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Lauréate avec Fabienne Jourdan du Prix Hamman 2009-2010

Le Prix Hamman 2009-2010 a été exceptionnellement décerné à deux lauréates : Hélène Grelier, pour « L’argumentation de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée : Étude littéraire et doctrinale de l’Antirrheticus adversus Apolinarium et de l’Ad Theophilum adversus apolinaristas » (prévu dans la collection des Études augustiniennes), et Fabienne Jourdan, pour « La réception du mythe d’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles » (paru en 2 tomes aux Belles Lettres).

Le Prix 2009-2010 leur a été remis à l’occasion de la manifestation du 14 juin 2010.

Présentation d'Hélène GRELIER et de sa thèse

Née le 11 juillet 1979 à Aix-en-Provence.

Le travail doctoral récompensé, dont la publication est en préparation, est le fruit d’expériences de recherche à l’Université Lyon 2, dans le cadre de l’Institut des Sources Chrétiennes, parallèlement à une charge d’enseignement en langue et littérature latines à l’Université Lyon 2 (2004-2007) et en classes préparatoires au lycée Henri IV (2003-2008). Il est aussi l’aboutissement des échanges scientifiques au sein des universités de Tübingen et de Göttingen où Hélène Grelier a étudié grâce à une bourse du DAAD (2006), puis dans le cadre de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem grâce à une bourse Lavoisier – Académie des Inscriptions et Belles Lettres (2007-2008). Quant à l’auteur qui retient l’attention principale de cette monographie, Grégoire de Nysse, il fait l’objet de plusieurs autres projets de publication dans lesquels Hélène Grelier est engagée actuellement, dont les homélies liturgiques et les discours conciliaires pour la Collection des Sources Chrétiennes.

Bibliographie :

- Coéditrice avec M. Cassin du volume Grégoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours. Actes du Colloque de Paris, 9-10 février 2007, Institut des Études Augustiniennes, Paris, 2008.
- Article « Qui est l'arbitre du débat dans le Contre Apolinaire ?» qui prend place dans ce même recueil, p. 115-131.
- « Connaissances naturalistes chez Grégoire de Nysse dans ses traités théologiques : fonctions et dynamisme argumentatifs », La cultura scientifico-naturalistica nei padri della chiesa (I-Vè s) Actes du colloque 'XXXV incontro di studiosi dell' antichita christiana', 4-6 mai 2006, in Studia Ephemeridis Augustinianum 101, Rome, 2007, p. 179-196.
- Contribution à la publication collective de la Catena Aurea de Thomas d'Aquin sur l'Évangile de Marc, chapitre 8, sous la direction de G. Bonnet et G. de Menthière, Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr, 2008.

Travaux en cours

- « L’Écriture comme ressort de la polémique dans les controverses doctrinales », dans Polémiques(s) : Modalités et formes rhétoriques de la parole agonale de l’Antiquité à nos jours, éd. Luce Marchal-Albert et Loïc Nicolas, Presses de l’Université de Bruxelles, collection Philosophie et Société, 2010.
- « Comment décrire l’humanité du Christ sans introduire une quaternité en Dieu ? Le débat dans l’Antirrheticus adversus Apolinarium », Actes du colloque de septembre 2008, La théologie trinitaire de Grégoire de Nysse dans ses Opera minora (Université E. Karl, Tübingen), collection Supplements to Vigiliae Christianae, 2010.
- La controverse de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée, Étude de l’argumentation, Collection des Études Augustiniennes, publication envisagée en 2011.
- Traduction annotée des Homélies liturgiques de Grégoire de Nysse, en collaboration avec J. Paramelle et J. Reynard, collection des Sources Chrétiennes.
- Traduction annotée des Discours conciliaires de Grégoire de Nysse, collection des Sources Chrétiennes.

Résumé de la thèse (version brève)

soutenue en novembre 2008 à l’Université Lumière Lyon 2, sous la direction d’Olivier Munnich (Lyon 2-Paris IV)
Titre : L’argumentation de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée. Étude littéraire et doctrinale de l’Antirrheticus adversus Apolinarium et de l’Ad Theophilum adversus apolinaristas

