « La réception du mythe d'Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles », Tome II, Pourquoi Orphée ? Les réécritures polémiques et religieuses du mythe d'Orphée dans la littérature patristique grecque jusqu'au début du VIe siècle », Paris, Les Belles Lettres (« Anagôgê »), 2011, 478 pages.

Articles:

- « Manger Dionysos. L'interprétation du mythe du démembrement par Plutarque a-t-elle été lue par les néo-Platoniciens ? », Pallas 67, 1er semestre 2005, p. 153-174.
- « Porphyre, lecteur et citateur du traité de Plutarque Manger de la viande », Revue des études grecques, 118, 2005, 2, p. 426-435.
- « Dionysos dans le Protreptique de Clément d'Alexandrie », Revue de l'histoire des religions, 223, 3, 2006, 3, p. 265-282.
- « Orphée, sorcier ou mage ? », Revue de l'histoire des religions, 225, 1, 2008, 1, p. 5-36.
- « L'association poétique des citharèdes légendaires (Amphion, Arion et Orphée) chez Horace et Silius Italicus », Revue des études anciennes, 110, 1, 2008, p. 103-116.
- « Le Logos et l'empereur, nouveaux Orphée. Postérité d'une image entrée dans la littérature avec Clément d'Alexandrie », Vigiliae christianae, 62, 4, 2008, p. 319-333.
- « Orphée est-il véritablement un homme ? La réponse grecque : L'efféminé versus l'initiateur des hommes », Les Études classiques, 76, 3, p. 2008, 3, p. 129-174.

Résumé de la thèse

Titre : Orphée et les chrétiens, « La réception du mythe d'Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles »

Depuis le VIe siècle avant J.-C., la légende fait d'Orphée le citharède qui séduit bêtes sauvages, arbres et pierres, l'amant désespéré qui descend aux Enfers quérir Eurydice, le poète des dieux païens qui introduit à leurs mystères. À la fin du IIe siècle de notre ère, ce héros de la métamorphose en subit à son tour une des plus étonnantes : il devient une préfiguration du Christ. Le motif d'un tel rapprochement n'est pas la descente aux Enfers, tant exaltée au Moyen Âge et à la Renaissance. De manière plus inattendue, il s'agit du chant, ce chant qui, d'après la légende, mène animaux sauvages, arbres et pierres. Clément d'Alexandrie fut le premier à voir en lui le précurseur et symbole de la Parole efficace. Dans son exhortation aux Grecs à embrasser la religion nouvelle (le Protreptique), il dépeint son Seigneur non seulement comme le chanteur, mais comme le chant d'ordre supérieur qui achève le miracle : il régénère les bêtes les plus sauvages, les hommes, et leur accorde jusqu'à l'éternité. Par ce portrait, l'Alexandrin fait émerger a posteriori les trois vertus du chant d'Orphée qui lui permettent de découvrir en lui une préfiguration du Christ : être source de métamorphoses, fondateur des mystères et annonciateur du Dieu unique. Le premier volume d'Orphée et les Chrétiens (Du repoussoir au préfigurateur du Christ, Paris, Les Belles Lettres, 2010), analyse l'élaboration de cette mutation christique d'Orphée, en montrant comment Clément recourt aux images familières à ses destinataires, les passe au crible de sa critique et les christianise pour transmettre insensiblement les principes de sa foi.
Le second volume (Pourquoi Orphée ? Paris, Les Belles Lettres, 2011) se propose quant à lui de comparer le traitement d'Orphée par Clément avec celui de ses coreligionnaires d'expression grecque dans les cinq premiers siècles. Il poursuit deux objectifs : déterminer les différents contextes polémiques dans lesquels la figure légendaire est utilisée et dégager ceux des traits qui lui sont prêtés, tantôt par les païens, tantôt par les Juifs et chrétiens eux-mêmes, qui ont contribué à son appropriation chrétienne. Il fait ainsi apparaître trois types de recours à Orphée. 1) Dans un esprit apologétique, le poète et son œuvre font l'objet d'une condamnation unilatérale, à moins qu'ils ne soient présentés de manière favorable pour mieux détracter, par contraste, le paganisme. 2) De pure cible du réquisitoire, Orphée passe au rang de modèle dans l'apostasie du polythéisme grâce à la citation du poème judéo-hellénistique qui lui fait chanter le Dieu unique. 3) Orphée est enfin considéré comme maillon primordial dans la chaîne de transmission de la vérité judéo-chrétienne. Avec Théodoret cependant, il finit par être éliminé de la scène chrétienne, perdant son rôle de converti pour revêtir celui de perfide apostat. Il aurait complètement disparu de celle-ci si ne restait au christianisme un dernier terrain à gagner : la dispute avec les néo-Platoniciens. Les vers de l'Orphée converti sont alors cités une dernière fois chez l'auteur de la Théosophie dite de Tübingen, pour montrer que ce n'est pas avec les Oracles chaldaïques que le poète chante en « symphonie », mais avec ceux du Chaldéen (Abraham).
L'analyse permise par cette typologie des usages polémiques d'Orphée permet finalement de dégager quatre facteurs, puisant leurs racines dans la représentation païenne du personnage, expliquant l'appropriation chrétienne de celui-ci chez Clément en particulier : 1) l'attribution au poète de vers monothéistes qui culmine dans celle du poème judéo-hellénistique en l'honneur du Dieu unique ; 2) son antériorité absolue en tant que poète et théologien vis-à-vis de ses pairs grecs : elle assure à son discours la garantie d'authenticité divine — antériorité néanmoins inséparable de sa postériorité eu égard à Moïse dans l'esprit juif et chrétien, laquelle sanctionne l'idée que la religion grecque est la fille dégénérée de sa mère hébraïque ; 3) sa prétendue nationalité thrace qui lie son nom à des pratiques cultuelles permettant une rencontre directe et efficace avec le divin et lui confère la qualité de Barbare : elle le place d'un côté à l'origine « immaculée » de la culture grecque et l'inscrit de l'autre, sinon directement dans la lignée, du moins dans la continuité de ceux qui endossent volontairement cette qualification au début de notre ère, à savoir les chrétiens à la suite de leurs ancêtres juifs. 4) Le dernier facteur, mais aussi le plus sollicité dans le Protreptique, réside dans la présence « étincelle » en Orphée d'une notion et d'une figure bibliques : le Logos, présenté par Clément (suivi par Eusèbe) comme chant capable de métamorphoser le monde, et son ancêtre vétérotestamentaire, le psalmiste David.

Les deux tomes sont sortis aux Belles Lettres, ISBN-13 978-2-251-18110-3 et 978-2-251-18111-0.