Vers les années 380-385 ap. J.-c., en Orient, à une période où les intellectuels chrétiens cherchaient à préciser le contenu de leur doctrine, Grégoire de Nysse (vers 335-394) rédige une Lettre à Théophile, évêque d’Alexandrie, et l’Antirrheticus adversus Apolinarium, un traité de controverse contre un évêque qui était devenu de plus en plus influent dans l’Église d’Orient, tant par son œuvre que par son action ecclésiale, Apolinaire de Laodicée (vers 310-392). Alors que les théologiens s’étaient engagés jusqu’alors dans la polémique contre l’arianisme sur la doctrine trinitaire, Apolinaire déclencha une nouvelle crise dans la seconde moitié du IVe s. : elle ouvrait un nouveau champ de débat, christologique, d’où sont nées les luttes successives et croissantes jusqu’aux grands conciles d’Éphèse et Chalcédoine au Ve siècle.
La présente monographie fait une analyse littéraire et doctrinale de l'argumentation de Grégoire contre Apolinaire, dont le support est le matériau biblique, sa tradition interprétative, et les outils conceptuels de la tradition philosophique. L'objectif du travail est triple : il s’agit d’une part de mieux connaître l’histoire et les enjeux de la controverse apolinariste, resituée dans l’histoire des débats doctrinaux de la fin du IVe s, d’autre part de mieux comprendre et dégager les principes d'écriture de la controverse théologique telle que Grégoire la pratique et de voir si on peut la définir comme un genre littéraire. Enfin, il s’agit d’examiner la pensée dans sa lettre en regardant la façon dont Grégoire se réapproprie l’héritage de la paideia grecque, à laquelle il a été formé, pour formuler le contenu de sa doctrine christologique et la synthèse argumentative qu’il opère entre sa culture biblique et le patrimoine philosophique pour réfuter Apolinaire. En outre, je mesure l’impact des deux œuvres de Grégoire dans la postérité patristique.

Résumé de la thèse (version développée)

Vers les années 380-385 ap. J.-C., en Orient, à une période où les intellectuels chrétiens cherchaient à préciser le contenu de leur doctrine, Grégoire de Nysse (vers 335-394) rédige une Lettre à Théophile, évêque d’Alexandrie, et l’Antirrheticus adversus Apolinarium, un traité de controverse contre un évêque qui était devenu de plus en plus influent dans l’Église d’Orient, tant par son œuvre que par son action ecclésiale, Apolinaire de Laodicée (vers 310-392). Alors que les théologiens s’étaient engagés jusqu’alors dans la polémique contre l’arianisme sur la doctrine trinitaire, Apolinaire déclencha une nouvelle crise dans la seconde moitié du IVe s. : elle ouvrait un nouveau champ de débat, christologique, d’où sont nées les luttes successives et croissantes qui ont suscité les grands conciles d’Éphèse et Chalcédoine au Ve siècle.

La présente monographie fait une analyse littéraire et doctrinale de l'argumentation de Grégoire contre Apolinaire, dont le support est le matériau biblique, sa tradition interprétative, et les outils conceptuels de la tradition philosophique. L'objectif du travail est triple : il s’agit d’une part de mieux connaître l’histoire et les enjeux de la controverse apolinariste, resituée dans l’histoire des débats doctrinaux de la fin du IVe s, d’autre part de mieux comprendre et dégager les principes d'écriture de la controverse théologique telle que Grégoire la pratique et de voir si on peut la définir comme un genre littéraire. Enfin, il s’agit d’examiner la pensée dans sa lettre en regardant la façon dont Grégoire se réapproprie l’héritage de la paideia grecque, à laquelle il a été formé, pour formuler le contenu de sa doctrine christologique et la synthèse argumentative qu’il opère entre sa culture biblique et le patrimoine philosophique pour réfuter Apolinaire. En outre, le travail mesure l’impact des deux œuvres de Grégoire dans la postérité patristique.

D’un point de vue littéraire, le discours de polémique de Grégoire est construit selon un rapport de force entre quatre agents : l’auteur, son adversaire, la Bible, le lecteur. La rhétorique de polémique utilisée par le Cappadocien consiste non pas à attaquer l’adversaire selon un rapport binaire, mais plutôt à se rapporter sans cesse à une troisième instance, l’Écriture, source de discours normative dont l’autorité est reconnue par le destinataire de ce type de production littéraire, à l’époque où elle a été rédigée, et dont Grégoire cherche à emporter l’adhésion.

En définissant la stratégie du discours de controverse, en cherchant l’origine des griefs de Grégoire imputés à Apolinaire ou lancés contre lui, en montrant comment les auteurs s’attaquent plus souvent sur les conséquences logiques de leur pensée, sur des termes dont le contenu peut être glissant, et examinant comment ils formalisent la théorie de leurs adversaires par assimilation hérésiologique, on voit comment se construit le phénomène de déformation polémique, qui va jusqu’à la caricature, et qui dénature le cœur de la doctrine attaquée. Selon un jeu de prismes déformants, Grégoire attaque la théorie du noûs ensarkos d’Apolinaire qui lui-même la déploie en réaction aux tenants d’une christologie de la pleine humanité du Verbe incarné, qui aboutit logiquement selon lui à une dualité de personne et rejoint les formes de christologie adoptianiste. L’argumentation de Grégoire est construite à partir d’une alternance où l’accent est mis tantôt sur l’unité des deux natures contre une dualité de sujet, tantôt sur la distinction, contre une union où l’humanité du Verbe incarné est réduite. Le genre de la réfutation linéaire incite l’auteur à exposer sa position doctrinale non pas de façon systématique et homogène, mais selon des inflexions théologiques différentes, qui pourraient paraître contradictoires à première vue, mais qui en réalité dépendent des attaques d’Apolinaire, ou des accusations de Grégoire portée contre lui. Il faut donc prendre en compte la globalité de la démonstration du Cappadocien pour comprendre sa réflexion, toujours articulée autour d’une tension entre unité et distinction des natures dans le Verbe incarné.

L’Antirrheticus adversus Apolinarium est un témoin littéraire précieux qui révèle comment les outils argumentatifs utilisés jusqu’alors dans des polémiques majoritairement trinitaires, dont celle de Grégoire contre Eunome, sont réadaptés à la question christologique sans que soit encore formulée explicitement la notion d’union hypostatique. Les procédés méthodologiques de la réflexion sur les rapports intra-trinitaires entre le Père et le Fils, pour décrire la tension entre l’unicité de substance et la dualité de personnes sont réadaptés dans la polémique christologique contre Apolinaire pour formuler la tension entre unité de personne et dualité de nature, avec une certaine fluctuation lexicale pour caractériser le mélange humano-divin. Paradoxalement, l’expression de « deux natures » est rare et pourtant sous-jacente à toute la démonstration.

La confrontation des textes opérée entre les deux controverses contre Eunome et contre Apolinaire met en évidence un phénomène récurrent : c’est la réflexion exégétique qui sert de pivot d’une polémique à l’autre. Un même verset est utilisé dans une perspective nouvelle, parce qu’il est mis en consonance avec des versets différents d’où découle une problématique théologique innovante. Mais les arguments scripturaires anti-eunomiens repris contre Apolinaire ont montré aussi la proximité des attaques de ce dernier avec celles d’Eunome contre les tenants de la pleine humanité et de la pleine divinité du Verbe incarné.

Toutefois il existe bien un matériau scripturaire propre à la controverse apolinarienne. En mettant en regard l’interprétation de Grégoire avec celle d’Apolinaire sur le matériau scripturaire essentiel de la polémique, le travail présente les versets structurants pour chacune des deux christologies et lorsqu’il s’agit de versets communs, le contraste d’interprétation qui les rend opérants de façon totalement différente, parce que dépendant de traditions herméneutiques divergentes.

Les arguments que Grégoire développe avec le plus d’originalité portent sur la doctrine de la résurrection. Mais cette constatation est problématique : car dans quelle mesure l’explication de la résurrection répond-elle au défi que lance Apolinaire qui cherche, lui, à conceptualiser la modalité de l’union humano-divine dans le Verbe pendant son incarnation ? L’Antirrheticus et l’Ad Theophilum sont les témoins littéraires d’une divergence fondamentale d’approche de la christologie entre Grégoire et Apolinaire : là où Apolinaire s’intéresse à la modalité de l’unité de Dieu et de l’homme dans le Verbe incarné, à partir d’une articulation entre la doctrine trinitaire et la christologie, Grégoire ne l’aborde que par sa finalité. Il utilise systématiquement contre Apolinaire l’argument sotériologique, développé à partir d’une réflexion sur les événements finaux de l’incarnation, qu’il présente comme un acte de réconciliation de l’humanité universelle avec Dieu. C’est un parti-pris méthodologique, semble-t-il : Grégoire ne cherche pas à résoudre dans une équation formelle ce qu’il conçoit comme un mysterion, mais il veut surtout le donner à pressentir par des images, qui ont le mérite de toujours préserver un écart entre ce qu’elles décrivent et l’objet théologique dont elles cherchent à rendre compte. La façon dont Grégoire utilise la comparaison anthropologique par opposition à l’application qu’en fait Apolinaire est emblématique : face au modèle anthropologique qui permet d’expliquer l’unité du Christ chez Apolinaire, Grégoire ne propose pas de théorie à proprement parler sur l’union. Il se contente d’en décrire la visée. Ainsi Grégoire raillerait-il peut-être Apolinaire non pas seulement à cause de sa théorie du noûs ensarkos, mais aussi parce que ce dernier cherche à résoudre ce qui pour lui est insoluble.